Discours de Furiani
7 avril 2017 - Retranscription du discours d'Emmanuel Macron à Furiani.
Rassemblement à Furiani
Merci mes amis, merci beaucoup d’être là. Je suis très heureux de vous retrouver en cet après-midi ensoleillé, ici, à Furiani, merci de nous accueillir, Monsieur le Maire, dans cette belle ville. Nous étions un peu plus tôt dans la journée à San-Nicolao, à Vescovato, comme il vient d’être dit. Je suis heureux de passer cette journée avec vous, en Corse. Un an - un jour. Il y a un an - un jour, En Marche ! était créé. Nous étions quelques uns, il y avait peu de gens pour y croire, puis nous avons lancé cette initiative politique, ce mouvement, avec la volonté de refonder la vie politique française, d’en changer les règles, les pratiques, les visages, de recomposer la famille progressiste pour qu’elle puisse, de manière pragmatique, répondre aux défis du pays. Ce n’était qu’une intuition, que la volonté de quelques uns mais je n’ai pas besoin de vous convaincre qu’à quelques un, on peut faire beaucoup. Et aujourd’hui, nous sommes presque deux cent cinquante mille.
Mais aujourd’hui, c’est aussi deux semaines - deux jours, deux semaines et deux jours, avant le vote du premier tour de cette élection présidentielle. Deux semaines - deux jours, avant un choix fondamental que le pays aura à faire pour lui-même, pour son avenir. Celui de rester à l’arrêt, celui d’hésiter ou de vouloir embrasser le siècle qui vient avec ses incertitudes, parfois ses craintes, mais aussi ses opportunités pour changer les choses.
Dans deux semaines et deux jours, c’est un choix fondamental qui sera donné à tous et toutes. Retrouver l’esprit de conquête que nous portons, cette volonté de faire, d’avancer, de prendre des décisions parfois difficiles, de prendre les réformes en profondeur dont le pays a besoin pour son économie, sa société, d’en réconcilier parfois les parties divisées. Mais de le faire avec un goût de notre avenir, une volonté de croire très profondément que ce siècle qui vient sera le nôtre.
Le choix, ce sera entre cet esprit de conquête, cette volonté de faire, cette vérité exigeante que nous portons et le choix du repli, le choix du déni. Parce que oui, c’est bien, face à nous, cela, ce qui existe. La candidate du repli sur les frontières fantasmées, sur une identité de haine, la candidate du repli sur une partie de la société française contre l’autre. La candidate qui a décidé que notre problème, c’était l’autre, parce que nous ne savons pas régler, au fond, ce qui nous causait tant de torts. Ou ce sera le candidat du déni, vous savez, celui qui n’est jamais coupable de rien. Celui qui, Premier ministre, a eu un État qu’il déclarait en faillite et l’a rendu plus endetté encore, plus faible encore. Celui qui, dès qu’il a un problème, dit qu’en fait, c’est un complot. Moi, je ne veux pour mon pays ni la candidate du repli, ni le candidat du déni. Je veux l’avenir, je veux l’esprit de conquête, c’est cela, ce que la France mérite.
Et ce n’est pas un hasard si cette dernière phase de la campagne, nous l’abordons, ici, en Corse, notre ultime combat, ces deux semaines et deux jours de campagne effrénée que nous allons conduire partout, parce que partout je veux aller convaincre, convaincre que ce que nous portons, ce que nous représentons, c’est la digne image de notre pays, ce sont les valeurs qui sont les nôtres, c’est l’avenir que nous devons construire pour lui. Et parce qu’ici aussi, en Corse, les adhérents ont tous les âges, ils viennent de tous les milieux sociaux, de la ville comme de la campagne. Le plus jeune, Matteo, a seize ans, il habite Porto-Vecchio. Il a découvert le goût de l’engagement - j’espère qu’il sera aussi de cette relève. Le plus âgé, Bernard, a quatre-vingt-un an. Il vit à Coti-Chiavari, à la pointe sud du golfe d’Ajaccio. Plus des trois quarts des membres d’En Marche !, sur l’île, n’ont jamais adhéré à un parti politique auparavant. Et vous êtes, vous - mais aussi les élus - qui nous avez rejoints, cette sève, cette vitalité démocratique dont le pays a tant besoin. Celle qui veut faire, qui veut changer les choses, et c’est ce renouvellement dont je suis le garant, je l’ai encore rappelé hier, c’est ce renouvellement que je veux porter avec elle.
