Tribune - Marc Ferracci et Philippe Martin : Réponse aux économistes atterrés

11 mars 2017 - En Marche : Un projet économique pour le 21e siècle, par Marc Ferracci et Philippe Martin.

En Marche : Un projet économique pour le 21e siècle

Au nom des Economistes atterrés, Dany Lang et Henri Sterdyniak se livrent à une longue attaque en règle du programme d’Emmanuel Macron. Accumulant les contre-vérités sur le programme lui-même, ils se trompent de diagnostic sur la situation économique française, pour mieux resservir les attaques éculées de la gauche radicale contre toute politique qui ne fait pas de la dépense publique la réponse unique à tous nos problèmes. La présente note vise à répondre à leurs critiques, tout en expliquant la cohérence du projet économique d’Emmanuel Macron à travers trois questions-clé : comment créer de l’emploi ? Comment protéger les personnes ? Comment agir dans la mondialisation ?

Comment créer de l’emploi ?

Sphère publique : mieux d’Etat ou toujours plus d’Etat ?

Sur le plan macroéconomique, notre diagnostic est que le chômage actuel tient en partie à un déficit de demande, hérité de la crise, mais plus structurellement aussi à un mauvais fonctionnement du marché du travail et de notre système de formation, plus ancien que la crise.

C’est pourquoi nous proposons une stratégie macroéconomique qui réponde à ces différentes causes du chômage. Nous voulons sortir du débat stérile et simpliste qui oblige à choisir entre une politique de la demande (censée donner un label de gauche) et une politique de l’offre (censée donner un label de droite).

La réduction de 10% à 7% du chômage se fera pour moitié grâce la réduction du déficit de demande qui s’est ouvert depuis la crise. Ce que les économistes appellent l’output gap, c’est-à-dire l’écart qui s’est creusé entre le niveau de production potentielle et le niveau de production observé, est en train de se réduire. Nous l’estimons autour de 2%, soit un niveau comparable à celui retenu par l’OFCE.

Les dogmatismes de droite sont dangereux. Prélever sur les ménages pour abaisser les prélèvements sur les entreprises, comme le veut François Fillon, ou procéder à un ajustement budgétaire violent casserait, en pénalisant fortement la demande, la reprise modeste que connaît la France. Ce n’est pas notre choix. Nous assumons ce différend avec la Commission Européenne parce que nous ne voulons pas que notre trajectoire budgétaire dans les prochaines années ait un impact négatif sur la croissance. Nous le devrons en partie à la mise en œuvre d’un Plan d’investissement de 50 Mds€ sur le quinquennat centré sur la transition écologique (15 Mds€) et les compétences des jeunes et des chômeurs (15 Mds€). Investir lorsque les taux d’intérêt sont faibles pour accélérer la transition écologique et pour redonner une chance à une génération sacrifiée par la crise est une stratégie économiquement rationnelle. Ce n’est pas un choix orthodoxe, mais c’est un choix pleinement assumée par Emmanuel Macron.

Dans le modèle de solidarité forte, de services publics développés auquel nous tenons, l’exigence indispensable est l’efficacité de la dépense : sinon, le consentement à l’impôt s’effrite et l’ensemble de nos solidarités risque d’être emporté. Contrairement à ceux qui n’ont de cesse d’augmenter toujours la dépense publique, Emmanuel Macron considère qu’on peut réformer la sphère publique pour plus d’efficacité. Diminuer la part des dépenses dans la richesse nationale de 3 points environ entre 2017 et 2022 (de 55 % en 2017 à 52% en 2022) réduira de moitié l’écart entre le niveau de dépenses en France et son niveau moyen actuel de la zone euro (48,5%). Nous voulons conserver nos spécificités, notamment le caractère collectif de la protection sociale, mais réduire nos dépenses courantes pour investir davantage, et préparer l’avenir en accélérant la transition écologique et en concentrant nos efforts sur l’éducation et la formation.

Emploi : offrir des opportunités à chacun ou réserver l’emploi aux plus qualifiés ?

Notre objectif en matière d’emploi est ambitieux. Il s’agit de réduire le chômage, actuellement de près de 10%, à 7% en 2022. Nous attendons de connaître les objectifs des autres candidats pour juger leur degré d’ambition, mais une réduction de 30% du chômage nous paraît un objectif réaliste et audacieux.

