Tribune - Jean Pisani-Ferry et David Amiel : Réponse à COE Rexecode

4 avril 2017 - La présente note récapitule les importantes divergences que nous avons avec COE Rexecode sur le chiffrage du programme Macron.

COE Rexecode a publié le 22 mars une analyse détaillée des conséquences économiques des programmes des cinq principaux candidats à la présidentielle, à laquelle Jean Pisani-Ferry a répondu le 23 mars dans une lettre aux dirigeants de l’institut. Les échanges se sont poursuivis avec COE Rexecode (retrouvez ici les échanges).

La présente note récapitule les importantes divergences que nous avons sur le chiffrage du programme Macron.


1/ Principales divergences de chiffrage


COE Rexecode, en surestimant le coût de notre bascule de cotisations des salariés des fonctionnaires et des indépendants sur la CSG et en sous-estimant le coût de notre bascule du CICE en baisse durable de cotisations patronales, aboutit à la conclusion que le programme d’Emmanuel Macron transfèrera des ressources des entreprises vers les ménages.

Ce n’est en aucun le cas : ces deux mesures sont équilibrées et ont été d’emblée conçues comme telles. La première est une redistribution au sein des ménages, à destination des actifs, dont le but est un financement différent de la protection sociale. La seconde est la transformation d’un mécanisme complexe en un allègement pérenne, lisible, étendu à l’ensemble des entreprises et intensifié sur les bas salaires, dont le but principal est l’emploi.
 

  • La bascule de cotisations sur la CSG
  Nous repartons de la valeur des points de CSG telle que chiffrés par la Commission des comptes de la sécurité sociale : la hausse de la CSG activité rapporterait 16 Md€, la hausse de la CSG capital 2 Md€ et celle de la CSG remplacement rapporterait 3,5 Md€, soit 21,5 Md€ au total. Nos estimations sont, en la matière, concordantes avec celles de COE Rexecode.   Sur les pertes de cotisations, le chiffrage de COE Rexecode ne peut être confirmé et nous maintenons bien que notre réforme est équilibrée : c’est comme cela que la hausse de CSG a été construite.

Nous estimons les pertes de recette, à hauteur de 21,5 Md€, de la manière suivante :

  • 16 Md€ seront dédiés au régime général : la suppression des cotisations maladie (4 Md€) et chômage (12 Md€) ;
  • 3,5 Md€ € seront dédiés à la fonction publique : en effet, il est proposé, pour accorder aux fonctionnaires un gain de pouvoir d'achat comparable à celui des salariés, de supprimer la cotisation 1% de solidarité qui finance l'UNEDIC (1,3 Md€) et de faire prendre en charge par l’État une partie des taux de cotisations salariales restants dues par les agents publics, pour atteindre les 2,15 % restant à compenser, pour un coût d’environ  2,2 Md€ (sur la base d'un point de cotisation sociale est estimé autour de 1 Md€ pour l'ensemble des 3 fonctions publiques).
  • 2 Md€ seront dédiés aux travailleurs indépendants, afin qu’à l’instar des autres actifs ils bénéficient également d’une amélioration de leur revenu net.  

  • La conversion du CICE en exonération de cotisations sociales patronales
  Le montant du CICE au sens de la comptabilité nationale est évalué pour 2017 à un peu moins de 19 Md€. Le nouveau dispositif, qui sera instauré en 2018, aura le même coût net pour les finances publiques. C'est cette égalité que nous avons recherchée. L’État mobilisera donc autant de moyens qu’aujourd’hui à l'allègement du coût du travail.

