Discours de Montpellier

18 octobre 2016 - Retranscription du discours d'Emmanuel Macron à Montpellier.

Meeting-Montpellier-1

Discours d'Emmanuel Macron à Montpellier

le 18 octobre 2016

#laFrancequiunit
Troisième et dernière partie de la restitution du diagnostic de La Grande Marche

Bonsoir à toutes et tous.

Merci à vous d’être venus si nombreux. Et j’ai une pensée aussi pour celles et ceux qui n’ont pas pu rentrer, je crois, il y en a encore quelques petites centaines qui attendaient, qui ne s’étaient pas forcément inscrits, je veux m’excuser auprès d’eux. Je suis très heureux d’être ce soir à Montpellier. Très heureux d’être avec vous pour, au fond, clôturer cette première étape. J’étais tout à l’heure avec votre maire, Philippe Saurel, et je le remercie de nous accueillir, à la Paillade, dans un des quartiers de Montpellier. Et ça n’est pas un hasard, au fond, si nous venons clôturer cette étape ici, cette phase de diagnostic, ce travail sérieux, parfois austère, mais indispensable. Viendra en novembre, pour En Marche, le temps du plan de transformation et les premières solutions. Parce que, au fil de nos réunions publiques, et cela a été parfaitement rappelé à l’instant par Richard et puis par nos amis, Aziz et Coralie, eh bien nous avons, non seulement pu mesurer ce que les Françaises et les Français exprimaient, mais pu tirer aussi les premières conclusions, à Strasbourg sur la vie engagée, au Mans sur la vie quotidienne, et nous voilà donc réunis ce soir pour parler de la vie ensemble.

Alors, ce n’est pas un hasard si nous nous retrouvons à Montpellier pour parler de la vie ensemble. Je veux remercier toutes celles et ceux qui sont venus de l’Hérault, du Gard, de l’Occitanie, mais aussi... De toutes les autres régions de France. Et Richard l’a fait à l’instant, manifestez-vous, vous avez raison, des régions voisines et moins voisines, la France est là, celle qui a envie de se mettre en marche, celle qui a envie d’avancer ! Et plusieurs élus ont fait l’amitié de venir, et de nous rejoindre dans votre belle ville de Montpellier. Richard Ferrand les a évoqués et je veux à nouveau les remercier. Et je veux avoir un mot plus particulier pour notre ami François Patriat qui, il y a quelques semaines, a eu un très grave accident, et fait aujourd’hui sa première sortie avec nous. Bravo à toi.

Alors, pourquoi Montpellier pour parler de cette France qui unit ? Parce que c’est une ville dont le dynamisme est le fruit de son histoire, de cette force qu’il y a ici et qu’on perçoit au bout de quelques pas, d’une volonté, aussi, celle de Georges Frêche, dont Philippe Saurel, de ce point de vue, est le digne héritier. Une ville qui compte un très grand nombre d’étudiants, ayant fait le pari de l’avenir, et qui au fond a cette histoire de ville millénaire, de grande ville universitaire, une ville dont le cadre de vie et l’audace architecturale font des envieux et des émules. Une ville dont les résistances, mais aussi la générosité, ont marqué l’histoire, une ville d’accueil, ouverte, dès le Moyen Age, aux juifs comme aux musulmans venant de toute la Méditerranée. Une ville ouverte aux huguenots, comme aux Français revenant d’Algérie, une ville qui a fait le choix de l’ouverture, de la diversité, en somme, une ville française.

Non loin d’ici, à 80 km, une autre ville, elle, a fait le choix de la fermeture. Son maire ne cesse de désigner des boucs-émissaires à la vindicte populaire, comme si la haine de l’autre allait la guérir de son malheur ou de ses doutes. Béziers, une ville française, aussi. Alors, au fond, avec ces deux villes, on pourrait faire un résumé de la France d’aujourd’hui. Certaines villes réussissent dans la mondialisation, elles sont accueillantes et optimistes, d’autres territoires, faute peut-être d’un humanisme initial, n’ont pas su prendre ce tournant. Ils se replient sur eux-mêmes, doutent, ils voient leurs industries peu à peu dépérir, et parce que peu à peu ils perdent l’espoir, des pans entiers de leur population sont tentés d’adhérer aux idées des plus extrêmes, à ceux qui leur disent au fond que tout cela c’est la faute de l’autre, de la mondialisation, de l'Europe, de l’étranger. Et puis il y a aussi d’autres territoires, ces territoires ruraux, qui vivent dans le combat du désenclavement, dans ces batailles du quotidien, qui subissent parfois, eux aussi, les conséquences d’une mondialisation qui n’est pas toujours comprise, mais qui regorge de talents, d’énergies, d’innovations. Et puis, nous le savons bien, il y a aussi cette France des quartiers, souvent construits dans les années 1960, qui se sont paupérisés, ghettoïsés. Ils constituent le cadre de vie de ceux qui ne peuvent aller ailleurs, souvent ceux qui sont arrivés les derniers dans notre pays. Ce sont les territoires du chômage massif, de la délinquance, qui de jour en jour s’aggrave. Ce sont aussi des territoires qui regorgent de vitalité, de projets, d’une envie de faire, d’innovation, d’une envie de changer les choses. Alors oui, il y a toutes ces France si différentes. Notre devoir, ce n’est pas d’opposer ces France. Notre volonté, c’est de les réconcilier.

Réconcilier pour retrouver notre cohésion, pour retrouver notre capacité à nous projeter en Europe, dans le monde. Alors, pour y parvenir, l’urgence, c’est d’abord de dénoncer les discours anxiogènes, déclinistes, véhiculés à dessein par une large part de la classe politique. De lutter contre les fantasmes alimentés par ceux qui ne comptent que sur la peur pour être élus. De combattre aussi les contre-vérités répétées à longueur de débat, celles qui prétendent que notre pays serait au bord du précipice, que notre société serait au bord de la guerre civile, que la France serait au bord de l’effondrement, car dans le même temps, tous ceux qui tiennent ces discours si anxiogènes, ces oiseaux de malheur, que proposent-ils pour lutter contre ce désastre ? Le repli brutal, la haine de l’autre ou les petits changements.