Notre objectif de croissance, 1,8% en 2022, est pour autant sérieux et prudent, car nous savons bien que les programmes mensongers préparent des lendemains douloureux, bercés de l’éternelle excuse selon laquelle «la croissance n’était pas au rendez-vous ».

Le seul espoir de baisse du chômage résiderait, à en croire les prises de position habituelles des Economistes atterrés, exclusivement dans une relance par la demande. A ce compte, il est vrai, les travailleurs aujourd’hui exclus du marché du travail, en grande majorité des travailleurs peu qualifiés, n’ont aucune chance de retrouver des emplois : depuis 1983, le taux de chômage français n’est jamais passé en dessous de 7%, et a évolué autour d’une moyenne de 8,8%. Le chômage français n’est donc pas qu’un problème cyclique qu’une politique de relance de la demande suffirait à éliminer.

Certains au sein de la gauche radicale ont d’ailleurs décidé de cesser de se bercer d’illusion : incapables de penser une autre politique que celle qu’ils prônent depuis trente ans et dont ils constatent la vacuité, ils en ont tout simplement déduits que la fin du travail était, pour les plus modestes, inéluctable. Songeons à la position défendue par le candidat du Parti Socialiste, qui prétend, au mépris de la réalité économique d’ensemble, que l’emploi tend à se raréfier, en France comme dans les autres pays industrialisés. Sait-il qu’autour de nous, plusieurs pays sont revenus à un chômage de l’ordre de 5% ?

Un point technique est révélateur de la philosophie économique des économistes atterrés. Ceux-ci considèrent que nos hypothèses de croissance et d’emploi sont incompatibles. Pourquoi ? Parce qu’ils estiment que la productivité devrait croître dans les prochaines années à un rythme soutenu - 0,8% par an. En termes profanes, ils font implicitement l’hypothèse que, dans le nouveau régime de croissance que nous connaissons, seuls les travailleurs les plus qualifiés, les plus productifs, les « gagnants » du système économique, continueront à produire de la richesse. Le haut niveau de productivité moyen français, auquel MM. Lang et Sterdyniak se réfèrent, est en partie un artefact statistique, reflétant l’exclusion des moins qualifiés du marché du travail.

Nous préférons, quant à nous, être prudents sur la croissance de la productivité. Beaucoup d’espoirs ont été déçus ces dernières années, en France et de manière générale dans les pays avancés. Nous préférons ne pas miser sur un redressement spontané du rythme de croissance de la productivité du travail, mais nous croyons qu’il est possible de créer durablement plus d’emplois.

La baisse du chômage requiert des transformations d’ampleur du marché du travail et de la formation. La seconde moitié de l’objectif de baisse du chômage (environ 1,5 point sur les 3 points de baisse) attendue d’ici 2022 viendra donc de ces transformations et des autres mesures annoncées comme les allégements de cotisations renforcés au niveau du Smic. Nous ne prétendons pas que leurs effets seront immédiats, mais elles contribueront à abaisser structurellement le chômage et à accroître le potentiel de croissance de l’économie. Les Economistes atterrés ne partagent pas ce point de vue, eux qui ne voient par exemple dans la proposition d’Emmanuel Macron de favoriser la négociation en entreprise qu’une tentative de faire « imploser le droit du travail ». Ils semblent ignorer que les gains de productivité proviennent en grande partie de la capacité des entreprises à se réorganiser, en adaptant les conditions de travail, les horaires et le niveau de l’emploi. Or les normes édictées au niveau national et même au niveau des branches ne permettent pas toujours de s’adapter à ces besoins et aux aspirations des salariés. Il devrait donc être permis de trouver, sur la base d’accords majoritaires (ou validés par une consultation des salariés s’ils sont seulement signés par des syndicats minoritaires), des compromis entreprise par entreprise. C’est le sens du projet d’Emmanuel Macron, qui au passage ne remet aucunement en cause les principes fondamentaux contenus dans le code du travail. Un exemple permet d’illustrer les possibilités fournies par un cadre de négociation plus souple : à la demande des syndicats, un employeur est prêt à améliorer la complémentaire santé de ses salariés, mais doit pour cela dégager les ressources nécessaires. Un accord d’entreprise lui permettra de réduire les primes d'ancienneté à un niveau inférieur à ce que prévoit la convention collective, dans une logique "donnant-donnant".