La conversion en allégement permanent de cotisations sociales est évaluée sur la base du CICE à 6% qui donne actuellement lieu à consommation de créances par les entreprises bénéficiaires.   COE Rexecode nous impute une hausse du coût du travail sur la base d’une triple hypothèse :

  • Ils partent d’un taux de CICE de 7% sur la base duquel se constituent des créances depuis le 1er janvier 2017, non de celui qui donne actuellement lieu à consommation de créances.
  • Ils majorent le montant qui serait alors versé. Le chiffre de 24,7 Md€, basé sur des données de l'Acoss est surévalué. En effet, chaque année cette estimation constitue un majorant, mais les créances fiscales déclarées par les entreprises sont d'un montant moindre. Sur la base de l'évolution des montants déclarés de CICE par les entreprises, nous retenons un montant de 23 Md€ pour 2018.
  • Ils appliquent un retour pour l’État sous forme d’impôt sur les sociétés très surestimé. En effet, COE Rexecode applique un taux retour d'IS de 29 %. Compte tenu des règles d'assiette de l'IS, du taux réduit, des entreprises déficitaires, les taux de retour observés sont généralement proche de 20 % à 22%. Compte tenu de la baisse programmée du taux d'IS de 33% à 25%, nous avons retenu le taux de 20%.   Même en partant d’un CICE à 7%, la créance CICE 2018, en comptabilité nationale serait donc de 23 Md€ quand les exonérations de cotisations sociales qui en prendront le relai dès cette même année s'élèveront, nette du retour IS, à près de 21 Md€ (19 Md€ en régime de croisière lorsque le retour IS jouera à plein). Même en partant d’un CICE à 7%, l'écart ne serait donc pas du tout de 10 Md€.    Mais rappelons l’élément essentiel de notre raisonnement. La conversion du CICE en exonérations de cotisations employeurs consolidera et pérennisera l’allégement du coût du travail dont bénéficient aujourd’hui les entreprises. L’opération se fera à coût constant pour les finances publiques, elle ne peut en aucun cas se traduire par une augmentation du coût du travail.

2/ Autres divergences de chiffrage ex ante


D’autres divergences sont mentionnées par COE Rexecode dans sa réponse. Nous les traitons une à une.


  • Les exonérations sur les heures supplémentaires

Le chiffrage de COE Rexecode surestime nettement le coût du rétablissement des exonérations sociales (et non fiscales) sur les heures supplémentaires : exonération complète pour les cotisations salariales et réduction forfaitaire de 0,5 euros par heure travaillée pour les entreprises de plus de vingt salariés (la réduction forfaitaire de 1,5 euros par heure travaillée pour les entreprises de moins de vingt salariés ayant été maintenue en 2012). Nous la chiffrons à 3 milliards d’euros et non 4,5 comme COE Rexecode. On peut se référer pour cela aux études existantes, notamment l’étude préalalable à la LFR 2012.


  • L’assurance-maladie

Le « reste à charge » pour les ménages que nous entendons éliminer est effectivement de l’ordre de 4 milliards d’euros, sur une dépense totale de 17 milliards d’euros.   Nous avons toujours indiqué que nous n’entendions pas couvrir ce coût par des cotisations supplémentaires, imposées au titre de l’assurance-maladie obligatoire ou des complémentaires, mais par une baisse des prix, de l’ordre de 20-25%.   Les leviers pour l’atteindre sont connus. 

  • Assurance maladie et complémentaires devront travailler conjointement à la définition d’un panier de biens remboursables sur ces secteurs : on ne peut pas raisonner sur du 100% pour n’importe quel panier ; il faut travailler sur le périmètre de ce qui est médicalement justifié en liant, dans certains cas, hauts taux de prise en charge et prévention. Nous travaillerons bien sûr aussi sur la périodicité de renouvellement (en particulier dans l’optique).
  • Nous mettrons plus de concurrence entre les assureurs : des contrats-types servant de comparateurs de prix seront définis pour l’ensemble des assureurs (comme cela a été mis en place en ce qui concerne les contrats éligibles à l’aide à la complémentaire santé). Il s’agit de faire que les garanties soient rendues comparables en termes de performance sur le reste à charge.
  • Nous mettrons plus de concurrence entre les prestataires sur les prix et sur les marges : l’affichage des devis, leur lisibilité, les possibilités de découplage achat de la prothèse / prestation de service... sont autant de solutions pour permettre aux consommateurs d’exercer un choix plus éclairé.
  • Nous nous appuierons sur les nouveaux modes de distribution (e-commerce pour l’optique et l’audition) ; l’information structurée en ligne et le e-commerce peuvent notamment crédibiliser un scénario de découplage de l’achat de l’équipement et de la prestation. 

