Discours de Reims
17 mars 2017 - Retranscription du discours d'Emmanuel Macron à Reims.
Discours d'Emmanuel Macron à Reims
Bonjour Reims ! Bonjour à toutes et tous.
Merci d’être là. Merci à vous.
Je suis très heureux d’être là ce soir, à Reims, avec vous, avec tous nos amis marcheurs et marcheuses. Merci cher François, d’être là aujourd’hui, après le choix, le geste fait il y a plusieurs semaines. Merci chère Marielle, cher Jean-Jacques, et puis merci chère Aïna et cher Jacques - vous pouvez les applaudir - pour vos mots, cher Jean-Baptiste aussi, puisque Jean-Baptiste LEMOYNE est avec nous et nous a rejoints il y a quelques jours. Et merci à vous, qui, depuis les premiers jours, depuis le mois d’avril dernier, avec constance, ferveur, avez fait monter cette vague qui fait qu’aujourd’hui, nous nous retrouvons à Reims et qu’aujourd’hui nous sommes à quelques jours de ce premier tour de l’élection présidentielle et que nous sommes bien là, avec la volonté chevillée au corps, non pas d’en découdre, mais de gagner!
Il est en France des lieux où la vague de l’Histoire imprime sa marque et Reims en est un. Un de ces lieux où les repères pour tous et où la mémoire de chacun sont profondément marqués par ce qui s’y est passé. Ici, les rois de France ont été sacrés, traçant la lignée millénaire qui éclaira l’Histoire de notre pays. Ici, la Grande Guerre a noirci les pierres, décimé les familles françaises, meurtri nos paysages. Ici, le 7 mai 1945, les généraux nazis signèrent la capitulation sans condition. Ici, surmontant l’épreuve de l’Histoire et du sang, surmontant même ce que sans doute leurs peuples avaient en tête, Charles DE GAULLE et Konrad ADENAUER se tinrent côte à côte, debout et fiers, pour sceller la réconciliation de leurs peuples et dessiner l’avenir du continent européen. Ici, dans la cathédrale qui se trouve à quelques pas, la culture française s’est nourrie des apports du monde entier - comment oublier Marc CHAGALL dans cette ville ? Ici, notre Histoire vibre. Toute notre Histoire. L’Histoire d’avant la Révolution et d’après la Révolution. Cette Histoire millénaire et cette Histoire de notre siècle. Et comment, d’ailleurs, tout en parlant de cette Histoire et de notre culture, oublier aussi que c’est dans cette ville que Raymond KOPASZEWSKI, le jeune Français né polonais, venant de Noeux-Les-Mines, allait s’illustrer dans le football avant de traverser les Pyrénées, cher François, pour ensuite briller en Espagne. Ici bat le coeur, le coeur de la France, cette France qui est la nôtre, cette France qui est la mienne, cette France qui est et doit être le principal, le seul sujet de cette élection présidentielle.
Et je suis venu ce soir partager deux convictions profondes avec vous. La première, c’est que le projet qui est le nôtre, le projet que j’ai l’honneur de porter en votre nom pour cette élection, celui de bâtir une France nouvelle, répond à nos défis contemporains et est à la hauteur de cette Histoire. Et la deuxième conviction, c’est que nous ne pouvons gagner que si nous savons enraciner, inscrire ce projet dans ce que nous sommes profondément, que si nous savons réconcilier les Français avec le peuple que nous sommes.
Ce projet que je porte avec vous pour cette France qui veut vivre, rester debout, nous l’avons présenté il y a quelques semaines. Ce fut le fruit de votre travail, de votre mobilisation, pendant des semaines et des mois. C’est ce projet progressiste, celui qui vise à faire entrer la France dans ce siècle qui s’ouvre, à donner une place à chacune et chacun, à le faire réussir alors que tant de bouleversements apparaissent - la révolution numérique, la transformation écologique, le risque terroriste - et que beaucoup voudraient se replier, considérer que notre temps, pour les uns, est passé, que le risque est trop grand, ou voudraient reconvoquer les recettes d’hier ou d’avant-hier. Rien de cela n’est possible. Le projet qui est le nôtre, notre projet progressiste, il repose sur les six chantiers, ce socle que j’ai présenté il y a maintenant quelques semaines et qui est le coeur de ce contrat que je passe avec le peuple français.
Le premier chantier, c’est celui de la culture et de l’éducation. Il est le coeur de mon projet et j’y reviendrai dans quelques instants parce qu’il est le coeur de ce que nous sommes. Mais c’est à la fois transmettre nos valeurs, notre Histoire, et, en même temps, libérer chacune et chacun. Parce qu’il n’y a pas de parcours dans la République, il n’y a pas de capacité à s’émanciper de l’endroit d’où l’on vient, s’il n’y a pas une école de la République qui fonctionne, s’il n’y a pas la capacité à construire dans nos villes, dans nos quartiers, dans notre ruralité, un parcours qui fait progresser. C’est à la fois la transmission et l’émancipation.
Le deuxième chantier, c’est celui de la société du travail. C’est notre volonté à la fois de libérer et de protéger nos concitoyens. Il n’y a pas de France qui se relèvera, qui, justement, embrassera ce siècle qui s’ouvre si ce n’est par le travail. Notre projet, ce n’est pas de promettre des revenus quels qu’ils soient dans l’oisiveté, ce n’est pas un projet de défaite face aux changements qui adviennent. C’est celui par lequel chacune et chacun pourra avoir sa place, défendre ses chances dans et par le travail, parce que le travail, c’est à la fois une valeur, mais c’est ce qui permet de construire sa propre place, d’où qu’on vienne, quelle que soit la famille de départ. C’est pour cette raison qu’au coeur de notre projet il y a une transformation profonde de nos règles, de notre Code du travail, non pas pour le jeter aux orties, ni pour le protéger - parce qu’aujourd’hui, il exclut - ni pour considérer qu’il faudrait tout balayer en proposant la liberté de quelques-uns contre les droits des autres, mais en le simplifiant et en redonnant tout son sel à la République contractuelle que nous devons construire, en redonnant toute sa place au dialogue social. Dans l’entreprise et dans la branche, la simplification que nous portons, c’est celle-là. Émanciper par le travail, c’est aussi simplifier la vie de nos concitoyens d’une bureaucratie qui parfois les écrase - je crois comprendre qu’il y a des victimes, dans la salle. C’est pour cela que nous supprimerons le RSI ! C’est pour cela que nous simplifierons drastiquement les règles de l’entrepreneuriat ! Parce que c’est une nécessité. Parce que c’est par cette voie que les Françaises et les Français venant de villes moyennes ou des quartiers peuvent construire, justement, ce chemin par le travail.