En matière de formation professionnelle, les Economistes atterrés font également assaut de simplisme en dénonçant le penchant supposé d’Emmanuel Macron à verser dans le « mythe » de la formation des chômeurs et des jeunes les moins qualifiés, comme si celle-ci n’avait aucune efficacité. Dans un pays où 80% des demandeurs d’emplois n’ont pas plus que le bac et où le diplôme reste une protection efficace contre le chômage, le caractère péremptoire de cette affirmation pourrait prêter à sourire, si les enjeux n’étaient pas aussi lourds.

Il est vrai que notre système de formation fonctionne mal, et que l’impact des formations, en termes d’insertion professionnelle ou d’accès aux titres et diplômes, est souvent incertain. Dans ce contexte investir massivement dans la formation, comme le propose Emmanuel Macron, requiert une refonte profonde du système d’apprentissage et de la formation continue, au terme de laquelle l’efficacité des organismes formateurs sera systématiquement attestée par leur performance en termes d’accès ou de retour à l’emploi.

Croissance : innovation ou statu quo ?

Ces emplois ne se créeront pas n’importe où, n’importe comment. Ils se créeront en s’appuyant sur la transition écologique, ils se créeront grâce à une réforme fiscale favorable à l’innovation.

Sur la transition écologique, les auteurs affirment que rien n’est dit dans le programme. Ont-ils réellement lu ce dernier ? L’effort mis sur la question écologique dans le plan d’investissement (15 Mds€ sur 50 Mds€) en particulier pour aider les ménages modestes à se débarrasser des voitures les plus polluantes et isoler leurs habitations, et pour accélérer la rénovation thermique des bâtiments publics, la montée en puissance de la taxe carbone pour atteindre 100 €/tCO2 en 2030, la fermeture des centrales à charbon restantes en 5 ans, l’interdiction de l’exploration des gaz de schiste, le financement du développement des énergies renouvelables (avec pour objectif d’ici à 2022 de doubler la capacité en éolien et en solaire photovoltaïque), la réduction de notre dépendance à l'énergie nucléaire, avec l'objectif de 50% d'énergie nucléaire à l'horizon 2025, la lutte contre l’obsolescence programmée, l’alignement de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence pendant le quinquennat, la fiscalité carbone… Non rien n’est dit en effet… C’est en fait une transformation complète de notre mode de production et de croissance que propose Emmanuel Macron.

Quant à la taxation du capital, elle doit être repensée pour favoriser l’investissement. La France a aujourd’hui la taxation du capital la plus élevée en Europe. Selon Eurostat le taux d'imposition du capital (impôts payés rapportés à la mesure de l’assiette d’imposition) est de 46,9 % en France, le plus élevé en Europe et bien supérieur à celui de l’Allemagne (22,2 %) et de la Suède (30,6 %) par exemple. La France taxe le capital à sa détention (ISF, Taxe foncière), à sa transmission (impôt sur les successions), en cas de cession (droits de mutation, régime des plus-values) et en cas de revenus générés (prélèvements directs sur les loyers, les dividendes, les intérêts perçus). La taxation du capital privilégie l'immobilier par rapport au capital investi en actions, la rente plutôt que la prise de risque, la détention plutôt que la transaction. Nous assumons pleinement que l’investissement productif doit être encouragé et nous n’acceptons pas que notre capital soit progressivement détenu par des investisseurs étrangers moins taxés. Emmanuel Macron propose donc de simplifier et de diminuer la taxation du capital productif. L’Impôt de Solidarité sur la Fortune ne concernera plus l’investissement qui sert l’économie (actions, parts, titres d’entreprises). Il sera remplacé par un Impôt sur la Fortune Immobilière, qui reposera uniquement sur les biens immobiliers, dans les mêmes conditions et aux mêmes taux que l’ISF aujourd’hui. Un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de l’ordre de 30% sera appliqué à l’ensemble des revenus tirés du capital mobilier (intérêts, dividendes, plus-values mobilières etc.) comme c’est le cas dans de nombreux pays européens, la Suède par exemple.