Tous nos responsables politiques dessinent une élection placée sous le signe de la fragilité nationale, vous l’entendez partout. Et j’ai pour ma part la conviction intime qu’ils se trompent, et qu’avec eux, ils trompent les Français. Parce qu’ils commettent une faute historique. Oui, les temps sont durs, oui, l’Histoire est tragique, oui, nous avons nous-mêmes fait le constat des difficultés et des blocages, nous les avons nommés et nous continuerons à le faire pour les regarder en face. Mais non, la France n’est pas menacée de disparition, parce que depuis des siècles et des siècles, nous nous tenons aux premières places du monde, parce que nous avons surmonté des épreuves incomparablement plus difficiles, parce que nous disposons d’atouts inégalés : une démographie dynamique, une capacité d’intégration éprouvée, un patriotisme culturel inégalé, un État solide, des services publics enviés par tous. La France est forte parce qu’elle est là, forte de son Histoire, forte de son présent. Parce que nous sommes une puissance économique, une puissance scientifique, une puissance militaire, une puissance culturelle, autant qu’un berceau d’inventions et d’innovations, c’est ça la France !

Alors oui, j’en ai la conviction, la France n’est pas fragile, et les Français peuvent être fiers de ce qu’ils sont. Et je suis indigné par les responsables politiques, trop nombreux, de tous bords, qui au fond, considèrent les Français comme des enfants, qui auraient une mentalité s’assiégés. Indigné qu’ils entretiennent chez nos compatriotes cette médiocre estime de soi, ce manque de confiance en leurs forces. La France qu’ils dessinent, elle est repliée sur elle-même, rabougrie. Celle que j’aime est ouverte. La France qu’ils dépeignent est frileuse, peureuse. Celle que j’appelle de mes voeux est confiante, conquérante. Parce que oui, nous avons des difficultés, et nous les connaissons et nous les affronterons ensemble, mais ces difficultés, ce n’est pas notre fragilité, ces difficultés, elles ne justifient aucun défaitisme, au contraire, parce que tous ces défis, nous les relèverons parce que nous savons aussi que ce pays est fort et se tient droit. C’est ça la France.

Car, au fond, qu’est-ce qu’être français ? Qui est français ? Ces deux frères, par exemple, qui ont habité longtemps à Toulouse, dans le quartier du Mirail, c’est là qu’ils se sont convertis à l’islam le plus radical. Ils ont ensuite quitté la France pour la Syrie. On ne sait pas où ils sont aujourd’hui. C’est par leur voix que Daech a revendiqué les attentats du 13 novembre 2015. Ce sont eux que nous avons entendu se réjouir d’avoir des centaines de victimes. Ce sont deux frères, deux Français. Ils s’appellent Fabien et Jean-Michel Clain. Et cet autre homme, né à Racca, en Syrie, un jour de 1948 qu’il ne connaît pas lui-même. Il est arrivé en France, les poches vides, il a fait ses études ici, à Montpellier. Il a obtenu un doctorat en informatique, il est devenu salarié, il a créé son entreprise. Et il a été nommé Entrepreneur mondial de l’année en 2015, et surtout, j’aurais dû le dire tout de suite, il est devenu président du Montpellier Hérault Rugby. Son nom est Mohed Altrad et il est aujourd’hui Français.

Et il y en a beaucoup d’autres comme Mohed, qui sont Français, nés en France, qui ont formidablement réussi, les Bertin, les Simon, les Joséphine, les Sophie, tant d’autres. Mais pourquoi deux enfants passés par l’école de la République sont-ils devenus des terroristes tandis qu’un Syrien débarqué en France sans rien est-il aujourd’hui l’un des plus beaux modèles de réussite de notre pays ?

Ces deux histoires, elles disent beaucoup de ce qu’est la Nation, de ce qu’est la France. On peut naître en France, être Français, avoir passé toute son enfance à l’école de la République, avoir bénéficié de notre mode de vie, de notre modèle social, et haïr la France, détester ce qu’elle incarne, détester les personnes qui nous entourent et avec qui on a grandi, au point de vouloir les détruire. Faut-il ici rappeler que le tiers de ceux qui partent de notre pays pour faire le djihad ne sont pas nés musulmans. Dans le même temps, on peut naître à des milliers de kilomètres d’ici, et tomber passionnément amoureux du projet français, et vouloir tout faire, braver l’océan, la misère, les violences, pour intégrer notre société, y réussir, et aimer la France à proportion de la taille de ce combat, parce qu’il était tellement difficile, et rejoindre notre idéal pour le faire vivre. Et faut-il aussi rappeler que près de 20% des engagés volontaires de l’armée de terre sont d’origine étrangère si l’on remonte une génération ? Toutes les représentations que nous avons trop souvent, elles sont fausses, parce que la France, ce sont ces trajectoires, qui sont parfois nos défaites, mais aussi nos plus belles réussites. Et au fond, ces histoires, ces exemples, prouvent clairement une chose : la France, ce n’est pas une identité fixe, fermée, repliée sur un passé fantasmé. La France n’est pas non plus une idée, à laquelle on songe de manière abstraite. La France, c’est une volonté. C’est notre volonté. Et il n’y a que ça qui la tient.

Car la France, depuis tant de siècles, nous ne l’avons pas simplement reçue en héritage, à chaque fois, nous l’avons faite, à chaque fois, nous avons résisté, à chaque fois, nous l’avons voulue, à chaque fois, nous l’avons réinventée. C’est ça, la France ! Et je vais vous dire le fond de ma pensée : être Français, ça n’est pas seulement une question de droit du sol, de droit du sang, de droit d’asile ou de papiers d’identité. Pour moi, toutes celles et ceux qui s’engagent pour la France, qui veulent la France au quotidien, tous ceux-là sont Français. Alors, la question que nous devons nous poser ce soir, la seule qui vaille, celle qui décidera si nous voulons réussir ou nous effacer, elle est assez simple : quels Français voulons-nous être ? Parce que, je le redis, la France, c’est une volonté. La volonté d’abord de ne laisser personne au bord du progrès. Parce que, pour que la France reste la France, nous devons repartir à la conquête du progrès, de notre histoire, et d’un progrès qui profite à tous. C’est la nouvelle prospérité que nous devons construire, parce que, sans progrès, où chacune et chacun trouvera sa place, on ne peut pas prétendre à la cohésion sociale, on ne peut pas prétendre à justement répondre à ces doutes, on ne peut pas prétendre à une vraie cohésion. Parce qu’aujourd’hui, nos sociétés sont profondément menacées par des inégalités, des inégalités économiques et sociales, mais aussi des inégalités de destin, puisque, de plus en plus, nos origines sociales, ethniques et géographiques déterminent notre réussite à l’école ou dans le monde du travail. C’est cela, la France bloquée, c’est cela la France injuste, c’est cela la France qui devient insupportable pour tant de nos concitoyens, qu’ils habitent dans les territoires ruraux les plus enclavés ou dans les quartiers qui, eux aussi, pâtissent de cet enclavement social, et parfois ethnique, parce qu’il faut appeler un chat un chat. Je vous l’ai dit la semaine dernière : je crois profondément à une société du choix, c’est -à-dire une société libérée des blocages de tous ordres, d’une organisation datée, où nous serions plus aptes à choisir nos vies. Mais cette société ne se tient pas naturellement. Son risque, ce serait la dislocation. Elle doit être portée, portée par une volonté politique forte, parce que vouloir le progrès, c’est vouloir une nation entreprenante et exigeante qui assure une place à chacun. Parce que c’est cela, l’histoire de notre pays.

