L’indispensable débat républicain sur l’entreprise en France
6 décembre 2017 - Tribune de Nicolas Bourgeois, directeur associé d’Identité RH, enseignant à HEC et à l’Université d’Angers, co-auteur de « Faut-il libérer l’entreprise ? » (Dunod), lauréat du « stylo d’or » remis par l’Association Nationale des DRH.
Le 15 octobre dernier, le président de la République, annonçait pour 2018 « une vraie discussion sur ce qu’est l’entreprise », en la positionnant comme le troisième temps d’une transformation sociale globale. Premier temps, celui de la flexibilité au travers des évolutions du code du travail, conduites au pas de charge et sans réelle opposition audible. Deuxième temps, celui de la sécurité au travers des réformes de la formation, de l’apprentissage et de l’assurance-chômage. Ces dernières commencent à se dessiner et doivent permettre de parvenir à une forme de « flexisécurité » à la française, qui nous rapprocherait des modèles scandinaves. Le troisième mouvement annoncé, qui pourrait prendre la forme d’un projet de loi sur la « transformation des entreprises », serait conduit avant la fin 2018.
Il reste ainsi un an pour en définir les contours et conduire un indispensable débat républicain sur le rôle de l’entreprise dans notre pays. Cinq pistes concrètes, de natures très différentes, pourraient être les piliers de cette refondation.
- Rémunérer la performance collective dans toutes les entreprises
L’axe le plus probable de la refondation envisagée concerne l’épargne salariale et les dispositifs de participation et d’intéressement. En effet, Emmanuel Macron entend que « les salariés aient leur juste part » lorsque l’entreprise produit des bénéfices. Aujourd’hui, la participation, qui est obligatoire et soumise à une formule légale, a pour objectif de garantir collectivement aux salariés une part du bénéfice net de l’entreprise. L’intéressement est quant à lui facultatif et nettement plus souple, conclu par un simple accord d’entreprise. Il consiste à verser aux salariés un complément de rémunération fondé sur la réalisation d’objectifs.
Les salariés sont libres de toucher directement ces sommes, alors soumis à l’impôt sur le revenu. Ils peuvent aussi échapper à l’impôt en les plaçant sur un plan d’épargne salariale. Ces deux dispositifs d’épargne salariale sont très souvent confondus par leurs bénéficiaires, ce qui génère au final un faible impact sur la motivation des salariés. Or ces outils ont été construits pour cela.
Retisser les liens entre l’entreprise et ses collaborateurs passe par une rémunération plus systématique de la performance collective. En 2017, à peine 55% des salariés ont accès à l’épargne salariale pour un montant de 2400 Euros par an en moyenne, seules les entreprises de plus de 50 employés sont concernées par la participation et à peine10% des TPE ont imaginé un dispositif de partage des profits avec leurs salariés. C’est trop peu et la seule incitation des employeurs ne peut suffire. D’autres pistes de refondation de l’épargne salariale, comme la fusion entre la participation et l’intéressement ou la création d’un nouveau dispositif comme le « livret E » sont envisageables. Mais c’est sans doute le développement de l’actionnariat salarié qui aurait le plus d’effets pour renouer la relation entreprise-salariés. Certains fleurons industriels français, comme Essilor, Vinci ou Egis, montrent que cette voie est bénéfique pour l’ensemble des parties prenantes, les rendant plus solidaires.
L’enjeu est aussi de réconcilier le plus grand nombre de salariés avec l’impératif de création de valeur dans l’entreprise. C’est elle qui permet d’investir, de développer l’emploi et de conquérir des marchés.
Il faut espérer que ce qui nous est présenté comme un ambitieux projet de « réforme de la philosophie de l’entreprise » n’aborde pas seulement la thématique de la rémunération collective.
- Impliquer les salariés dans la gouvernance des grandes entreprises
La présence des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance n’a jamais été une tradition du capitalisme français. Cela participe à l’impression qu’il s’y joue une pièce sans l’ensemble de ses acteurs.