Comment protéger les personnes ?

Assurance-chômage 

S’agissant de l’assurance chômage, MM. Lang et Sterdyniak dénoncent d’emblée la réforme portée au motif qu’elle n’aurait pas reçu l’aval des partenaires sociaux. Critique surprenante, qui voudrait qu’un projet destiné à être soumis au vote des citoyens ait au préalable reçu l’onction des représentants des salariés et des employeurs...

La proposition d’Emmanuel Macron vise en réalité à donner à l’Etat les moyens d’assumer sa responsabilité politique à l’égard du chômage et de la précarité. A l’heure actuelle, les règles de l’assurance chômage, négociées par les partenaires sociaux, engendrent une précarité subie en favorisant la récurrence au chômage, et en n’incitant nullement les entreprises à limiter l’utilisation qu’elles font des contrats courts. Le coût de cette précarité est colossal : les CDD et l’intérim présentaient en 2015 un déficit de près de 8 milliards d’euros, soit deux fois le déficit de l’Unédic.

La proposition d’Emmanuel Macron d’introduire un système de bonus-malus sur les cotisations patronales d’assurance chômage vise à répondre à cette situation, en responsabilisant les employeurs sur la rotation de leurs emplois. Alors qu’une partie du patronat est farouchement opposée à toute idée de taxation des contrats courts – qui serait pourtant moins contraignante que le bonus-malus, car celui s’applique aussi bien aux CDD qu’aux CDI- MM. Lang et Sterdyniak souhaiteraient quant à eux que l’Etat reste dans une prudente réserve, et s’abstienne d’intervenir dans la définition des paramètres de l’assurance chômage. Ce faisant, ils ignorent délibérément les dommages collatéraux associés à la précarité de l’emploi, qui réduite l’accès au logement, au crédit, ou à la formation professionnelle.

Le projet d’Emmanuel Macron vise enfin à ouvrir l’assurance chômage aux salariés démissionnaires et aux indépendants. Cette orientation donnera aux premiers la capacité de quitter un emploi en cas de désaccord avec leur employeur et leur confèrera donc un pouvoir de négociation accru. Aux seconds, elle ouvrira la capacité à prendre le risque de l’entrepreneuriat de façon plus sereine, ou bien constituera une protection contre les situations d’indépendance subie que vivent nombre de travailleurs.

Selon MM. Lang et Sterdyniak ce projet serait pourtant incohérent, en tant qu’il romprait avec un système purement assurantiel. Faut-il leur rappeler qu’une partie de la protection sociale est de longue date fiscalisée, au travers de la CSG ? La logique de la réforme promue par Emmanuel Macron consiste à étendre cette logique à la sécurité professionnelle, en s’intéressant moins au jardin à la française que constitue l’édifice institutionnel de notre système, qu’à ce que vivent les citoyens dans leur quotidien. Alors que nombre de salariés connaissent des conditions de travail dégradées, et que l’emploi non salarié progresse, il est juste de donner à chacun la capacité de mieux vivre le passage par le chômage qu’implique une reconversion, ou un échec entrepreneurial. Plus largement, il s’agit de construire un cadre unifié pour le travail de demain, qui ignorera de plus en plus les frontières entre les statuts d’indépendant, de salarié du privé et de salarié du public.

Quant au financement de ces mesures, rassurons MM. Lang et Sterdyniak : il est largement accessible en conservant un taux de remplacement similaire à celui qui prévaut actuellement, mais en jouant de façon équilibrée sur les paramètres de l’indemnisation, comme le font régulièrement les partenaires sociaux. Par exemple, mettre fin aux abus de la « permittence » réduira la précarité et permettra des économies sur les allocations chômage. Nul besoin, donc, d’agiter le spectre d’un futur niveau d’indemnisation « britannique ».

Retraites

Les auteurs font, de la même manière, une présentation caricaturale de la réforme des retraites, ponctuée d’erreurs factuelles – dont ils sont probablement parfaitement conscients.