Ce que je crois, en effet, c’est que, si nous voulons régler le problème des inégalités, l’un de nos principaux défis, il nous faut d’abord produire dans un monde qui a profondément changé. C’est pour cela que je défends le changement de notre modèle productif, qui doit s’adapter à une économie de l’innovation.

En la matière, l'Etat a un rôle important à jouer. Parce que la France s’est toujours construite ainsi. Mais pas un Etat colbertiste, interventionniste à l’excès, un Etat contemporain, qui définit des règles stables, lisibles, claires pour tous, afin de pouvoir entreprendre, prendre des risques, oser, s’organiser. Un Etat qui encourage, qui accompagne celui qui ose, entreprend, innove, plus qu’un Etat qui contrôle et sanctionne quand on échoue. Un Etat qui permet à celles et ceux qui sont le plus loin sur le plan géographique ou sur le plan social, de pouvoir prendre des risques, de pouvoir entreprendre, de pouvoir trouver leur place dans notre société. Un Etat qui empêche que ne se constituent des rentes injustifiées, un Etat qui garantit, avec l'Union européenne, notre souveraineté économique véritable, en intervenant lorsque la concurrence est déloyale, en permettant justement aux entreprises, aux travailleurs, d’être protégés quand ils sont les victimes d’une concurrence déloyale qui vient de l’autre bout du monde, qu’elle soit en matière d’acier, en matière de pneumatiques et de tant d’autres sujets, de protéger les secteurs stratégiques lorsqu’ils sont parfois menacés. Un Etat qui défend le long terme, dont notre pays a besoin. Parce que, bien souvent, les acteurs économiques, les marchés ont une obsession, celle de l’immédiateté. Elle a ses justifications, mais elle exerce trop souvent sa tyrannie, et l'Etat doit savoir, là aussi, accompagner les transformations du long terme, accompagner les transformations profondes dont nos sociétés ont besoin.

Et, aujourd’hui, nous devons là aussi savoir revoir en profondeur notre façon de produire, comme je l’évoquais, et en particulier au moment où la transition énergétique est un défi majeur. Regardons la réalité en face. Si la population mondiale vivait comme nous vivons aujourd’hui, il nous faudrait trois planètes pour satisfaire nos besoins en ressources naturelles. Si certains persistent à la nier, si certains continuent d’agir pour servir leurs intérêts de court terme, pour parfois dire le contraire de ce qu’ils ont dit il y a encore quelques années, alors je vous le dis, nous courrons à notre perte parce que nous ne serons pas à la hauteur du défi moral qui est le nôtre, pour nos enfants comme pour nous- mêmes, nous courrons à notre perte, parce que nous ne serons pas à la hauteur des engagements qui sont les nôtres en Europe et sur la scène internationale mais nous courrons à notre perte parce que tout simplement, nous n’aurons pas accompagné, créé ce changement indispensable qui, de toute façon, est inexorable et est là. Et donc l'Etat a un rôle central à jouer en la matière pour envoyer les bons messages aux acteurs, pour investir et favoriser l’innovation, pour soutenir nos entreprises, petites et grandes, qui nous entraîneront vers une économie bas carbone, pour renforcer la fiscalité environnementale et inciter les acteurs économiques à changer de comportement. Voilà comment nous renouerons avec le progrès, avec cette société du choix, avec plus de libertés, mais en même temps des règles, assumées, de long terme, pour toutes et tous. Toutefois, la France que nous voulons, ce n’est pas simplement une société qui consacre les plus forts. C’est une société qui leur permet de réussir, et d’être plus forts encore demain et d’en entraîner d’autres. Mais c’est aussi un pays, une Nation, qui accompagne ceux qui tentent et parfois échouent, qui permet de prendre des risques sans risquer de tout perdre, et qui ne protège pas seulement ceux qui sont déjà protégés. Voilà pourquoi je crois qu’il faut refonder la sécurité sociale, pour créer les nouvelles sécurités individuelles dont notre pays a aujourd’hui besoin.

Là aussi, regardons les choses en face, pas par catastrophisme ou par volonté de se complaire dans ce constat : nous avons 10% de chômeurs, des carrières de moins en moins linéaires, des jeunes qui ont de plus en plus de difficultés à entrer dans le monde du travail, des Françaises et des Français peu qualifiés, qui sont cantonnés dans une périphérie avec peu de droits, peu d’accès à une vie normale. Une révolution qui va percuter tous ces métiers, bouleverser le travail, en particulier à cause du numérique. Notre système, conçu avec solidité et pertinence au sortir de la Seconde Guerre mondiale, n’est plus adapté à notre monde. Ce ne sont pas des rafistolages dont nous avons besoin, ça n’est pas une énième discussion pour changer tel ou tel paramètre, ça n’est un énième débat, que nous avons depuis trop de décennies, pour nous apercevoir que ce système, qui est organisé de manière au fond statutaire, qui est financé uniquement sur le travail, ne permet plus de répondre à une société du mouvement, qui souffre du chômage de masse depuis plus de trois décennies ! Regardons-le en face !

Et, au fond, le bon débat n’est pas entre celles et ceux qui voudraient repasser la retraite à 65 ans ou la laisser à 62, avoir tant de trimestres ou tant d’autres, nous savons que ce système est fatigué, qu’il ne répond plus aux attentes contemporaines, qu’il ne permet pas de répondre au défi du chômage de masse, puisque ça fait trente ans que nous le réformons par petites touches. Nous savons qu’il ne répond pas à nos défis démographiques. La seule question qui doit nous être posée, c’est comment serons-nous efficaces pour ne laisser personne au bord de la route ? Pour être sûr que chacune et chacun trouve sa place, mais dans une société et une économie profondément différentes de celles d’hier. Notre défi, c’est de refonder sur l’individu, sur son parcours de vie, ces sécurités. Ce n’est plus le travailleur en fonction de son statut, de sa catégorie, qui doit être protégé, mais chacun d’entre nous. Et vous le savez très bien, dans cette salle, vous savez d’ailleurs les inefficacités de ce système et vous en savez les injustices, selon que vous travaillez dans une PME sous-traitante, un grand groupe, la fonction publique, que vous êtes en intérim ou que vous avez accès au CDI, vous les savez, ces injustices, on les mesure dans notre quotidien, et elles sont devenues insupportables. Que l’on soit en emploi ou au chômage, que l’on salarié ou indépendant, on devrait tous avoir droit aux mêmes droits. C’est cela, le cœur de la démarche.