Et si je suis en Corse aujourd’hui, c’est parce qu’ici bat le coeur du vrai patriotisme, de l’amour sincère de la France. Ne vous laissez pas abuser par les faux patriotes, par ceux qui veulent une France uniforme et fermée. Nous sommes les vrais patriotes parce que nous aimons la France comme elle est, dans sa diversité, forte de toute son histoire, ouverte à l’avenir et au monde, à la Méditerranée dans laquelle nous sommes ici plongés, et au monde ouvert auquel nous appartenons. Nous ne sommes pas des nationalistes, pas de mauvais procès, ici, sur l’île. Quand j’emploie ce terme, je l’emploie au sens historique et fort du terme. Nous ne sommes pas les nationalistes qui veulent une France étriquée. Nous sommes les patriotes, ceux qui, fiers de leur pays, ont toujours refusé le repli. Nous sommes les patriotes qui aiment justement les uns et les autres, qui veulent les intégrer avec l'exigence d’une citoyenneté ouverte.
Mais parce que c’est aussi cela, l’histoire constante de la Corse, c’est cette exigence patriotique, c’est celle qui a traversé les siècles. Parce que la Corse a toujours eu cette histoire, ce rôle, ce pressentiment qu’avait ROUSSEAU lorsqu’il parlait de “l'île qui allait étonner l’Europe”, pour reprendre sa formule. La Corse a toujours été avant-gardiste, elle a ouvert la voie de la démocratie, dès 1755, avec sa constitution, celle de PAOLI, avec les attributs de la République moderne, avec le droit de vote, dès ce moment-là donné aux femmes. Elle a ouvert la voie de la Libération, dès 1943. DE GAULLE disait ainsi qu’elle avait “eu la fortune et l’honneur d’être le premier morceau libéré de la France”. Et elle a ouvert le chemin à la nation tout entière, elle a ouvert la voie de la décentralisation, elle fut la première région décentralisée, avec l’assemblée de Corse, en 1982, première collectivité territoriale à statut particulier, dès 1991. Et l’année prochaine elle deviendra, grâce au travail des élus de l’assemblée de Corse, la collectivité unique de Corse. Elle a ouvert la voie du dépassement des clivages stériles pour construire des majorités de projets.
Alors oui, pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres, la Corse est une chance pour la République, une chance pour l’Europe, une chance pour la Méditerranée.
Ma position sur le sujet corse est claire, ouverte et pragmatique, comme j’essaie de l’être sur tous les sujets. La place de la Corse est dans la République, car elle est une terre de patriotes et car elle l’a elle-même choisi. “Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir français” : tels furent les mots de Jean-Baptiste FERRACCI, lors du serment de Bastia, le 4 décembre 1938. Et la place de la Corse est dans la République parce que la République est suffisamment forte pour accueillir des particularités en son sein. C’est ma conviction profonde. Parce que la République, elle est indivisible et en même temps plurielle, n’en déplaise à certains. Et le combat qui est aujourd’hui le nôtre, sur tant et tant de sujets, sur la Corse, sur la citoyenneté, parfois sur la laïcité, c’est un combat profond qui est au coeur de la République française. Celui entre celles et ceux qui veulent la détruire totalement, en la fracturant, en la divisant ; de l’autre côté, ceux qui voudraient la réduire à une identité figée, à un bloc totalement uniforme, en nier toute la diversité et prétendre en détenir une vérité fantasmée qui n’a jamais été ; et la défense républicaine des républicains, la défense vraie de la République, celle d’une République indivisible, mais qui a toujours été plurielle et dont la force est précisément de reconnaître en son sein cette diversité. Et c’est pourquoi je veux une Nation unie, qui n’a pas à redouter l’expression d’identités régionales fortes.