C’est pour cette même raison que notre projet, cher Patrick, est aussi un projet pour l’apprentissage, avec la simplification, là aussi, de nos règles, en un contrat unique, avec la suppression des charges aujourd’hui qui n’existe que jusqu’à dix-huit ans pour les TPE, et que nous devons étendre jusqu’à vingt-cinq ans pour toutes les petites entreprises. Et c’est ce projet qui fait que nous continuerons à porter une politique de compétitivité exigeante, rigoureuse, pour que nos entreprises puissent innover et employer. Mais pour que chacune et chacun dans notre pays puisse mieux vivre de son travail, puisse gagner davantage par son travail.
Je suis, comme vous, las d’entendre trop souvent : certaines ou certains pensent qu’on pourrait mieux vivre sans travailler. Mais je ne supporte pas non plus le discours porté par quelques-uns qui consisterait à dire que l’ennemi de l’emploi serait le salaire digne : ça n’est pas plus acceptable. Et donc, ce que nous proposons, c’est une transformation en profondeur de notre organisation, de nos équilibres, pour financer notre protection sociale non plus par le travail, mais par l’impôt, pour l’organiser différemment et pour permettre de réconcilier une politique de compétitivité, une ambition industrielle dans un monde ouvert et, en même temps, un salaire digne et le pouvoir d’achat pour celles et ceux qui travaillent.
C’est pour cette même raison que notre projet est aussi, en même temps qu’il libère, un projet qui protège. Entrer dans le XXIe siècle, ça n’est pas prétendre aider quelques-uns qui réussissent déjà à réussir mieux ! C’est les y encourager, certes. Mais c’est donner la possibilité à chacun d’y avoir sa place. Et donc aussi protéger les plus faibles, aussi aider ceux qui, parfois, n’y trouvent pas leur place. C’est pour cela que le projet que nous portons revoit en profondeur notre assurance chômage pour en faire une allocation universelle faite de droits, mais aussi de devoirs. C’est pour cela que la formation continue sera, elle aussi, revue en profondeur, non pas pour défendre les intérêts de quelques-uns, mais pour former celles et ceux qui en ont le plus besoin, qui sont le plus loin de l’emploi, qui sont souvent les moins qualifiés, et dont la capacité à retrouver un rôle et une place passe par cet investissement indispensable de la Nation. Et donc le rôle de l’État, pour construire une vraie sécurité professionnelle du XXIe siècle, c’est bien d’avoir une formation continue dispensée à celles et ceux qui sont au chômage, dans l’intérim, dans les contrats précaires, plutôt que celles et ceux qui sont déjà bien formés. Et c’est aussi pour cela que notre projet, depuis le début - je dis “depuis le début” parce que, parfois, dans certains projets, il y a eu des errements, des retours, des tâtonnements regrettables, sur ce sujet en particulier - mais depuis le début, c’est un projet qui défend la santé de chacune et chacun. Parce qu’il n’y a pas de société du travail s’il n’y a pas une protection de chacun quant à sa santé. Donc la transformation de notre système de santé pour plus de prévention, pour un meilleur remboursement des soins et en particulier des petits soins, pour une meilleure organisation de notre santé et de notre système de santé, et un hôpital restauré dans lequel, enfin, on investit, un hôpital réconcilié avec la médecine de ville, un hôpital qui sort de la tarification à l’activité, parfois absurde, et devenue une oeillère, tout ce projet qui est le nôtre pour la santé, il est aussi indispensable, parce que c’est la sécurité au quotidien de chacune et chacun. Libérer et protéger, c’est le socle de cette société du travail que nous voulons.
Le troisième chantier, c’est celui de la modernisation de notre économie. Le modèle de croissance que nous devons inventer, qui est en train, aujourd’hui, d’advenir, mais que nous devons encourager, accélérer, c’est celui d’une économie du numérique et de l’écologie. Nous ne créerons pas un modèle de croissance en revenant aux solutions d’hier. En aucune façon. Alors, pour cela, nous devrons prendre des décisions rigoureuses, ambitieuses. Celle, évidemment, de construire des économies sur cinq ans - c’est le programme que, là aussi, j’ai présenté : 60 milliards d’économies sur le quinquennat -, en construisant aussi une nouvelle gouvernance, une autre façon de les faire, en responsabilisant les ministres, en responsabilisant les acteurs de santé, en construisant un pacte véritable avec l’ensemble des collectivités locales.
Mais nous devons, dès le premier jour, tenir ce sérieux budgétaire, parce que ne pas le tenir, c’est décider de condamner notre modèle productif, notre modèle de croissance, notre capacité à faire, pour aujourd’hui et pour demain. C’est accepter la fatalité de la dette. C’est accepter le fait qu’aujourd’hui, un jeune enfant qui naît, comme votre enfant, Madame, eh bien il commence la vie avec une dette qui équivaut à ce que nous produisons durant une année. Il n’a pas demandé cela. C’est le fruit de choix auxquels il n’a pas participé. C’est sa contrainte déjà, et vous entendez, peut-être, qu’il proteste ! Et il proteste parce qu’il comprend. Et comme il comprend, il nous le reprochera. Et donc oui, il n’y a pas de croissance véritable, de production d’industrie durable, si dans notre pays nous ne savons pas, enfin, traiter de manière responsable de ce sujet de la dette. Oh je sais que pour beaucoup, c’est un combat de plusieurs années ou de plusieurs décennies - cher François, je crois vous avoir parfois entendu sur ce point, il se peut que dans des campagnes présidentielles précédentes, vous avez porté ce flambeau parfois bien seul. Il est aujourd’hui aussi indispensable qu’hier.