On devrait tous pouvoir bénéficier de la même protection sociale, qui nous permet de faire face aux grands risques de la vie, à commencer par celui du chômage. Ce que je crois, c’est que l'Etat, plus que les partenaires sociaux, devrait en être le garant, car c’est bien l'Etat, dépositaire ultime de l’intérêt général, qui doit s’assurer que personne n’est laissé de côté. Nous devons retrouver ce sel de l’intérêt général, la saveur et l’intensité de ce mot. Aujourd’hui, il n’est plus logique que, face à un risque aussi largement répandu que le chômage, notre système repose sur un mécanisme d’assurance totalement indépendant de la sécurité sociale. Car, si le problème est aussi largement répandu, c’est bien d’un système de solidarité dont nous avons besoin, un système auquel chacun doit contribuer, et chacun doit pouvoir user. Voilà pourquoi je pense que les pouvoirs publics devraient reprendre à leur charge la stratégie et les décisions relatives à l’UNEDIC, parce qu’ils ne peuvent pas simplement être les commentateurs permanents de compromis qui ne viennent pas. Parce qu’ils ne peuvent pas simplement rester les garants silencieux d’une montagne de dette de plus de 30 milliards d’euros, parce qu’ils ne peuvent pas être uniquement les spectateurs du compromis de la dernière chance, qui cherchent à rafistoler un système en péril. Nous devons, sur ce sujet, prendre nos responsabilités pleines et entières. Voilà aussi pourquoi je pense que les pouvoirs publics doivent remettre de l’ordre dans le système de formation professionnelle, en simplifier l’accès pour tous, clarifier les rôles, porter une stratégie nationale claire et permettre à toutes et tous d’avoir accès à ce système, et en particulier ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les travailleurs les moins qualifiés.

Parce que, aujourd’hui, ce sont ceux-là les victimes de l’instabilité permanente, ce sont ceux-là les victimes de la complexité d’un système dont ils ne connaissent, au fond, pas le point d’entrée. Là aussi, nous devons prendre nos responsabilités, être clairs. Logiquement, cela implique que notre système de protection sociale soit moins financé par des cotisations sociales assises sur le travail et plus par l’impôt. Il faut que le financement de notre protection sociale, refondé, porte davantage sur la consommation, la pollution, ou d’autres revenus que ceux du seul travail. Le faire de manière claire et enfin assumée, parce que les inégalités du financement actuel, qui en sont les victimes ? Toutes celles et ceux qui ne vivent que de leur travail, qui n’ont pas accès à la croissance mondiale, qui ne peuvent pas bénéficier de parts de marché à conquérir à l’international, et qui n’ont pas de placement, qui ne vivent pas d’autres revenus que de ceux du quotidien. Ce sont les classes moyennes françaises, ce sont les salariés, les artisans, les commerçants. C’est cette France-là qui aujourd’hui perd de ce mécanisme de financement, c’est cette France- là qu’il faut aider. C’est cette France-là qu’il faut reconnaître dans son travail, c’est cette France qui veut vivre, au fond, de son travail, et qu’il faut pleinement reconnaître.

Et, parce qu’un tel financement, c’est celui qui permet aussi de faire face à la concurrence parfois déloyale, c’est celui qui permet aussi de pleinement réussir dans la compétition mondiale. C’est celui qui permet de retrouver la voie de cette nouvelle prospérité. Alors oui, ces sécurités individuelles, nous les devons aussi aux plus faibles et aux plus pauvres. Parce que nous devons, là aussi, voir la réalité en face. Nombre de chômeurs de longue durée sont exclus du marché du travail depuis longtemps, parfois des décennies. Et nous ne pourrons pas tous les réinsérer en quelques années, leur redonner une place. Pour autant, ils ne sauraient être laissés sur le bord de la route. Nous leur devons solidarité et considération. Et j’insiste sur ces deux mots, parce qu’au fond, on a trop souvent pensé, dans notre société, que donner de l’argent, c’était suffisant comme preuve de solidarité, que donner de l’argent à celles et ceux qui ne s’en sortent plus, qui sont les plus fragiles, c’était, au fond, pour solde de tout compte. Non. La solidarité, c’est évidemment de permettre de subvenir à leurs besoins de manière plus claire, plus simple qu’aujourd’hui. Mais la considération, c’est de leur donner un rôle, de les reconnaître pleinement, dans leur handicap quand ils en ont un, dans leurs impossibilités, quand ils en ont, de les protéger, parce que c’est notre devoir à tous, mais aussi de leur permettre de retrouver un rôle dans la société lorsque cela est possible, avec des activités d’intérêt général utiles pour la collectivité, qui leur permettront aussi progressivement de retrouver une place dans celle-ci, de retrouver une dignité, et de s’apercevoir que cette place, c’est ce qui fait aussi la vie ensemble, c’est ce qui nous tient ensemble, et que l’argent n’est pas tout.

Voilà quel doit être le rôle de l'Etat à mes yeux, non pas présent partout, mais fort, implacable, là où il est indispensable. C’est-à-dire assumant ses choix, les portant, les expliquant, les donnant à voir sur le long terme. Cette Nation bienveillante et exigeante, elle impose l’implication de tous dans le cadre d’un nouveau partage démocratique. Les syndicats ont un rôle fondamental à jouer dans les branches, dans l’entreprise, pour construire les bons compromis, pour trouver les équilibres au plus près des réalités du terrain, au plus près des réalités économiques, partout dans notre pays. Et, sur ce point, l'Etat doit savoir aussi parfois se faire plus discret.

Les entrepreneurs ont un rôle à jouer afin d’articuler, avec les performances opérationnelles, la responsabilité sociale et environnementale. Parce que l’entreprise, ça n’est pas qu’un regroupement de capital, c’est une collectivité humaine qui partage un projet, qui le partage dans la durée et qui le porte.

Enfin, les collectivités territoriales ont un rôle fondamental à jouer aussi dans cette Nation bienveillante et exigeante, en déployant les politiques publiques concrètes, en phase avec les besoins, en les adaptant, là aussi, aux réalités géographiques du terrain, en portant les formations nécessaires, en portant les politiques de développement, les équilibres et les aménagements. La France, c’est une volonté, cette volonté du progrès retrouvé, du progrès qui donne une place à chacun. La France, c’est aussi la volonté de ne pas laisser la religion nous diviser et de rester une terre de libertés.