Le patrimoine culturel et linguistique de nos territoires enrichit notre pays, bien plus qu’il ne le menace. La langue de la République, c’est le français : c’est inscrit dans notre constitution et cela ne doit pas changer. Mais en Corse, à Sainte-Lucie-de-Tallano, Moltifao ou à Nonza - et vous verrez, mes chers amis, les clins d’oeil qui vous sont envoyés, comme ici, bien sûr, à Furiani -, c’est un fait : on ne parle pas seulement français. La langue corse est présente, dans le cœur des Corses, dans leur vie quotidienne et je sais la volonté aussi de faire venir d’autres femmes et hommes à cette langue. Et je considère, pour ma part, que c’est une richesse. Et c’est pourquoi je souhaite encourager l’apprentissage de la langue et de la culture corses dès l’école. Et c’est pourquoi également je proposerai d’engager la procédure de ratification de la Charte européenne des langues régionales, si je suis élu président.
Une démocratie ne doit pas non plus craindre d’apporter des réponses différentes à des besoins différents. L’égalité, ça n’est pas l’uniformité. Et c’est un fait : la Corse est particulière. Montagne dans la mer, elle vit les avantages et les difficultés qui sont liés à son insularité. Elle affronte des problématiques particulières, l’enclavement, le difficile accès à la mobilité et aux services du quotidien, l’éloignement du continent, le coût de la vie. Tout cela appelle des réponses particulières. Non, la réussite de la Corse ne se décrètera pas dans un ministère parisien.
Alors certains ou certaines ont pris l’habitude de venir vous voir en vous prenant pour, en quelque sorte, des crédules et font la liste du Père Noël - je crois que vous n’êtes plus de grands enfants -, en disant “j’ai des propositions particulières pour la Corse, des cadeaux”. Je ne suis pas le Père Noël et vous n’êtes pas des enfants. Mais je veux donner les moyens aux Corses de réussir dans la République, avec toutes leurs particularités et leur diversité. C’est cela l’engagement que je prends avec vous ce soir.
D’autres, depuis trente ans, s’opposent à toutes les réformes institutionnelles, au prétexte qu’elles vont trop loin ou, au contraire, qu’elles ne sont pas suffisantes. Pour ma part, je veux bien prendre le risque de l’imperfection. Ce que je veux, c’est que nous allions de l’avant, que nous avancions ensemble avec une vision claire et optimiste de l’avenir de la Corse, avec pragmatisme, et avec de la confiance. C’est comme cela que j’ai construit le mouvement “En Marche !”, que nous l’avons construit. En écoutant le terrain, en écoutant les femmes et les hommes qui font, pour forger des convictions, pour les associer aux propositions et, demain, à l’exercice des responsabilités.
Michel ROCARD disait “Jacobins, ne tuez pas la paix !” Aux collectivités territoriales, je propose, pour ma part, un nouveau pacte girondin. Ce pacte que je vous propose, il est exigeant, il repose sur des engagements réciproques : la franchise - je ne vous raconterai pas d’histoires, je ne vous dirai pas forcément ce qui vous fait plaisir -, la liberté - je ne dirai pas aux Corses ce qui est bon pour la Corse - et la responsabilité - celle de l’État à l’égard de chacun de ses territoires, celle que j’attends de vous vis-à-vis de la République. Je veux donner à la Corse les moyens d’emprunter son propre chemin de développement économique, social, culturel et lui donner les moyens de réussir.
La première étape, ce sera, dès l’année prochaine, la collectivité unique qui sera créée. C’est un moyen important, c’est l’un des moyens de réussir, il n’est pas suffisant et tout ne s’arrêtera pas là. Certains parient sur son échec, je les entends. Ils caressent le projet de la supprimer avant même qu’elle n’ait vu le jour. Moi, je veux m’engager avec vous pour sa réussite. Et je prendrai en ce sens les initiatives nécessaires, en lien avec les élus de l’île, pour qu’elle réussisse, pour que l’État s’y engage et pour que les équilibres du territoire y soient préservés également par l’État et avec l’État.
