Diplomatie française : confirmation d’une ligne, esquisse d’une ambition
1 septembre 2017 - Frédéric Charillon, professeur des Universités en science politique, signe une tribune sur la politique internationale d'Emmanuel Macron.
Le premier discours d’Emmanuel Macron devant les ambassadeurs – exercice présidentiel devenu traditionnel depuis 1993 – a confirmé le cap annoncé dès la campagne. Il a également dévoilé des ambitions nouvelles. Enfin ce discours, comme toujours en matière de relations internationales, sera mis à l’épreuve des aléas de la scène mondiale.
- Une ligne européenne, multilatéraliste et humaniste
La nécessaire refondation de l’Europe, la lutte anti-terroriste dans la quête d’un ordre international « collectif, stable et juste », mais aussi l’aide au développement (paramètre essentiel de la question migratoire) et la gestion des biens communs (environnement, droits de l’homme, culture…) ont constitué les piliers du propos présidentiel. On retrouve là à la fois le triptyque du programme de campagne (une puissance indépendante, humaniste, européenne), et la préférence pour le dialogue international dans un cadre démocratique et libéral, plutôt que pour le repli dans un nationalisme autoritaire. Privilégier les solutions collectives et notamment européennes, demeure donc une marque de fabrique macronienne. Le pari est risqué à l’heure où l’unilatéralisme d’estrade fait recette dans le village global, mais il est le fil conducteur du Président. L’équation difficile entre ces trois éléments – Europe, multilatéralisme, humanisme – trouverait, dans la pensée ainsi exprimée, une issue dans l’impératif de protéger. Une Europe qui protège, un multilatéralisme garant de dialogue donc de paix, une diplomatie humaniste pour les victimes d’aujourd’hui qui pourraient être nos drames de demain : telle est la vision proposée.
- Des initiatives pour une diplomatie d’influence
Au-delà des initiatives régionales (pour l’Afrique et notamment le Sahel, la Méditerranée, le Moyen-Orient, pour une relance des relations avec l’Asie…), la préoccupation plus globale de l’influence est apparue omniprésente dans la conférence du 29 août. Préoccupation déjà exprimée par un « parler vrai » diplomatique que l’on a vu à l’œuvre avec les Etats-Unis, la Russie ou la Pologne, et réitéré pour l’occasion (« nous n'avons même plus osé nous réunir […] pour ne pas chagriner, qui les Britanniques, qui les Polonais. Quels remerciements avons-nous à la clé ? Allons ! »). La « voix » de la France, « l’universalisme », les « initiatives majeures », furent autant mots-clé du discours, pour lesquels des éléments de méthode furent aussi proposés, et la diplomatie économique en a été l’un des principaux. Le Président reprend ici ce que nos historiens les plus chevronnés ont déjà souligné avec force, à savoir qu’il n’y a pas de puissance ni d’influence sans économie forte (relisons M. Vaïsse, J. Doise, Diplomatie et outil militaire ; ou R. Frank, La hantise du déclin). Mais l’investissement dans les talents, la diplomatie de conférence, la diplomatie culturelle et universitaire, la francophonie, la diplomatie publique en général, ont constitué des axes forts et moins attendus, qui laissent entrevoir la nécessité qu’il y a à moderniser la diplomatie française. Non parce que celle-ci serait archaïque, mais parce que l’exercice de la politique étrangère doit être aujourd’hui réinventé, en France comme ailleurs.
- L’épreuve des faits
Ceci étant dit, nous savons – car c’est la règle en relations internationales – que la force des intentions, la cohérence de la pensée, doivent toujours traverser un triple obstacle. Le premier est celui des moyens. Le Président a rappelé sa volonté de donner des moyens à ces ambitions. Mais la contrainte budgétaire reste forte, et d’autres acteurs, partenaires (Allemagne) ou plus éloignés (Chine), la subissent moins que nous. Le deuxième obstacle réside dans le comportement de ces autres acteurs, que rien n’oblige à nous faciliter la tâche. L’allié américain s’éloigne du multilatéralisme comme du souci des biens communs, quand d’autres n’ont même jamais songé à y souscrire. Le troisième obstacle enfin, réside naturellement dans les aléas que la vie internationale ne manquera pas de mettre sur la route. Dans les zones évoquées comme priorités, de l’Afrique à l’Asie, des crises pourront survenir, qui s’ajouteront à celles déjà en cours et non résolues, réduisant encore notre marge de manœuvre comme celle de toutes les puissances qui oeuvrent pour la stabilité. La vision prend forme, et elle pourra s’appuyer sur un outil diplomatique reconnu pour sa compétence et son efficacité. Pour le reste, l’état du monde déterminera les marges de manœuvre.
Frédéric Charillon
Professeur des Universités en science politique