Face à tous ceux qui tiennent boutique de nos angoisses collectives, il faut rappeler quelques principes simples. Le premier, essentiel : Daesh, ça n’est pas l’islam. Daesh, c’est un projet totalitaire d’extermination qui frappe notre pays en raison de son rôle, de son histoire, de ce que nous sommes, et qui suppose une réponse militaire implacable, et cette réponse est aujourd’hui en cours. Et pour y répondre, nos forces armées, courageusement, sont pleinement impliquées chaque jour, chaque nuit, sur le terrain, au péril de leur vie. Daesh suppose aussi, comme je le disais la semaine dernière, à repenser en profondeur l’organisation de nos forces de l’ordre et de notre renseignement. Mais Daesh, ça n’est pas une religion. Le second principe simple, c’est que la religion, en France, ça n’est jamais un problème en soi, quelque religion que ce soit.

Parce que, dans notre pays, précisément, chacun est libre et doit être libre partout de croire ou de ne pas croire. Chacun est libre de pratiquer ou pas une religion, avec le niveau d’intensité qu’il désire en son for intérieur, parce que la laïcité, nous ne le répéterons jamais assez, c’est une liberté avant d’être un interdit.

La laïcité, c’est un texte de tolérance. Elle est faite pour permettre à chacun de s’intégrer dans la vie en commun. Pas pour mener une bataille contre telle ou telle religion en particulier, pas pour exclure, pas pour montrer du doigt. Comment peut-on demander à nos concitoyens de croire en la République, si certains se servent de l’un de nos principes fondateurs, la laïcité, pour leur dire qu’ils n’y ont pas leur place ? Comment voulez-vous faire ? Je veux ici redire avec force, ce soir, à Montpellier : en France, aucune religion n’est un problème. Ce qui est un problème, en revanche, et je le dis avec la même force, avec la même conviction, ce sont certains comportements, placés sous le signe du religieux, quand ils sont imposés à la personne qui les pratique. Aucune obligation, aucune pression, aucune coercition n’est acceptable. Car si la liberté de conscience est totale, l’intransigeance quant au respect des lois de la République, elle, est absolue.

Et c’est précisément parce que nous saurons tenir cette exigence sur nos principes, pour ne jamais laisser confondre, et cette exigence sur l’application de la laïcité telle qu’elle est, celle de 1905, pas celle qui exclut, c’est précisément parce que nous aurons collectivement cette rigueur, cet attachement, que nous pourrons avancer et tenir ensemble. En France, il y a des choses qui ne sont pas négociables. On ne négocie pas les principes élémentaires de la civilité. On ne négocie pas l’égalité entre les hommes et les femmes. On ne négocie pas la liberté.

Et, aujourd’hui, le problème, ça n’est pas la laïcité. C’est pour cela que vous ne m’avez jamais entendu prend part à certains débats qui voulaient, au fond, mettre la laïcité à tous les plats, quels que soient les sujets. Non. Le cœur du débat qui est posé à notre société, il faut le regarder en face, c’est l’islam. C’est la question que nous devons aborder avec exigence, ensemble, de manière dépassionnée, dans un débat complexe et rigoureux. C’est ça. On n’a pas besoin de tout confondre.

La question ... La question, elle est, au fond, très simple, vous savez. Et ça n’est pas innocent de le dire sur ces terres. Nous avons un choix, et il nous a plusieurs fois été posé dans notre histoire, c’est le choix de savoir si nous voulons combattre une religion, si nous voulons l’exclure, si nous voulons dire que le problème, c’est l’islam et le désigner comme ennemi, ou si nous voulons plutôt construire sa place dans la Nation française, en la reconnaissant pleinement, en l'assumant, en l’aidant pleinement à s’intégrer.

Ce choix, il nous a été posé à de multiples reprises, et nous nous sommes parfois trompés. Nous avons parfois choisi le pire. Nous avons parfois décidé de nous diviser. Ces terres s’en souviennent. Huguenots, les terres des Cévennes, vos villes et vos villages se souviennent de ces guerres. Parce que, à un moment donné, nos rois, un roi a décidé de ne pas poursuivre l’entreprise d’Henri IV et au fond de ne pas donner cette place à celles et ceux qui étaient différents dans leur foi : les protestants. Le choix de les exclure, de les pourchasser, de dire que c’étaient eux le problème, nous l’avons fait. La France a été mise à feu et à sang, elle a connu la famine, elle a connu le pire, elle a failli se morceler à tout jamais à cause de ce choix, à cause de cette décision, à cause au fond de cette volonté trop simple d’exclure, de désigner un coupable et de l’anéantir. Alors, la question qui nous est posée aujourd’hui, elle est simple : est-ce que notre République est suffisamment forte, est suffisamment adulte, est suffisamment responsable, nourrie de son histoire pour décider d’intégrer pleinement l’islam en France, de lui donner sa place, de lui reconnaître sa place, de connaître et de reconnaître tous les problèmes aussi qui sont posés et de le faire de manière adulte, pacifique, responsable, ou voulons-nous céder à celles et ceux qui nous promettent le pire ? Notre choix à nous, je veux vous le dire, il est simple : c’est de tirer les leçons de l’histoire. C’est de ne pas tomber dans le jeu de la division interne, de ne pas, d’ailleurs, tomber dans le jeu que Daech nous tend, parce qu’ils n’attendent que cela, cette guerre civile. J’ai entendu l’appel des 41 personnalités françaises de confession musulmane, publié au cœur de l’été. J’ai rencontré et échangé avec beaucoup d’entre elles. Je pense, comme elles, que la solution est d’abord de revoir l’organisation de l’islam en France, pour permettre aux musulmans d’être représentés, pour leur permettre de s’engager, pour leur garantir de pouvoir financer plus facilement et de manière indépendante les lieux de culte, pour soutenir des prédicateurs respectueux des règles de la République.

Parce que, si l'Etat est neutre, ce qui est le cœur même de la laïcité, nous avons le devoir de permettre à chacun d’exercer dignement sa religion. Si nous voulons vraiment organiser l’islam en France, laissons les Français musulmans prendre leurs responsabilités en toute transparence.

Aidons-les en sortant aussi de nos réflexes historiques, de nos défiances. Aidons-les en coupant les ponts à des organisations parfois occultes, à des modes de financement inacceptables, à des comportements tout autant inacceptables. Ne cédons rien sur le terrain. Parfois, cela a été fait, par facilité. Si nous voulons aider les Français de confession musulmane à prendre leurs responsabilités, à organiser l’islam en France, aidons-les à gagner ce combat d’un islam éclairé, car ce combat, c’est aussi le nôtre !