Mais en même temps que nous devons avoir cette politique exigeante, il est indispensable de porter une volonté d’investissement. De la même façon. C’est pour cela que le projet qui est le nôtre, ça n’est pas un projet d’irresponsabilité budgétaire ou de finances magiques - je l’entends parfois, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite : on rentrerait dans une forme de géométrie qui ne correspond plus aux normes auxquelles nous étions habitués, l’ennemi devient “le banquier”, parfois “la finance”. Simplement, cet ennemi-là, il nous paye nos fins de mois durant tout le dernier trimestre. Ne l’insultons pas trop : tâchons d’abord d’être indépendants, relisons MOLIÈRE, il suffira de voir qu’on peut commencer à mal parler à celles et ceux qui nous font crédit quand nous n’en avons plus besoin.
Mais de l’autre côté, je vois un projet, le projet d’une droite dure, devenue réactionnaire, qui dit quoi ? Qui nous dit d’abord des choses qui bougent un peu chaque jour. Qui nous dit : “les économies seront dures et la réforme radicale, mais nous ne toucherons pas à la santé, nous ne toucherons pas vraiment à la fonction publique, nous ne toucherons pas aux collectivités locales, nous ne savons pas à quoi nous toucherons mais nous serons radicaux”. Qui porte ce projet ? Celui qui déclarait la France en faillite à l’été 2007 ? Ou celui qui la rendait, cinq ans plus tard, avec 600 milliards de dettes en plus ? Nul ne sait - ne sifflez pas, ne sifflez pas, c’est leur habitude de siffler, ils nous sifflent abondamment, ne leur rendez pas ce plaisir, et ne vous confondez pas à leur indignité. Mais quand bien même cette ambition nouvelle, apprise après cinq ans à l’exercice du pouvoir, serait réelle, c’est un projet qui condamne la génération qui advient de la même façon, parce que c’est un projet qui ne porte que des économies qui sont là pour financer des baisses d’impôts à quelques-uns.
Or, construire un modèle de croissance nouveau, construire pour le siècle qui advient, c’est aussi décider d’investir, d’investir pour nos classes moyennes, d’investir pour celles et ceux qui vont bâtir la France de demain ! Donc à côté de ces économies, nous devons avoir de l‘ambition, pour la redistribution et pour l’investissement, c’est cela l’équilibre de notre projet. Et donc oui, face à nos économies, nous aurons une politique de redistribution, et une politique pour les classes moyennes. C’est pour cela que j’ai annoncé, il y a quelques semaines maintenant, la suppression pour 80% des Françaises et des Français de la taxe d’habitation, en préservant les finances locales, en préservant l’autonomie fiscale de nos communes, mais en actant la nécessité de donner une part de cet effort fait aux classes moyennes qui en ont tant besoin, acter que construire l’avenir, c’est leur permettre de respirer davantage qu’elles ne le peuvent aujourd’hui.
Et ça n’est pas donner à quelques-uns : c’est donner aux Françaises et aux Français qui vivent bien souvent dans les villes moyennes, dans les villes centres, qui portent toute la charge - Pau en est un bel exemple -, c’est vivre dans la France que certains appellent “périphérique” - qui est le coeur français ! - c’est vivre dans la ruralité, et ce sont nos classes moyennes dans lesquelles, là aussi, nous devons investir. Mais, dans le même temps, c’est pour cela que nous avons décidé un plan d’investissement de 50 milliards sur cinq ans. Ce plan d’investissements, c’est celui qui va nous permettre, en investissant dans les énergies renouvelables, dans le numérique, dans l’hôpital et l’État aussi, de moderniser notre économie, de moderniser nos infrastructures, et d’accompagner cette transformation que beaucoup d’entre vous, ici, font vivre. C’est faire advenir des secteurs nouveaux dans notre économie. C’est faire advenir de nouvelles formes d’énergie, de nouvelles organisations, une infrastructure numérique dont nous avons tant besoin et qui garantit l’accès de tous les territoires, de chacune et chacun, à ces nouvelles formes. C’est cela, le choix que nous faisons aussi, d’investir pour notre pays.
Le quatrième chantier qui sera le nôtre, c’est celui de la sécurité de notre Nation, avec un fil rouge : l’efficacité et le pragmatisme. Le coeur de la mission du président de la République, c’est évidemment de protéger ses concitoyens. Et la sécurité, après ce que la France a vécu durant ces dernières années, est un élément indispensable de la fonction et du contrat que je veux passer avec les Français. Ne cherchez pas, dans le projet qui est le nôtre, des symboles, des raccourcis ou la trahison de nos valeurs. Point n’est besoin, pour protéger les Français, de proposer la déchéance de nationalité pour quelques-uns. Point n’est besoin de proposer de baisser la majorité pénale à seize ans. Point n’est besoin de courir après le Front National : beaucoup l’ont déjà fait et sans résultat. Par contre, ce que nous portons, c’est la volonté d’être efficaces et intraitables. Intraitables d’abord, à l’égard du terrorisme islamiste, à l’égard de toutes les formes terroristes qui, au-delà de nos frontières, menacent nos concitoyens. Je détaillerai demain, à Paris, le coeur de notre stratégie de défense, et les engagements concrets et précis que je prendrai en la matière. Nous poursuivrons un investissement fort pour la défense française, pour nos militaires qui, aujourd’hui, au Proche et Moyen-Orient, comme en Afrique, se battent pour protéger nos concitoyens - vous pouvez les applaudir.
