« Si on l’a tapée, c’est qu’elle a été méchante… »
25 novembre 2017 - Tribune de Prisca Thevenot, entrepreneure, mariée, mère de deux garçons.
Fille unique ayant grandi dans un quartier où pouvait régner à la fois le culte de la mère et le non-respect de la femme, je suis aujourd’hui maman de deux jeunes garçons et je me demande chaque jour comment les préparer au mieux à devenir des hommes responsables, respectueux et tolérants. Ne faudrait-il pas faire sauter certains tabous encore trop ancrés dans nos foyers, dans notre société ? Et si l’école pouvait nous aider dans ce processus ?
Au lendemain de l’affaire Weinsten et de la vague sans précèdent de libération de la parole autour des violences faites aux femmes, il reste encore difficile à mon sens de savoir comment aider à faire bouger les choses lorsque nous ne sommes ni victime ni témoin direct ou indirect de tels actes.
Comment à mon échelle puis-je faire bouger les lignes ?
Nous devons toutes et tous être pleinement conscients que ce chemin, qui s’annonce long et difficile, ne pourra se faire sans l’action de chacun d’entre nous. Nous avons toutes et tous un rôle à jouer et il convient que nous nous levions pour marcher ensemble afin de faire reculer cette anomalie sociétale que subissent encore un grand nombre de nos sœurs, nos femmes, nos amies, nos filles, nos voisines. Elles ont toutes besoin de nous. Maintenant qu’elles ont eu le courage de faire le plus dur, parler, il convient de ne pas laisser cette parole se perdre ou pire, s’éteindre à nouveau.
Certains diront que c’est au gouvernement d’agir, que la loi fera tout. Une loi dure et punitive permettra de panser les plaies béantes de notre société sur ces sujets. Je n’en doute pas et j’y crois d’autant plus que nous avons aujourd’hui une secrétaire d’État, Marlène Schiappa, qui n’a pas peur du parler vrai quitte à faire grincer, à faire rougir, à faire pâlir.
Mais devons-nous seulement nous contenter d’être les infirmiers de corps et d’esprits meurtris à jamais ?
Il convient de ne pas oublier que bon nombre de citoyennes et citoyens de demain, elles et eux, sont encore vierges de tous préjugés et stéréotypes sur les sujets touchant à la sexualité et au rapport à la femme. Ces citoyennes et citoyens sont nos enfants.
Notre génération va passer des années et des années à punir et à tenter de soigner les âmes et les corps ; il doit en être autrement pour les générations à venir. Raison pour laquelle, je suis convaincue que nous ne pouvons pas faire l’économie d’une éducation sur les rapports entre femmes et hommes, sur la sexualité, sur la violence envers les femmes, sur le viol, etc., et ce dès le plus jeune âge.
Oh ! je vois déjà les mains se lever et les paroles s’indigner. Comment oser parler de sexualité, de ce sujet tabou, car considéré comme sale, à de jeunes enfants qui représentent la pureté dans sa plus belle enveloppe. Ces cris et indignations, je les entends mais je ne peux pas les comprendre et encore moins les accepter. Considérer la sexualité comme étant sale, vulgaire, c’est être encore soi-même soit dans un puritanisme hypocrite soit dans l’unique considération de l’existence de comportements malsains qui malheureusement existent dans notre société. Or le sujet de la sexualité est avant tout lié à un acte d’amour, de partage et de don de soi. Et les enfants que nous cherchons à protéger en sont, pour la grande majorité, le fruit. Il ne convient pas seulement de leur en parler à un moment donné, lors d’un temps défini qui aurait un début et une fin. Il s’agit plutôt de voir cet apprentissage comme un fil rouge qui durera in fine toute notre vie. Le sujet de la sexualité et du rapport à la femme sera alors à approcher, à domestiquer en prenant en compte chaque tranche d’âge.
Nous sommes, pour la plupart d’entre nous issus de cette société où le tabou de la sexualité devait être respecté et ironiquement seuls les sujets de perversion dans le rapport à l’autre avaient le droit d’être verbalisés, présentés en place publique. Il est grand temps que cela change.
Et cela, c’est mon fils de 3 ans qui me l’a rappelé lors d’un trajet banal en bus. Alors que nous rentrions d’un spectacle de guignol, il me dit le plus naïvement possible en voyant une femme avec un cocard impossible à dissimuler : « Maman, si on a tapé la dame c’est parce qu’elle a été méchante, c’est sûr ». Au-delà de la vision de cette femme qui devait encore souffrir de cette blessure, ce qui m’a le plus affecté c’est d’entendre cette phrase sortir spontanément de la bouche de mon enfant. J’ai alors profité du temps du trajet en bus pour comprendre pourquoi cette dame, a priori, méchante, pouvait-elle avoir mérité un tel châtiment. Sa réponse était sans appel car d’une logique implacable : « ben tu vois, Guignol, il tape la dame avec le bâton parce qu’elle a été méchante avec lui. Donc cette dame si quelqu’un l’a tapé, c’est parce qu’elle a été méchante. »
Nos enfants appréhendent la société avec les éléments que nous leur donnons.
Dans cette société, où tous types de contenus nous envahissent en permanence, comment faire pour qu’ils ne prennent pas tout ce qu’ils voient pour argent comptant ? La solution est à chercher dans la prévention et donc via l’éducation. Evitons de demander au gouvernement de légiférer uniquement pour mettre à disposition de la société les outils permettant de punir nos adultes de demain. Il est de notre responsabilité de faire aussi en sorte d’apprendre à nos enfants à comprendre les sentiments et les pulsions qui les animent et ainsi les préparer au mieux à construire leur rapport à l’autre, qu’ils soient du même sexe ou non.
Afin que cette démarche soit pleine et harmonieuse, le sujet de la sexualité doit s’inviter sur les bancs de l’école. Il convient en effet de travailler collégialement à adapter notre parole et nos actes pour répondre à la curiosité de nos enfants et ainsi les amener naturellement sur le chemin de la connaissance de ces sujets de façon harmonieuse et en prenant en compte les besoins de chaque âge. Par exemple, pour les jeunes enfants par le biais de lectures simples et adaptées sur la découverte de leur corps, des sentiments et désirs qu’ils sont déjà en mesure de ressentir, ou encore pour les enfants en primaire via des projets théâtraux sur des sujets tels que la prise de conscience d’une situation inacceptable et qu’ils seraient en mesure d’identifier et de dénoncer. Nous pouvons également imaginer pour les plus grands des incitations à des réflexions écrites plus poussées autour d’œuvres littéraires de référence, etc. Les possibilités sont diverses et multiples.
De la même façon que des manuels scolaires sont choisis pour accompagner l’apprentissage à l’école, ne peut-on pas imaginer de répertorier des livres et autres activités culturelles permettant d’aborder les sujets liés à la sexualité et au rapport à la femme à l’école et lors des activités périscolaires ?
La société ne nous a pas demandé notre avis pour inonder l’esprit de nos enfants d’informations sur une sexualité et un rapport à la femme pervertis. Il convient aujourd’hui d’investir la scène pour redonner leurs lettres de noblesse à ces sujets liés au rapport à l’autre en général. A l’heure où nous veillons à ce que l’assiette de nos enfants soit sous le dictat du BIO, faisons-en sorte que cette écologie gagne aussi leur esprit et dépolluons ensemble le sujet de la sexualité et du rapport à la femme.