Et ce combat que nous devons mener ensemble, c’est un combat contre l’islam radical, un islam qui veut interférer dans certains quartiers sur la chose publique, et qui se pense comme prévalant sur la République et ses lois. Comment faire ? D’abord, de manière très simple, non pas en proposant de nouveaux textes, de nouvelles lois elles sont là, nous les avons, mais en les appliquant, en démantelant les associations qui prêchent la haine de la République, la haine de nos valeurs, la haine de ce que nous sommes et de ce qui nous tient. Parce que ces associations mènent partout, auprès des jeunes, une bataille culturelle. N’ayons pas peur, nous aussi, de conduire une lutte implacable contre elles, et je le dis là avec autant de force que tout à l’heure : je suis pour cette bienveillance exigeante que j’évoquais, je suis pour la laïcité de 1905, mais, dans le même temps, nous avons, sur le terrain, des combattants de cette laïcité, des combattants des droits des femmes, des combattants des règles de la République. Et si nous ne sommes pas implacables sur le terrain contre celles et ceux qui ne respectent pas la République, alors, nous abandonnons ces combattants, et ça, c’est tout autant inacceptable. J’ai vu hier encore la fondatrice de la brigade des Mères, ces femmes qui font un travail formidable sur le terrain pour défendre nos principes, nos valeurs, ces valeurs que vous avez applaudies tout à l’heure. Et ne pas être implacable partout où l’islam radical prévaut, c’est les abandonner, c’est au fond les laisser se démener avec un autre totalitarisme, c’est les laisser défendre seules la République qui est la nôtre, alors, oui, partout sur le terrain, nous devons, sur ce point, être implacables dans les faits, agir et nous engager.

Ensuite, il faut soutenir massivement ces quartiers, parce que ces quartiers, pourquoi en sont-ils parfois arrivés là ? C’est parce que nous les avons délaissés, parce que la République les a abandonnés, soit pendant longtemps par une politique de peuplement comme on l’a évoqué, en concentrant les nouveaux arrivants, leurs enfants, en concentrant les difficultés sociales et économiques, mais même ensuite, lorsque nous avons voulu répondre à ces défis, nous avons eu une politique, au fond, de quartier. Nous avons rénové l’urbanisme. C’est une nécessité absolue et un travail remarquable a été fait dans beaucoup d’endroits. Mais nous avons simplement travaillé sur des territoires en assignant à résidence ces mêmes Françaises et Français, en leur disant : on va vous refaire le quartier, on va vous donner des droits, des aides, mais vous n’aurez pas les accès. Pour vous, l’accès à l’école du centre-ville ne sera pas permis, pour vous l’accès aux transports en communs, aux centres-villes, à la culture, ça ne sera pas permis, pour vous l’accès à un stage ou à l’université, ça sera très difficile, et pour vous, l’accès à un emploi... Là, il ne faut pas en demander trop. C’est ça ce qui s’est passé, aussi.

Et donc, oui, dans ces quartiers, nous avons laissé les artisans d’un islam radical faire leur oeuvre, faire leur miel de la frustration de nos jeunes, de la frustration des Français. Voilà pourquoi, en même temps que nous démantelons les associations, en même temps que nous devons être fermes et durs, nous devons réinvestir nos quartiers pour redonner à leurs habitants des opportunités, pour leur redonner de la mobilité ! Pour soutenir le travail des maires, des conseillers municipaux, dans les territoires relégués, qu’ils prennent leurs risques, qu’ils ne transigent en rien pour défendre les principes de la Nation, pour remettre de la culture, des services publics, de la sécurité, pour nous appuyer sur un formidable réseau d’associations qui existe aussi dans ces quartiers et nous l’avons vu tout à l’heure à la Paillade, où des associations formidables font au quotidien un travail pour, au fond, retisser les liens, redonner des perspectives, permettre des petits espoirs du quotidien mais qui sont cette résistance de chaque jour, cette résistance dont nous avons besoin. Et donc oui, nous devons mener une véritable intégration économique, sociale, culturelle, parce que c’est là aussi que se joue ce combat, de manière indissociable. Et la République doit savoir recréer ces mobilités, doit savoir recréer ces accès, doit savoir recréer cette reconnaissance. Parce que, pour beaucoup de ces jeunes, c’est aussi la reconnaissance, quelle que soit leur religion, quelle que soit leur origine, de leur place dans le récit national, de leurs héros, de ceux qu’ils ont été à notre histoire, de ce qu’ils ont fait pour la France.

Et je vous le dis ce soir, notre mission, elle sera difficile, elle prendra du temps, elle sera exigeante avec toutes et tous. Ce sera de faire que les Français de confession musulmane soient toujours plus fiers d’être Français que fiers d’être musulmans. Parce que la France, c’est cette volonté et c’est cette volonté de transmettre notre culture et nos valeurs. Albert Camus, quel plus beau passeur entre les cultures et entre les rives de notre Méditerranée ! Albert Camus, lorsqu’il a reçu le Prix Nobel en 1957, le Prix Nobel de littérature, avait pris la peine, et cette lettre est connue, elle a été plusieurs fois rappelée, d’adresser quelques lignes à son instituteur. “On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché, ni sollicité”, écrivait-il, “mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue à ce petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé”.

Ce qu’on sait moins, c’est qu’Albert Camus a reçu la réponse de son instituteur, qui à son tour lui écrit : “je crois, durant toute ma carrière, avoir respecté ce qu’il y a de plus sacré dans l’enfant : le droit de chercher sa vérité”.

Voilà, au fond, résumée mieux que je ne saurais le faire l’importance, la puissance de la transmission. Parce qu’on n’est rien, on ne devient personne tant que l’on n’a pas accepté de recevoir, tant que l’on n’a pas accepté d’apprendre ce que d’autres eux-mêmes ont appris avant nous. On ne construit pas la France, on ne se projette pas en elle si on ne s’inscrit pas dans cette lignée de la France éternelle, avec ses racines, ses héros, sa culture, son imaginaire, avec les Clovis, les Henri IV, les Napoléon, les Danton, les Gambetta, les De Gaulle et les Jeanne d'Arc, avec les soldats de l’An II et les tirailleurs sénégalais, avec toutes celles et ceux qui ont marqué l’histoire de notre pays, là aussi en sachant la réconcilier, parce qu’au fond, quand on regarde cette histoire, notre histoire, la France, c’est un bloc.