Nous proposons d’utiliser les mêmes règles de calcul dans tous les régimes, selon le principe qu’un euro cotisé, quel que soit le statut, quel que soit le moment de la vie professionnelle, donne in fine les mêmes droits à pension. A chaque instant, chacun connaîtra l’ensemble de ses droits à la retraite. On ne craindra rien en changeant d’activité. On ne perdra rien à avoir eu une carrière différente de la norme. Chacun pourra changer de statut sans devoir s’inquiéter des conséquences pour sa retraite.

Utiliser les mêmes règles de calculs des pensions de retraite vise aussi à mettre fin aux soupçons d’injustice entre régimes et au caractère délétère des oppositions catégorielles. Si le système actuel ne présente pas de grande injustice entre privé et public, alors pourquoi ne pas le mettre en évidence, au lieu de désigner les fonctionnaires, à chaque fois, comme des privilégiés?

La réforme proposée maintient les taux de cotisation actuels, différenciés selon le niveau de salaire et, dans la fonction publique, selon que les rémunérations sont sous forme de traitement ou de primes : il n’y aura donc aucune baisse du taux de remplacement pour aucune catégorie !

MM. Sterdyniak et Lang prétendent que le caractère progressif du système actuel sera réduit. Là encore, c’est une erreur factuelle : les dispositifs non-contributifs (pour période de chômage, pour maladie, droits pour les femmes ayant élevé des enfants, etc.) seront maintenus. La seule mais grande différence avec le système actuel : ils seront transparents et contribueront toujours à augmenter la retraite de leur bénéficiaire, ce qui n’est pas le cas actuellement où une femme ayant commencé à travailler tôt ne bénéficie pas de ses droits familiaux. Au contraire de ce que prétendent les auteurs, cette réforme a le potentiel de réduire plus efficacement les inégalités face à la retraite.

Alors, est-ce si absurde de prendre en compte l’évolution de la durée de vie en retraite de façon progressive ? MM. Sterdyniak et Lang préfèrent-ils les réformes brutales de l’âge de la retraite ? Ou est-ce que leur préférence va à la ritournelle répétée de la faillite de nos régimes de retraite en répartition afin de réduire encore plus la confiance des jeunes générations dans la pérennité de nos régimes ? La réforme proposée vise à mettre un terme aux réformes à répétition en mettant en place un système par répartition équilibré sur le long terme.

Education

Quant à l’affirmation de MM. Lang et Sterdyniak selon laquelle « les jeunes sont mieux formés que jamais », elle laisse tout bonnement pantois. Notre pays est celui où le parcours scolaire des élèves à 15 ans est le plus déterminé par l’origine sociale de leurs parents. Selon les enquêtes de l’OCDE (PISA), la part des élèves issus des familles les plus modestes qui parviennent à se classer parmi les meilleurs a été divisée par trois en une décennie. Nos écoliers se classent en queue de peloton en mathématiques et en sciences, 40% des élèves sortent de l’école primaire avec des acquis fragiles, et 110.000 élèves quittent chaque année le système scolaire sans diplôme et peinent à trouver ensuite leur place sur le marché du travail. Face à la myopie de MM. Lang et Sterdyniak, c’est à notre tour d’être atterrés.

Comment agir dans la mondialisation ?

Aucune, ou presque, de nos politiques économiques ne peut désormais être pensée hors des défis que nous pose la mondialisation, hors des comportements de nos principaux partenaires. Ces questions sont particulièrement saillantes au sein de la zone euro.

Sur ce plan, les deux auteurs accusent Emmanuel Macron de ne pas « remettre en cause les catastrophiques politiques d’austérité imposées par les instances européennes » La réalité est tout autre. Dans une interview parue dans Les Echos du 27 février, E. Macron déclarait en effet : « Face à la crise, l'Europe s'est enfermée dans une politique économique inadaptée s'engageant dans une politique d'austérité à contretemps alors que les Etats-Unis ont opté bien plus efficacement pour une relance temporaire ». Sur la base de ce constat implacable, le candidat s’est prononcé à plusieurs reprises pour une relance de l’investissement en Europe, appuyé sur un budget commun, contrôlé démocratiquement par un Parlement de la zone euro.