Mais cet engagement c’est aussi celui d’inscrire cette défense française dans une feuille de route diplomatique rigoureuse, dans une diplomatie française dont la finalité permanente est de construire la paix et assurer la stabilité des États. De la même façon, à l’intérieur de nos frontières, je serai intraitable en matière de sécurité. Je veux restaurer l’autorité de l’État et l’autorité dans l’État et n’avoir, pour ce faire, aucune tolérance, ni à l’égard des délinquants, quels qu’ils soient, ni à l’égard des excès, quand ils sont là, de nos forces de police. Le projet qui est le nôtre, là aussi, passe par des engagements clairs : 10 000 policiers et gendarmes, la création d’une police de sécurité quotidienne, de nouveaux moyens pour agir, concrètement, sur le terrain, un pouvoir d’amende immédiate face aux infractions du quotidien, un pouvoir d’injonction d’éloignement du territoire, une réorganisation en profondeur de notre renseignement pour lutter efficacement contre l’ennemi. Et tout cela ne se construit - j’en ai parlé, il y a quelques jours, à Lille - qu’avec un projet exigeant et rigoureux pour notre justice. Tout cela ne se construit que si, en même temps, nous continuons à investir dans la justice, à défendre l’indépendance de la justice française, à lutter contre toute idée, même baroque, de trêve pour quelques-uns quand on prétend être intraitable pour tous. Et un projet pour une justice efficace, plus proche de nos concitoyens, avec les engagements que j’ai pris, en la matière, en début de semaine.
Le cinquième chantier sera celui - allez-y Monsieur, alors non, vous savez, je veux bien donner la parole au public, mais pas aux gens qui ne peuvent pas rester jusqu’à la fin, donc vous avez raté la captatio benevolentiae, je veux bien mais je ne vais pas interrompre mon discours pour répondre à une question de quelqu’un qui ne reste pas jusqu’à la fin et donc je referai des questions-réponses, vous pouvez rester jusqu’à la fin et, à la fin, je vous réponds directement, mais je ne vais pas, par courtoisie pour toutes celles et ceux qui restent jusqu’à la fin, venir répondre à une question sur l’évasion fiscale ! Donc j’en parlerai dans deux minutes sur l’Europe. Parce que à la fin, vous savez, on peut aimer l’esprit participatif et démocratique, mais tenir à rester le maître des horloges.
Le cinquième chantier, ce sera celui du renouveau démocratique. Le renouveau démocratique, vous le faites vivre depuis des mois. C’est le renouvellement profond que nous portons. C’est cette recomposition de la vie politique française que vous illustrez, qui nous fait, qui fait que je me retrouve devant vous, ce soir, aujourd’hui. Beaucoup ne l’ont toujours pas compris. Ils pensent que c’est une passade, une parenthèse, que la vie politique va reprendre ses droits. Comme vous, je les entends chaque jour. Ils pensent qu’ils sont en train de prendre des jetons pour venir récupérer ce que vous avez fait. Ils pensent que le renouveau, c’est une idée de printemps, mais ça ne dure pas en été. Ils n’ont pas compris la profondeur historique de ce qui est en train de se passer dans la vie politique française. Ils n’ont pas compris que ce que nous représentons, ce que vous portez, et dont je suis, en quelque sorte, le prétexte, la face émergée, c’est un renouvellement profond de la vie politique française, et que nous irons au bout !
Et donc, mes amis, je serai le garant de cette promesse en matière d’indépendance et de renouvellement véritables. Nous tiendrons nos promesses, nos engagements de renouvellement, dans les investitures aux législatives, mais plus largement, dans les usages et les pratiques qui seront les nôtres, parce que oui, ce renouveau démocratique, c’est aussi celui de la moralisation de la vie politique, c’est aussi le socle de notre alliance, cher François. Nul n’est parfait et il ne s’agit, en la matière, de donner de leçon de morale à personne, mais de reconstruire les règles d’une vertu commune, de ne céder en rien ni au message sur lequel quelques-uns, quelques-unes devrais-je dire, prospèrent, du “tous pourris”, avec une injustice extrême, parce que celle-là qui prospère est au coeur de ces usages qu’elle dénonce. Mais de ne pas céder davantage à cette espèce d’évidence que certains profèrent, qui consisterait à dire “mais, que me reproche-t-on, ça vous dérange ? Ils font tous comme moi !”.
Non, non, je le dis avec d’autant plus de facilité que je ne suis pas élu de la République, on me l’a parfois reproché. Mais il y a, en France, 600 000 élus. Près des trois quarts le font de manière bénévole et une très large majorité le fait avec honnêteté et le sens des responsabilités. Et donc moraliser la vie publique, ce que nous ferons, c’est éradiquer les conflits d’intérêt en profondeur, interdire le cumul d’un mandat électif et de fonctions de conseil, c’est interdire d’embaucher des membres de sa famille par convenance, comme on le fait trop souvent, c’est avoir des règles claires, transparentes, et là aussi communes, de rémunération de nos élus, c’est réduire le nombre d’élus non pas pour faire des économies de bout de chandelle, mais pour leur permettre de mieux faire leur travail. Pour leur permettre de mieux évaluer, de mieux contrôler, lorsqu’ils sont parlementaires, le travail du gouvernement. C’est permettre de limiter le cumul dans le temps des mandats, pour s’assurer que ce renouvellement que nous portons ne soit pas un renouvellement éphémère mais s’installe dans la durée. Cette moralisation de la vie publique que nous portons, c’est un des piliers de ce qui nous permettra d’installer dans la durée le renouvellement de la vie politique, qui est notre projet. Et en même temps, l’alternance véritable que nous portons, non pas le tic-tac habituel d’une gauche qui revient sur tout ce qu’a fait la droite et d’une droite qui dit au pays “attendez ce que vous allez voir, le temps de la revanche arrive.” L’alternance véritable, celle qui donne la possibilité à un projet d’émerger, d’advenir et à de nouveaux visages d’être là.