  • Assurance-chômage

Nos calculs sont disponibles en ligne. Ce n’est pas certes pas l’endroit où notre divergence est la plus forte : les calculs de COE Rexecode, par rapport aux nôtres, surestiment le coût de l’ouverture aux indépendants et aux démissionnaires mais surestiment également les gains liés à l’intensification des contrôles de recherche d’emploi.


3/ Divergences macroéconomiques


  • Le diagnostic macroéconomique sur l’économie française

COE Rexecode rappelle que son « diagnostic, maintes fois répété et bien connu, est que la perte historique de compétitivité de l’économie française est l’une des causes majeures de nos déficits budgétaires et extérieurs, de la désindustrialisation et du chômage ». Il se défend ainsi d’avoir favorisé à dessein le programme de François Fillon. Ce diagnostic est pourtant discutable.

Deux hypothèses majeures sont faites dans la construction des scénarios de COE Rexecode. La première est que le déficit de compétitivité de la France se résume à sa compétitivité-coût. Nous persistons à y voir une raison de divergence majeure. Certes, la compétitivité-coût est d’une importance essentielle dans une union monétaire. Cependant, nous considérons que la compétitivité-coût a été significativement améliorée par le CICE-Pacte de compétitivité et qu’elle doit être consolidée en particulier par la transformation du CICE en baisse pérenne de charge. En revanche, la question de la compétitivité hors-coût qui nous paraît essentielle à horizon de cinq ans et à plus long terme est absente de l’analyse de COE Rexecode, et de ce fait nos réformes et investissements dans les compétences sont supposées n’avoir à l’horizon de la projection aucun impact sur notre performance économique.

La seconde hypothèse faite par COE Rexecode est que les baisses de charges du programme de François Fillon se répercutent complètement en baisse de prix sur les exportations et en augmentation des exportations. Symétriquement, comme Coe Rexecode nous impute faussement une augmentation du coût du travail celle-ci a un impact très négatif sur les exportations. Or cette hypothèse n’est empiriquement pas vérifiée : le coefficient de pass through est usuellement inférieur à l’unité.(1) COE Rexecode oublie que les baisses de charge, en particulier sur les salaires élevés, c’est-à-dire sur les catégories de salariés moins affectés par le chômage, se transformeront en grande partie en augmentation de salaires et auront donc peu d’impact sur les exportations. La forte augmentation des exportations imputée au programme Fillon est donc en grande partie illusoire, et le handicap induit par la supposée hausse de coûts induite par le programme Macron l’est plus encore.

  • Le diagnostic sur l’équilibre offre-demande

Une autre hypothèse sous-jacente à l’analyse de Coe Rexecode est que le niveau de production de la France est quasiment égal à son niveau potentiel. Dans le scénario de référence, en effet, le taux de croissance du PIB avoisine un taux de croissance potentiel très bas de 1%. Même si l’hypothèse n’est jamais explicitée, alors qu’elle est en fait très importante, cela signifie que Coe Rexecode considère que l’output gap (la différence entre PIB potentiel et PIB observé) est quasi nul. Cette hypothèse n’est pas celle du FMI ou de l’OFCE par exemple qui l’estiment à 1,5% et 2,5% respectivement. Notre estimation est intermédiaire à 2%. Cette hypothèse n’est pas sans conséquence. En effet, en l’absence d’output gap l’impact du fort ajustement budgétaire de François Fillon est limité dans l’analyse de COE Rexecode. Ce n’est pas notre analyse et c’est pourquoi notre ajustement budgétaire est moins violent, pour éviter de casser la croissance.