On ne peut pas vouloir être français et vouloir faire table rase du passé. On ne peut pas vouloir être français et choisir simplement une partie de cette histoire. Parce que notre histoire, notre culture, tout ce que les générations précédentes ont à nous transmettre, c’est notre socle commun. C’est ce qui nous tient ensemble. C’est le début de notre avenir. Et c’est pour cela que, oui, les héros de la République, qui sont toujours les héros contemporains, ce sont bien ces passeurs, ces passeurs de savoir, l’instituteur, l’enseignant, le professeur, l’appreneur, le maître d'apprentissage, le chef d’entreprise qui, parfois lui aussi, enseigne un geste, celui qui dirige une association, toutes celles et ceux qui décident, comme le sont aussi les élus, de donner du temps à quelqu’un d’autre pour passer cet héritage, pour passer cette culture, pour passer ce que nous sommes.

Et l’on voit bien, au fond, dans cet échange entre Camus et son professeur, ce qu’il y a d’absurde à séparer l’école de la culture, à considérer l’école comme un moyen et la culture comme une fin, à ne pas voir que les deux sont également nécessaires pour vivre libre, et que les deux sont également nécessaires à tout le monde. Nous vivons dans un système qui prétend que l’éducation de tous est assurée, et qui se satisfait en même temps de laisser la culture pour quelques-uns. Je veux ici vous le dire : face aux défis du temps, l’éducation et la culture sont nos armes. C’est avec la bataille des Jean Zay, des André Malraux que nous devons renouer, celle des Jean Vilar, la bataille de ceux qui au fond reconnaissent que vibrer à la vue du Cirque de Gavarnie ou à la lecture d’une page de Stendhal, c’est communier avec l’âme de notre pays. Et que cette communion, ça n’est pas un luxe réservé à quelques-uns, ça n’est pas un accès qui ne serait pas permis à tous. Non. Au fond, cette communion, elle n’a rien d’élitiste. Cette communion, elle est tout aussi forte pour chacune et chacun d’entre nous.

Et notre devoir, c’est bien de permettre à chacune et chacun d’entre nous de lire ces pages, de voir ces paysages, d’être ému à ces spectacles. C’est cela, notre devoir. Et l’intensité de cette culture commune, ce qui nous réunit est tout aussi fort lorsque nous vibrons à l’unisson de l’équipe de France de football... Ou de l’équipe de France de rugby, devrais-je dire aussi !

Parce que la transmission, la transmission de notre culture, pour chacune et chacun, dans chaque endroit du pays, elle n’est jamais innocente, parce que c’est à chaque fois une fenêtre ouverte. Vous savez, je repense souvent à ce fabuleux passage de la Symphonie pastorale d’André Gide. Vous savez, c’est l’histoire de cette jeune fille aveugle, au fond, qu’un pasteur va transformer, à qui il va faire découvrir tant de choses. Le moment du récit le plus émouvant, celui qui donne son titre au livre, c’est ce moment unique où il emmène cette jeune fille aveugle au concert, où cette jeune fille, modeste, qui n’avait jamais eu accès à la culture, découvre la Symphonie pastorale de Beethoven, et elle en décrit les couleurs, elle met des mots sur la Symphonie pastorale que le pasteur lui-même n’avait jamais eus, elle dit des mots que les autres ne connaissaient pas. Elle dit son émotion. Mais, au fond, elle communie avec toutes et tous ce qu’est notre expérience commune, elle communie avec un des plus beaux trésors de notre culture commune, elle vibre à la même chose que vous et moi, elle détruit toutes les différences qu’il y avait à ce moment- là entre elle et les autres, parce qu’elle est forte de cette émotion partagée et parce que cet homme lui avait tendu cette main, lui avait permis cette expérience. C’est ça, la culture.

(Macron président)

La culture, c’est notre arme. C’est notre arme contre la division, c’est notre arme contre la radicalisation, c’est notre arme contre la résignation. Et la France, enfin, c’est une volonté, et une volonté d’être au monde, d’être universelle. Parce que c’est cela, la France. La France, elle ne s’est jamais pensée sans penser aux autres. C’est ce qui, parfois, je dois bien le dire, nous rend insupportables aux yeux d’autrui. Mais c’est ce qui fait en même temps que nos voisins, lorsque la France ne s’exprime pas sur tel ou tel sujet, se disent : mais que fait la France ? Où est sa voix ? Parce que nous nous sommes construits de telle sorte que notre rêve, notre rêve français a toujours été en même temps un rêve d’universel. Nous avons toujours pensé le monde. Il n’y a pas beaucoup d’autres pays, vous savez, qui vibrent pour la survie de Benghazi, qui s’indignent du martyr d’Alep ou des crimes commis à Tombouctou. Mais en France, on le fait.

Et cette manière d’être au monde a longtemps nourri le sentiment que notre pays avait une vocation, celle d’éclairer la marche du monde, celle de porter un message universel et humaniste, celle de conseiller à tous les autres de devenir comme nous, ne se rapprocher de nous, de notre modèle, de nos valeurs. C’est ce qui fait notre particularité, c’est ce qui fait aussi qu’aujourd’hui, alors que cette mondialisation nous ressemble moins, parfois ne porte pas nos valeurs, peut conduire certains au doute ou à vouloir refermer les portes. Cette aspiration à l’universel qui fait la France, c’est aussi ce qui justifie que nous ne voulions pas être de cette France du repli. Je comprends les craintes. Je comprends les incompréhensions. J’entends les colères aussi contre les dérives du monde. Mais je veux ici vous dire que la France n’est pas la France quand elle oublie sa vocation universelle. Jamais.

Et celle-ci impose avant tout que la France fasse sa part sur notre premier devoir universel, celui des réfugiés. C’est notre devoir. A quoi pourrions-nous prétendre, alors que notre pays, aujourd’hui, se divise dans la peur de l’autre et que certains nous poussent à ne pas jouer notre premier devoir moral ? Vous pensez une seule seconde que la voix de la France sera entendue, en Europe ou dans le monde, quand nous donnons ce spectacle collectif ? Accueillir des réfugiés, c’est notre responsabilité historique.

Nous sommes sur les bords de la Méditerranée. Que voulons-nous en faire ? Voulons- nous que cette mer, notre mer, le berceau de nos civilisations, donne ce spectacle ? Pensons-nous que cette Méditerranée, qui a toujours été le lieu des brassages, de nos constructions, de notre capacité à accueillir, et cette ville en est la preuve, voulons-nous en faire d’un seul coup un lieu d’exclusion ? C’est cela notre responsabilité morale, c’est cela aussi les valeurs que porte la Méditerranée. Nous sommes sur les bords de la Méditerranée, et de tous ces bords, dans cette salle, des hommes et des femmes sont venus d’Espagne, d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, d’Italie, de Sicile. On les a toujours accueillis lorsqu’ils étaient réfugiés. C’est notre devoir.