Et notre dernier chantier, mes amis, c’est celui de l’Europe et de l’international. Je serai là rapide, mais j’étais hier en Allemagne pour expliquer ce que nous allons faire, pour l’expliquer à notre premier partenaire, les Allemands. Pour l’expliquer aux responsables de ce grand pays, avec lequel nous avons reconstruit la paix, un équilibre et cette forme politique inouïe, inédite qu’est l’Europe. Cette Union européenne à laquelle on reproche tant, celle qui nous permet de vivre, depuis 1945, dans la paix. Ce qui n’avait jamais existé depuis des millénaires. Et donc oui, notre projet sera un projet européen. Mais non pas pour être des béats de l’Europe, pour être des naïfs de l’Europe. Non. Pour revendiquer une critique constructive, pour vouloir une Europe conquérante, qui nous aide à gagner face à la Chine ou aux États-Unis. Pour vouloir une Europe qui protège, enfin. Qui protège face aux grands risques, à l’insécurité galopante, parce que seule l’Europe nous permettra de répondre efficacement au terrorisme et aux grandes migrations. Seule l’Europe nous permettra de répondre à l’évasion fiscale dont parlait monsieur il y a un instant. Beaucoup a été fait ces dernières années, mais je veux que nous allions plus loin encore : lutter contre l’évasion fiscale des grands géants, c’est l’Europe qui nous le permettra, et c’est le projet que nous porterons. Et donc oui, cette Europe à la fois conquérante et qui protège, elle est le socle de notre rapport au monde. Non pas une France rétrécie, recroquevillée, mais une France qui veut défendre sa souveraineté à ses frontières et aux frontières de l’Europe.
Ces six chantiers, mes amis, c’est le socle de ce contrat avec les Français et cette conviction que je voulais partager avec vous ce soir. Mais pour bâtir un tel projet, nous avons aussi besoin d’expliquer à nos concitoyens, ce peuple que nous sommes, de réconcilier les Français avec leur Histoire, avec leurs histoires. De dire d’où nous venons, parce que notre projet, c’est un projet d’avenir, mais qui est ancré dans un passé commun, qui nous fait. Et c’est cette deuxième conviction que je voulais partager en quelques instants avec vous, ce soir. Et quel meilleur endroit pour le faire que Reims ? Ce lieu de la France immémoriale, glorieuse et résistante, de cette France, aussi, souffrante, de cette France volontaire, de cette France historique, de cette France qui réconcilie toutes les histoires, comme le disait Marc BLOCH. Parce qu’on n’est pas français si on oublie que le peuple français s’est fait du sacre de Clovis au mur des Fédérés, jusqu’à la réconciliation d‘ADENAUER et de DE GAULLE que j’évoquais il y a un instant.
Et donc parler de la France, parler de ce que nous sommes, c’est expliquer ce que nous avons en commun. Et j’en parle ici, devant vous, comme un fils de France dont les ancêtres ne sont pas très loin d’ici, dans cette terre picarde, dont la souche se perd entre Amiens et les confins du Pas-de-Calais, dans ce val des lotis qui est un de ces paysages tristes, comme la Marne et l’Aisne en connaissent aussi. Comme un enfant dont l’autre racine part des Hautes-Pyrénées, dans ce Sud Ouest qui nous est cher à quelques-uns, et aux confins de l’Hérault. Nous avons tous ces histoires, nous avons tous ces racines. Pour certains, elles ont commencé dans d’autres pays, sur des combats, et se sont perdues sur plusieurs continents. Mais elles nous ont réconciliés tous et toutes ce soir dans la même salle, dans le même pays.
Alors vous savez, face à ces histoires individuelles, si on ne ré-explique pas à chaque instant ce qui est notre commun et ce qui nous tient, nous courons le risque, c’est de sombrer dans ce que nos adversaires veulent faire. Parce que ce que nos adversaires portent, c’est le discours du pessimisme, de la défaite. Ce que nos adversaires disent, c’est “il y a quelques vrais Français”. De souche, paraît-il. Moi je ne sais pas ce que c’est qu’une souche unique; nous en avons tous de multiples. Et ils veulent dire “oublions tout cela. Choisissons une Histoire, une vérité, une culture rétrécies, un peuple qui ne se parle qu’à lui-même. Construisons une foule qui, comme le disait HUGO, choisit de trahir le peuple, et notre peuple. Et décidons le rétrécissement, la fermeture des frontières. Abandonnons l’Europe. Faisons bégayer l’histoire, notre histoire. Allez, ce monde qui change nous fait perdre tant de repères, est tellement abject, vous fait tellement peur, calfeutrons-nous. Décidons de devenir ce que nous n’avons même jamais été. Réfugions-nous dans une Histoire fantasmée, dans une vérité de quelques-uns, et tenons-la bien serrée. Et si possible, aussi serrée qu’haineuse”. Parce qu’il est toujours plus simple, quand cette histoire est fausse, de désigner un ennemi à ses portes. Et cet ennemi, c’est toujours le même : c’est l’autre.
Ce que ceux-là proposent, c’est de vivre sur nos peurs pour construire un projet de défaite. Et nous le sentons tous : la crise que traverse la France, elle n’est pas qu’économique et sociale. C’est une crise morale. C’est une crise de civilisation. Et je refuse le choix binaire dans lequel on veut nous enfermer. D’un côté, certains tentent de renier notre histoire commune. Ils voudraient dissoudre la nation française, céder aux tentations du communautarisme, dire “il y a en France des cultures qui s’agrègent, qui ne se confondent pas et qui n’ont pas vocation à se confondre. Nous venons de tant d’endroits ; mais pas de mélanges”. Et en agrégeant ces cultures, ils veulent agréger des communautés. Ils veulent dire qu’elles ont quelque chose qui peut, à jamais, être décidé comme irréconciliable. Et ce faisant, ils trahissent aussi ce qu’est le fil rouge de notre histoire millénaire. Le fait que le peuple français, c’est un peuple qui est un. C’est un peuple qui, nourri de ses cultures, a voulu façonner une unité profonde. A voulu façonner un socle commun. Donc non, nous ne sommes pas le projet du multiculturalisme, parce qu’il nourrit le communautarisme, parce qu’il nourrit, dans la République, des ghettos !