  • La prise en compte de l’effet de la formation

COE Rexecode réduit la réforme de la formation, notamment continue, à un effet de long terme (« Sur la stratégie, nous accordons aussi un haut degré de priorité dans une perspective de long terme à l’investissement, à l’éducation et à la formation professionnelle. Mais nous prenons en compte dans nos évaluations l’ensemble des propositions du programme et leur impact budgétaire et macroéconomique sur les années 2018-2022 pour cette période »).

Dans le cadre du plan d’investissement, qui s’étendra sur cinq ans, 15 milliards d’euros seront consacrés aux compétences. Ils serviront notamment à financer 1 million de formations pour les demandeurs d’emplois et 1 million de formations pour les jeunes décrocheurs.

En articulant une réforme en profondeur de la formation professionnelle au financement massif de formation pour les demandeurs d’emploi les moins qualifiés, le nombre de demandeurs d’emploi qui quitteraient le chômage grâce à l’action de formation serait ainsi de l’ordre de 350 000 (taux de succès de 35%). Ce taux de 35% est fondé notamment sur une étude récente (« La formation des demandeurs d’emploi : quels effets sur le retour à l’emploi ? », Dares Etudes et recherches, G. Blache, 2015) qui montre ainsi que l’effet sur le taux d’emploi de dispositifs tels que les Actions de formation préalable au recrutement (AFPR) ou la Préparation opérationnelle à l’emploi (POE) est plus élevé que la moyenne des formations. En articulant le financement de ces formations à une réforme exigeante des prestations de formation, en les soumettant notamment à une exigence de labellisation et de transparence, sur le modèle des réformes qui ont menées en Allemagne, nous estimons ce chiffre raisonnable. En ce qui concerne les jeunes décrocheurs, les dispositifs tendent à avoir des taux de retour à l’emploi plus faibles, les difficultés étant souvent plus lourdes. Nous estimons donc que 200 000 jeunes quitteraient le chômage grâce à notre effort de formation (taux de succès de 20%).

  • Une méthodologie douteuse

Enfin, non content de ne pas partager nos hypothèses macroéconomiques, COE Rexecode nos attribue une réforme des retraites que nous n’avons jamais évoquée. Pire, comme l’a démontré Philippe Martin(2), COE Rexecode choisit, pour corriger un excès de déficit budgétaire qui nous est imputé à tort, la réforme dont les effets sur la croissance sont les plus sombres. Comme l’écrit Philippe Martin : «  COE Rexecode choisit celle qui est, selon leur logique, la pire des réformes, celle qui consiste à baisser les pensions de 19Mds d’euros. Pourquoi la pire ? Parce que c’est celle qui a le plus gros effet négatif sur la croissance et celle qui a le plus faible effet sur le déficit. Pour mieux démonter le résultat de Coe-Rexecode, entrons un instant dans sa logique mais supposons qu’on rajoute au programme de Emmanuel Macron non pas la pire des réformes (la baisse des pensions) mais celle qui dans la logique Coe-Rexecode est la meilleure pour la croissance et la réduction des déficits… c’est-à-dire, comme par hasard, celle de François Fillon (le recul de l’âge de la retraite). Cela consiste à traiter les deux candidats de manière symétrique. On peut aisément faire cet exercice car l’impact de cette réforme sur le PIB et sur le solde public est indiqué page 59. Si Coe-Rexecode avait choisi de traiter les deux candidats de manière symétrique, le gain de PIB du programme de Emmanuel Macron serait plus que doublé (de 1,7 à 3,6) ! Dans ce cas, on voit que le programme de Emmanuel Macron est meilleur en terme de PIB que celui de François Fillon (3,6 contre 3,2) et proche en terme de solde public ».


(1) Voir par exemple les travaux récents de Sarah Guillou (OFCE) pour le comité d’évaluation du CICE.

(2) Les artifices d’un chiffrage supposé objectif, En Marche, 2 avril 2017.

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