Contrairement à ce qu’affirment Dany Lang et Henri Sterdyniak, le budget de la zone euro peut être mis en place rapidement entre les pays de la zone qui veulent aller plus loin dans l’intégration. La décision ne nécessite pas nécessairement l’unanimité des pays de l’UE, puisqu’il s’agira d’un budget différent. MM. Lang et Sterdyniak confondent visiblement le budget de l’UE et celui de la zone euro. Cette confusion en cache une autre, plus fondamentale : on ne peut considérer que l’Europe a besoin d’une relance de l’investissement, tout en lui contestant les moyens politiques et financiers de cette relance.

Il est tout aussi inexact d’affirmer qu’Emmanuel Macron serait favorable, en échange d’un budget de la zone euro, à l’abandon par les Etats de toute autonomie en matière de politique budgétaire. Nous défions MM. Lang et Sterdyniak de trouver trace d’une telle déclaration. En fait, E. Macron a critiqué à plusieurs reprises le manque de lisibilité et de souplesse des règles budgétaires actuelles (Il a notamment qualifié la politique budgétaire de la zone euro de « mauvaise »).

En réalité, derrière des arguments d’estrade, les économistes atterrés semblent considérer que l’Europe n’est acceptable que si elle se rallie aux choix politiques de la gauche radicale française.

Cette position aboutit logiquement à la sortie de l’UE. Elle devrait être assumée.

La même logique les amène à s’opposer à l’harmonisation fiscale au motif qu’elle n’obligerait pas tous les pays à adopter les taux d’imposition français des profits et des revenus du capital qui sont parmi les plus élevés en Europe. Nous défendons au contraire la nécessité d’une harmonisation fiscale, car c’est l’absence actuelle de règles qui produit la concurrence fiscale et la délocalisation des bases fiscales. La logique de l’harmonisation fiscale n’est pas d’imposer à tous les Etats d’élever leurs taux d’imposition jusqu’au niveau français ou de les abaisser au niveau le plus bas, mais de réaliser le niveau de convergence adéquat pour que les choix de localisation des entreprises ne se fasse plus en fonction des avantages fiscaux. Elle est aussi que, face à la montée des inégalités générée par la mondialisation et les mutations technologiques, les pays européens puissent préserver leur base fiscale et réagir en finançant leur système de protection sociale.

CONCLUSION

La société française est profondément déstabilisée par trois décennies de chômage de masse, un effondrement des taux de croissance et un éclatement du monde du travail.

Face à la mondialisation, à la révolution numérique, à la transformation écologique, notre système économique et social n’a su offrir ni perspectives de progrès, ni protections légitimes.

Nous sommes victimes de la coalition des conservatismes. Le conservatisme de droite s’acharne, depuis plusieurs années, à démanteler une à une chacune des protections et des régulations pour ne servir que les gagnants du monde comme il va. Le conservatisme de gauche, dont MM. Lang et Sterdyniak sont les dignes représentants, s’évertue à prévenir l’émergence de tout nouveau modèle.

Notre Etat Providence, notre compromis économique et social, déjà moribond, en partie inefficace, est ainsi dépecé sans que rien ne vienne le remplacer.

Nous savons pourtant que nous devons inventer de nouvelles réponses au chômage, en refusant que les emplois ne soient plus occupés que par les personnes les plus employables : pourtant, le conservatisme de gauche préfère capituler. Face à l’éclatement du monde du travail, rendre l’assurance-chômage ou les retraites moins dépendantes des statuts, plus universelles et plus protectrices, est une ardente nécessité. Pourtant, le conservatisme de gauche préfère toujours défendre les institutions plutôt que les personnes. Nous savons que nous devons désormais réguler à l’échelle européenne, pour peser dans la mondialisation : pourtant, le conservatisme de gauche préfère encore croire que nous pourrons imposer seuls nos préférences à l’ensemble du continent, plutôt que de forger les compromis démocratiques nécessaires.

A l’heure où, partout, les populismes de droite frappent à la porte du pouvoir, ces débats ne sont plus théoriques. Chacun doit désormais faire face à ses responsabilités.




Marc Ferracci est professeur à l’Université Panthéon Assas ; Philippe Martin est professeur à Sciences Po. Tous deux sont conseillers économiques d’Emmanuel Macron.

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