Mais de l’autre côté, ceux qui luttent ardemment contre ce projet, défendent une France rabougrie. Ils ont bâti leur influence, il y a maintenant dix ans, sous l’égide d’un inquiétant maître à penser, amateur de Charles MAURRAS et ennemi de toute modernité. Ils ont décidé de réveiller des forces réactionnaires que le Général DE GAULLE et quelques-uns avaient su réconcilier avec l’histoire de la République. Ils ont décidé de les exciter, parfois sur des grandes places parisiennes, en réveillant une identité fantasmée, rétrécie, haineuse. Avec un combat : stigmatiser celles et ceux qui ne ressemblent pas à l’idée qu’ils se font de la France. Leur première victoire fut la naissance du ministère de l’Identité nationale. L’échec de cette initiative, le rejet par la Nation des débats qu’ils prétendaient lancer ne les ont pas découragés pour autant. Ils ont continué à tisser leur toile, leur idéologie, à réécrire l’Histoire à la place des historiens. Et au long d’articles, d’éditoriaux, d’essais hâtifs, ils ont donné de la culture française une image rance et surannée. Et ils prétendent aujourd’hui être les seuls défenseurs de la culture française.
Alors que depuis toujours notre culture prétend à l’universel, ils ont voulu la réduire à un territoire et à une lignée. Alors qu’elle n’a cessé de donner aux hommes les moyens de leur autonomie, de s’affranchir des dogmes, ils ont pour certains voulu l’enchaîner à une religion. Alors qu’elle s’est bâtie dans la richesse des formes et la pluralité des arts, ils ont voulu la réduire à un corpus étroit d’oeuvres et d’auteurs. Ce magnifique chêne millénaire qu’est notre culture, ces personnes ont voulu l’élaguer. Coupée, la branche de la Révolution Française. Coupée, la branche de Victor HUGO.Tordue, la branche des luttes sociales et des combats d’émancipation. Coupée, la branche des ZOLA, des JAURÈS ou des BLUM. Finie, l’histoire des métèques, des juifs errants venus troubler le refuge de paix mais qui, eux aussi, ont construit l’histoire, la culture de notre pays.
Mais leur histoire, c’est une histoire bancale. C’est une histoire mensongère. C’est une histoire haineuse. Ils ont même essayé de prendre dans leurs filets notre cher PÉGUY. Le voici devenu caution d’une France méfiante, assise. Lui qui faisait dialoguer le juif laïc et le pacifiste radical. Lui qui aimait Jeanne d’Arc, lui aussi, parce qu’il y voyait la jeune fille anxieuse. Lui, le dreyfusard, ennemi des nationalistes. Aujourd’hui, la responsabilité qui est la nôtre, c’est de défendre notre culture, notre histoire, ce qui nous fait, ce qui nous tient comme un peuple, ce qui nous constitue, en ne tombant dans aucun de ces excès, en refusant ces deux voies qui sont deux voies jumelles et qui veulent nous dissoudre.
Parce qu’en définitive, mes amis, pourquoi sommes-nous un peuple ? Quel est le sujet au coeur de cette élection et ce qui nous tient ? Nous ne sommes pas un peuple parce que nous coexistons les uns à côté des autres, passivement. Nous ne sommes pas un peuple parce que nous serions issus d’une même lignée et d’une seule lignée. Nous ne sommes pas un peuple par intérêt. Nous ne sommes pas un peuple par hasard, par nécessité. Nous sommes le peuple de France, patriote, par cette histoire riche, large, par cette culture commune qui nous tient et qui nous tient ici, ce soir, rassemblés. C’est cela ce que nous sommes, et ce à quoi nous tenons. Ce qui nous tient, ce sont trois piliers fondamentaux : notre langue, notre culture et son héritage, et notre volonté constante de nous affranchir de tout et de prétendre à l’universel. Mais ce qu’il y a dans cette affirmation, ce qu’il y a au coeur de notre projet, c’est cette confiance dans la France, cette confiance dans le peuple français : c’est cela qui nous caractérise. Parce que ceux que j’évoquais, les multiculturalistes comme les rabougris, ce sont ceux qui doutent, qui veulent jouer du doute des Français.
Nous parlions tout à l’heure du Général - je vais vous faire une confidence historique. Quelques mois après la signature du traité de Rome, alors qu’il arrivait au pouvoir et aux responsabilités, son entourage - il faut toujours se méfier des entourages, de l’idée qu’ils se font de ce qu’on peut avoir en tête - pensait que le Général DE GAULLE (certains le croient encore, en le revendiquant à ce titre) était ce qu’on appellerait aujourd’hui un souverainiste, détournant d’ailleurs le sens profond de ce mot, mais qu’au fond le Général DE GAULLE n’aimait pas l’Histoire et n’aimait pas l’Europe. Ils sont venus le voir, ou plus exactement lui ont fait une note, en lui proposant de déchirer le traité de Rome, conclu quelques mois plus tôt. Cette anecdote a plus de sens encore alors que, dans quelques jours, nous fêterons le 60ème anniversaire de ce Traité. Et donc ils avaient passé une note au Général pour lui expliquer qu’il serait bien inspiré de déchirer ledit traité, et de redonner à la France sa liberté et le cours de son Histoire. Et le Général DE GAULLE a annoté cette page en écrivant : “Non, les Français sont forts, mais ils ne le savent pas”. Eh bien, nous, nous savons, comme le Général DE GAULLE, que les Français sont forts.
Et donc notre projet, c’est le vrai projet patriote. Parce qu’être patriote, c’est aimer le peuple français, son Histoire, mais l’aimer de manière ouverte, généreuse, volontaire, en ayant confiance dans ce qu’il est. Alors oui, ce qui fait notre peuple, et ce premier pilier, c’est notre langue, la langue française. Nous sommes à quelques kilomètres de Villers-Cotterêts, cher Jacques. Là où François Ier a décidé de commencer à bâtir la France. Il n’y avait pas nos frontières. Il n’y avait pas, d’ailleurs, vraiment, la totalité de ce qu’on mettrait en toute rigueur derrière un royaume. Il y avait tant de langues. Il a décidé, par ordonnance royale, en 1539 de faire une chose : c’est de donner une langue au Royaume de France. Cette langue, c’est celle de la République, c’est la nôtre, c’est notre socle, c’est ce qui nous tient. Et c’est ce qui fait qu’être français n’a jamais été avoir des papiers français, avoir un sang français, mais avoir ce que CIORAN lui-même appelait “la grammaire à la main”, avoir ce goût pour la langue, en parler les mots, avoir cette cause commune. “Ma patrie, disait CAMUS, c’est la langue française”. C’est cela qui nous tient avec tout ce que cela emporte.