Accueillir des réfugiés, c’est notre responsabilité. C’est pourquoi nous devons nous organiser pour réformer les conditions d’examen des très nombreuses demandes d’asile. Les délais d’examen des demandes doivent être considérablement abrégées pour que les personnes qui ont droit à la protection de la France puissent être accueillies, formées, prises en charge rapidement, parce qu’elles y ont droit.

Mais, en même temps, au terme de cette procédure plus courte, plus efficace, toutes les personnes qui n’ont pas vocation à rester en France, parce qu’elles n’ont pas le droit d’asile, doivent être reconduites à la frontière.

Et je veux ici le dire sans faux semblants : l’humanité dans le traitement des réfugiés, ce n’est pas laisser croire que nous accueillerons tout le monde. L’humanité, ce n’est pas accorder des titres au compte-gouttes et laisser tous les autres demandeurs sur le territoire dans une situation de non-droit. L’humanité, c’est assumer notre rôle, examiner rapidement les demandes et en tirer les conséquences pour les principaux intéressés. C’est cela, notre responsabilité.

Notre vocation universelle exige aussi que la France soit européenne. Parce que le rêve d’Europe, c’est un rêve français. C’est pour cela que nous ne devons plus subir une Europe qui ne nous ressemble plus, au fond. N’oublions jamais ce qu’est la construction européenne, ce que nous en avons fait, nous : une construction politique inédite, quelque chose qui n’a jamais existé sur notre continent. C’est la première fois depuis soixante-dix ans que notre Europe ne connaît pas de guerre, parce que nous avons construit ce rêve d’Europe équilibré, sans hégémonie, respectueux des uns et des autres. Alors, certes, cette Europe n’est pas parfaite, je l’ai déjà dit, elle doit savoir renouer avec deux valeurs cardinales au cœur de sa promesse : la souveraineté et la démocratie.

La démocratie, parce que nous ne rebâtirons cette Europe qu’en consultant nos peuples, en leur demandant quel projet ils sont prêts à faire avancer, et en avançant aussi de manière plus résolue sans doute à quelques uns.

Mais la souveraineté aussi, parce que face aux transformations du monde, pour l'environnement, pour le numérique, pour les grandes migrations, l'Europe est le vrai lieu de notre souveraineté, c’est là où nous pouvons aussi être puissant. Et parce que si la France veut continuer de se projeter dans le monde, elle doit avancer en Europe, rebâtir le projet européen avec détermination, et là aussi, ne rien céder à celles et ceux qui doutent. Notre vocation universelle, enfin, c’est de continuer de porter un message, en dénonçant l’imposture de ceux qui prétendent protéger la France contre les changements, en renouant au contraire avec une économie forte, car c’est cela qui donnera de la force à notre voix. D’abord nos réformes, notre capacité à nous tenir debout, à montrer que la France sait avancer dans ce monde qui se transforme, pour ensuite défendre nos choix collectifs, notre mode de vie, l’avenir de nos enfants, et porter notre message.

Parce que oui, la France, c’est aussi une série de messages dans le cours du monde, ce sont des valeurs que d’autres ne portent pas. C’est un message pour plus de justice, pour plus de long terme, dont nos démocraties ont besoin. C’est un message pour la culture et pour la transmission, c’est un message pour une alimentation de qualité, et c’est un message pour la planète. Notre pays ne s’est jamais pensé en dehors de la planète. Et ce n’est pas un hasard si la COP21 s’est déroulée à Paris, qu’elle a été un succès que si peu anticipaient. Et on le doit notamment au président de la République, à Laurent Fabius et à Ségolène Royal.

Mais nous devons continuer d’alerter, de dire que le changement climatique n’est pas une menace pour demain, que c’est une menace dès à présent. Nous devons participer à convaincre, encore, le reste du monde, que le nouveau capitalisme mondialisé n’est plus viable, qu’il ronge notre planète et que le statu quo nous mènera à notre perte. Nous devons utiliser la force de notre diplomatie, l’étendue de son réseau, la singularité de la voix que nous portons à travers le monde, pour devenir le fer de lance du combat pour la transition énergétique et écologique, de la bataille pour l'environnement.

Pas parce que ce serait un combat pour empêcher ou pour préserver, non. Précisément parce que c’est un combat contre des excès mortifères, un combat pour notre avenir commun. C’est cela ce combat que nous devons mener.

Et cette responsabilité, c’est une responsabilité française. Parce qu’elle s’inscrit dans la droite ligne de notre histoire dans le monde. Dans la droite ligne de ce que la France a toujours représenté, c’est-à-dire un pays qui parle bien plus que pour lui- même, bien plus que pour l'Europe, bien plus que pour la défense de ses simples intérêts nationaux. Non. Notre pays, c’est un pays qui a la prétention de parler au nom de l’humanité.

Voilà, Mesdames et Messieurs, mes chers amis, nous avons beaucoup de défis à relever. Mais nous pouvons les relever. J’en suis sûr. Parce que être Français, c’est une volonté, et parce que nous n’avons rien à craindre, parce que la France, ce n’est pas un château de cartes, elle nous tient ensemble depuis tant et tant de siècles, et continue de nous tenir avec force, c’est cela notre pays.

Et cette volonté, c’est ce qui fait qu’on peut être Français avant de le devenir. Roman Kacew était Français bien avant de devenir Romain Gary. Dès les premiers jours où il arrivait avec sa mère de Russie, où il a commencé à écrire, puis a décidé de s’engager dans l’armée française. Ce n’est qu’ensuite qu’il a été naturalisé Français. Lassana Bathily, qui a sauvé l’an passé une partie des clients de l’Hyper Cacher, était Français, bien avant de recevoir la nationalité française. Et Georges Charpak, qui s’est réfugié ici, à Montpellier, en 1942, était entré dans la résistance, avait obtenu la croix de guerre, avant de devenir Français.

Voilà ce que c’est que d’être Français. C’est une fidélité. La fidélité à la promesse d’émancipation que notre pays porte en étendard.

Parce que la France, c’est une espérance, l’espérance du progrès, une espérance que rien ne peut décourager, parce que la France, c’est un mouvement, un mouvement d’espoir, un mouvement que rien ne peut arrêter ! Parce que la France, la France... C’est une espérance ! Parce que la France, c’est un projet, et c’est le projet que je veux porter ! Merci à vous ! (Marseillaise)

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