Certes, la loi passée sous le précédent quinquennat prévoit deux administrateurs salariés dans les entreprises de plus de 10.000 collaborateurs. Mais, pourquoi réserver cette faveur aux seuls salariés des très grands groupes ? Sans fantasmer sur une transposition en France de la codétermination allemande, il serait pertinent d’introduire trois ou quatre représentants des salariés avec voix délibératives, en évitant de dépasser le tiers des membres, pour les entreprises de plus de 1000 salariés.
- Agir pour la régulation des rémunérations des dirigeants
La question de la rémunération des dirigeants réapparait régulièrement, à l’aune de situations abusives, lorsque quelques-uns s’arrogent des niveaux de rémunérations ou des bonus totalement décolérées de la performance des entreprises qu’ils gèrent. Cela pose une question simple : peut-il y avoir, en la matière, d’éthique sans contrainte ? L’expérience force à en douter.
Le socle minimal pourrait être de publier le ratio d’équité mesurant l’écart de rémunération entre les dirigeants et les salariés, d’instituer au sein du conseil une majorité d’administrateurs indépendants, voire d’institutionnaliser les comités des rémunérations, composés eux-mêmes d’administrateurs indépendants. Il s’agirait aussi de combiner ce contrôle « interne » au conseil avec une implication plus forte de l’assemblée des actionnaires dans la fixation de la rémunération.
- Promouvoir les démarches managériales innovantes
Depuis cinq ans environ, sous l’impulsion de certains théoriciens, des entreprises revendiquent leur « libération » en supprimant des niveaux managériaux et en libérant les énergies. A peine quelques dizaines d’entreprises ont testé cette approche, avec des résultats plutôt décevants.
Cette mode cache pourtant une tendance de fond dans de nombreuses entreprises, de toute taille : davantage d’expression et de marges de manœuvre laissées aux salariés en relation directe avec les clients qui développent leur « intelligence des situations », plus de participation des salariés aux décisions stratégiques, moins de processus et de niveaux dans l’organisation, moins de bureaucratie et des managers au service du développement de leurs équipes. Ces entreprises, comme La Française des Jeux, MAIF ou Crédit Agricole créent un cadre « libérant » qui génère de la performance. Promouvoir ce qui est fait dans ces groupes peut générer un effet « boule de neige » qui permettrait de rendre l’entreprise plus humaine. Le gouvernement pourrait se saisir de cet effort de promotion.
- Un grand débat national sur l’entreprise en 2018
L’entreprise ne peut être exclusivement l’objet de promotion du patronat. Or nos gouvernants se méfient d’elle depuis fort longtemps. La thématique de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), qui a occupé les experts pendant 10 ans autour des années 2000, aurait pu contribué à changer la donne en la positionnant comme un objet du débat politique et en la sortant du strict champ de l’économie.
La persistance du chômage de masse a décrédibilisé le rôle positif de l’entreprise et certains ont voulu l’achever en la présentant principalement comme un lieu de souffrance. Les start-up aux ambiances ping-pong et baby-foot n’y feront rien, aujourd’hui la défiance d’une partie des français vis-à-vis de l’entreprise est grande.
Faut-, pour aborder ces thèmes sereinement et collectivement, initier un « tour de France de l’entreprise », sur le modèle de ce qu’a entrepris Marlène Schiappa pour l’égalité entre les femmes et les hommes ?
L’entreprise n’est pas seulement une convergence d’intérêts et d’actionnaires, c’est aussi pour ses salariés un lieu de construction de l’identité, d’émancipation et, parfois, d’accomplissement de soi.
Nicolas Bourgeois, directeur associé d’Identité RH, enseignant à HEC et à l’Université d’Angers, co-auteur de « Faut-il libérer l’entreprise ? » (Dunod), lauréat du « stylo d’or » remis par l’Association Nationale des DRH.