La langue française, ce sont ces mots qui ont constamment marié la belle langue de l’Académie et les langues empruntées aux patois, à ces langues vernaculaires que la France, dans sa diversité, a toujours eu l’intelligence de reconnaître et de savoir tresser. C’est aussi ce français rabelaisien, c’est ce français qu’on retrouve chez GLISSANT et tant d’autres. C’est cette langue qui n’a jamais été une parce qu’elle n’a jamais été figée, mais qui a toujours été en même temps une, comme un fleuve nourri de tant d’affluents. Et c’est dans ce mouvement constant, généreux et fort, qu’elle a réconcilié tant d’identités, tant d’imaginaires. Imaginez un instant, mes amis : nous sommes sans doute la seule langue au monde à avoir su réconcilier tous les continents. Tant d’identités disparates, de l’Afrique noire au continent amérindien jusqu’aux confins de l’Asie et au Pacifique. A avoir respecté chaque imaginaire qui était porté. À y avoir volé des mots, qui sont devenus des mots de la langue française. Et à avoir tenu tout cela ensemble. Ce qui fait que la langue est ce pilier commun et notre socle, c’est que de Papeete jusqu’à Fort-de-France, en passant par Montpellier, il y a des individus qui rêvent dans la même langue, qui écrivent dans la même langue.
Et c’est ce qui fait que la France a toujours été elle-même en débordant d’elle-même, à travers les territoires où elle a porté le français et à travers la francophonie qui est aussi le coeur de cette mission et la vocation française, la vocation de notre culture et de notre projet. La francophonie, c’est la France portée au-delà de la France par des femmes et des hommes qui ont décidé d’en être. La semaine prochaine, nous célébrerons la francophonie. Et là aussi, ça n’était pas un hasard de passer par Villers-Cotterêts. Cette francophonie, elle réconcilie des continents. Et le beau château abandonné de François Ier aura une vocation dans la francophonie française. Je veux ici m’engager à ce que nous portions ce projet, cher Jean-Jacques, porté quand tu étais ministre de la Culture, commencé à ce moment, qui est de redonner à ce château ce que son histoire porte en elle. De le rouvrir, mais de le rouvrir en lui faisant aussi porter ce qui est sa vocation : la langue française dans tout ce qu’elle emporte. Et d’en faire l’un des piliers symboliques de notre francophonie.
Parce que la langue française, elle est toujours, en même temps qu’une patrie, une passerelle, une passerelle vers d’autres cultures, vers d’autres continents, mais une passerelle aussi au sein de notre société. Entre des femmes et des hommes qui n’avaient rien de commun mais qui se retrouvent dans et par la langue. Qu’y avait-il de commun entre le LA FONTAINE de Château-Thierry, le RACINE de La Ferté-Milon et le métèque comme diraient certains aujourd’hui de DUMAS, né à Villers-Cotterêts ? Rien. Rien. Ils avaient chacun des destinées différentes, des extractions profondément différentes. Qu’est-ce que ce fils d’esclaves émancipés avait à voir avec les deux autres ? La langue française. C’est la langue, la littérature française qui leur a donné leur statut, qui leur a donné leur pleine reconnaissance dans l’Histoire de notre patrie. C’est cela, ce qu’est la langue française.
C’est pour ce faire aussi que nous voulons, dans notre projet, rouvrir les classes bilangues. C’est rouvrir les études et les Humanités dans notre enseignement scolaire. Parce que c’est par la langue, c’est par ces études et ces enseignements qu’en France aussi il peut y avoir des enfants nés dans des fermes du Béarn qui prétendent accéder à la présidence de la République. C’est aussi parce que je crois à la langue française, la culture, que nous porterons cette même vocation en Europe. Défendre le français, ça n’est pas ne pas reconnaître les autres langues. C’est d’ailleurs pour cela que je veux, dans tous les quartiers, dans tous les lieux de la République, restaurer ces classes bilangues. C’est reconnaître que l’Europe, c’est un espace de culture. N’oublions jamais le petit regret de MONNET: “si je devais recommencer, j’aurais recommencé par la culture”. Alors nous, nous rebâtirons par la culture le projet européen. Par la coopération culturelle, par l’enseignement des langues, par la reconnaissance des langues multiples. Parler l’anglais, l’allemand, l’espagnol ou le portugais, ça n’est pas ne pas aimer le français. C’est, au contraire, lui donner sa juste place. C’est se souvenir que l’Europe est cette concentration géographique unique au monde de langues et de cultures. C’est l’Europe des traducteurs et des cafés, comme l’écrivait STEINER.
J’ai eu une chance inouïe dans ma vie, parmi beaucoup d’autres qui sont au premier rang de cette salle. C’est d’avoir pu “frotter ma cervelle”, comme disait MONTAIGNE, à celle d’un grand esprit qui était Paul RICOEUR. RICOEUR a été prisonnier, durant la Seconde Guerre mondiale. Et il me racontait que quand il était au stalag, il avait décidé d’enseigner la philosophie. Et il s’est retrouvé avec quelques-uns, il donnait des cours, ce qu’il appelait lui-même le simulacre, enseignant la philosophie à ses coreligionnaires. Mais surtout, il a pendant quatre ans fait une chose inouïe. Il était emprisonné par les Allemands, il ne voyait plus sa famille et vivait dans la peur. Lui, dont le père avait été abattu pendant la Première Guerre mondiale par les mêmes Allemands. Il a passé toutes ses années de captivité à traduire dans la marge un philosophe allemand qu’était HUSSERL. Et au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, il a été, en 1947, le premier traducteur d’HUSSERL en français. Aimer l’Europe, c’est aimer traduire. Aimer les langues et la culture, c’est vouloir traduire. C’est accepter que nos langues se sont construites les unes par rapport aux autres dans un continent de guerre, de bouscule permanente. Mais c’est ne jamais construire sa langue dans la haine de celle de l’autre et prendre le temps de toujours traduire en marge pour réconcilier, là aussi, des histoires parfois blessées.
Le deuxième pilier, en même temps que la langue, de cette culture, de ce passé qui nous lie, c’est notre fierté pour cet héritage commun. Oui, nous sommes fiers de ce qui nous constitue, nous sommes fiers de cette culture, de notre langue, de ce grand fleuve fait de ses affluents. Nous en sommes fiers et nous devons le porter! Parce que la France n’a jamais renoncé à ses idéaux forgés à travers le temps. Et donc vouloir balayer une partie de notre Histoire, vouloir nier l’autre, vouloir vivre dans la honte de soi en refoulant l’une ou en se repentant du reste, c’est là aussi oublier ce que nous sommes, ces esprits exigeants qui aiment leur culture, notre culture. Et donc oui, cette fierté, elle se construit chaque jour par la création des écrivains, cher Philippe, des acteurs de théâtre, des danseurs, des dessinateurs, des polémistes, par l’esprit critique français, par la peinture et ces arts sous toutes leurs formes. Mais par la défense aussi de ce qui a été, de notre patrimoine, de notre héritage. Et l’un et l’autre ne sont pas à opposer ; ils se construisent dans cette réconciliation indispensable. Et donc oui, vouloir un projet d’avenir, c’est aussi être fiers de ce que nous sommes, de ce qui nous tient, de cette culture et de notre passé.
Enfin, nous sommes un peuple parce qu’au-delà de cette fierté, parce qu’au-delà de cette langue, de notre culture, nous avons toujours rêvé à un peu plus, à autre chose, et à l’universel. Ca n’existe presque qu’en France, cela - j’ai le droit d’être chauvin quelques instants -, cette volonté d’aimer sa culture profonde et de vouloir aller au-delà, basculer au-delà des frontières, porter un message qui a toujours à voir avec l’universel, réconcilier là aussi la culture et la civilisation. Nous ne nous sommes, aux grandes heures, jamais perdus dans ces faux débats. Parce que la culture française s’est toujours construite à travers des visages et des voix qui aspiraient à l’universel. C’est pour ça que je ne laisserai personne, aujourd’hui, défendre la culture française en prétendant renoncer à cela, défendre la culture française en prétendant la rabougrir.
“En art, disait BRANCUSI, en art, il n’y a pas d’étrangers”. C’est ici, dans notre pays, que les génies italiens de la Renaissance, invités par le même François Ier, ont fait l’art européen. C’est ici que les CHAGALL ont croisé les SOUTINE, les DELAUNAY, les FUJITA ou les MODIGLIANI, les PICASSO et tant d’autres. Parce qu’ils ont toujours trouvé, dans notre patrie, cette volonté d’accéder à l’universel, de dépasser le cadre étroit. Parce que ce qui nous a toujours faits, c’est en même temps cette exigence insoumise, cette volonté de ne pas céder aux cadres établis. Ne nous trompons pas : ceux qui aujourd’hui se prétendent trop souvent les défenseurs de la culture française, qui parfois pointent du doigt, ils auraient jugé, en 1857, et FLAUBERT et BAUDELAIRE, et ils auraient été leurs premiers redresseurs. Ils les auraient condamnés. Ils auraient mis au pilori les plus grandes oeuvres de notre République, les plus grandes oeuvres de notre culture. Parce que tous ces écrivains, parce que tous ces grands artistes, ils étaient chez les refusés, ils étaient chez les insoumis, ils étaient dans celles et ceux qui savaient aussi visiter les marges.
Parce que le RIMBAUD, un peu plus à l’Est qu’ici, celui qui voulait fuir la flache et se libérer de ses Ardennes et de Charleville, le même RIMBAUD, il avait appris le latin, il avait, dans son intimité, été pétri de la culture française et de cette transmission. Mais ça n’était pas un bien-pensant, c’était un insoumis. Il était aux marges. Ils voulaient basculer, ceux-là. C’est cela aussi notre histoire, cette volonté à chaque fois, de construire l’universel, d’aspirer à davantage, et en même temps de laisser une place qui, progressivement, devient centrale, aux insoumis, aux affranchis, aux révoltés, aux femmes et aux hommes libres.
Parce que oui, mes amis, aimer la culture française, ça n’est pas aimer un musée inventé pour quelques-uns par des esprits conformistes, étroits, parfois haineux ou bien-pensants. Aimer la culture française, c’est être fier de notre langue, être fier de notre culture, être fier de cette aspiration toujours réinventée, d’un “autre chose”, d’un universel, d’une révolte, d’une insoumission, d’une indignation : c’est cela être patriote, et c’est ce que nous sommes !
Alors oui, mes amis, aujourd’hui, ce que nous disons au peuple français, c’est que nous avons pour vous un projet qui est un projet d’avenir où chacune et chacun aura sa place, un projet à la fois efficace et juste, un projet qui redonnera confiance au peuple français parce qu’il lui redonne en même temps le goût de l’avenir. Et en même temps, nous n’avons aucune leçon à recevoir, ni de l’extrême-droite, ni la droite réactionnaire mariée à la droite opportuniste, qui porte un projet d’enfermement, de honte de soi ou de repli. Parce que oui, nous aimons et nous sommes fiers de la France, de sa langue, de sa culture. Mais parce que nous en portons tout le sel qui, en même temps, est celui d’une France qui sait s’indigner et aller au-delà d’elle-même. Parce que ce que nous portons, ça n’est pas une identité figée ou fantasmée, c’est une volonté en marche, c’est une volonté de faire et d’aller au-delà.
Voilà mes amis… Soyez fiers ! Soyez fiers durant le mois qui vient ! Soyez fiers de ce que vous êtes, de ce que nous sommes ! Soyez libres ! Soyez solidaires ! Parce que notre projet, c’est un projet progressiste, c’est un projet européen et c’est un projet patriotique.
Parce que les vrais patriotes sont là ! Ils aiment la France ! Parce que les vrais patriotes regardent le passé et l’avenir, et les réconcilient !
Vive la République ! Vive la France !