Mais cette collectivité sera d’abord ce que les Corses choisiront d’en faire. Par la suite, est-ce qu’il faudra aller plus loin, modifier le cadre législatif et réglementaire, réviser la Constitution pour permettre de nouvelles adaptations ? Cette question, d’ailleurs, n’est pas spécifique à la Corse, elle concerne nombre d’autres territoires de la République. S’agissant de la Corse, beaucoup d’arguments juridiques et politiques ont été portés au débat, par le rapport du regretté Guy CARCASSONNE et dernièrement par celui de Pierre CHAUBON, que je salue. Je sais que ce dernier rapport a été adopté à une immense majorité par l’assemblée de Corse. C’est pourquoi je n’éluderai pas la question. Sur ce sujet, comme sur tous les autres, je suis ouvert au dialogue.
Et le dialogue, en la matière, la co-construction, c’est la méthode que j’ai choisie, c’est la méthode que, vous-mêmes, vous avez sur le terrain adoptée pour la stratégie de développement de l’île, à travers le PADDUC, nous en parlions encore tout à l’heure. Cette méthode, elle a fait ses preuves, et c’est celle que je veux poursuivre avec vous. C’est pourquoi, président de la République, je réunirai tous les acteurs concernés pour bâtir un diagnostic sur la situation et les besoins de la Corse. Tous les problèmes seront abordés, il n’y aura pas de tabou. Je ne serai pas toujours d'accord avec vous, mais je vous écouterai tous. Tous les représentants élus qui siègent à l’assemblée de Corse auront la parole et mon écoute.
Et s’il apparaît que le cadre actuel ne permet pas à la Corse de développer ses potentialités, alors nous pourrons envisager d’aller plus loin et de réviser la Constitution. Je ne vais pas vous mentir, cela ne sera pas simple. Il faut la majorité qualifiée pour voter une telle réforme et elle n’est pas facilement acquise. Mais sans attendre que les institutions changent, nous pouvons agir. Nous pouvons construire des solutions sur-mesure pour chaque défi que rencontre la Corse, en travaillant dans la confiance, en avançant avec pragmatisme. Et il faut parfois libérer les énergies, d’autres fois protéger davantage. Et c’est ce projet, sans attendre ces éventuelles modifications, que je veux aussi avec vous porter, pour relever les défis.
Le premier défi, c’est celui du développement économique. Il faut créer de l’activité et de l’emploi sur l’île, pour faire réussir la Corse. Je ne veux pas d’une Corse sous perfusion. Je veux l’émancipation de la Corse. L’émancipation, ce n’est pas un chèque en blanc. C’est permettre à toutes celles et ceux qui veulent réussir, entreprendre, travailler, inventer, transformer, de le faire avec les mêmes chances, les mêmes moyens, dans une économie qui est particulière, fragile - je regarde le taux de chômage et le taux de pauvreté et ils disent de ce qui est aujourd'hui la situation. Pour cela, je ferai trois choses avec vous : investir, libérer, et protéger.
Investir d’abord parce que, oui, nous avons besoin d’investir en France et plus particulièrement dans les territoires qui sont les plus enclavés, les territoires où la ruralité se mêle parfois à la montagne et au littoral - et c’est le cas ici comme nulle part ailleurs. Nous investirons dans la transition écologique, dans la transformation de l’agriculture, dans la modernisation des transports et des équipements collectifs, dans la numérisation des services publics et de la santé. C’est cela, le plan d’investissement de 50 milliards d’euros que je porte dans notre projet, parce que c’est indispensable pour moderniser notre pays, pour faire réussir nos territoires, mais aussi pour faire les économies indispensables qui viendront ensuite.
Nous investirons aussi dans les personnes, les qualifications et les compétences. C’est l‘engagement que j’ai pris, sur l’école, de maintenir toutes les écoles aujourd'hui existantes, en particulier dans la ruralité, mais de permettre aussi, dans les zones d’éducation prioritaires, de réduire le nombre d’élèves par classe, en CP et CE1, à douze, pour que l’enseignement puisse être différencié, pour qu’il soit à la hauteur des défis qui sont les nôtres. Mais c’est aussi investir dans la formation des adultes. Nous sommes dans un monde en transformation. Il y aura des changements, des secteurs d’activité seront bousculés, d’un côté, d’autres se créeront. Et quand on regarde les chiffres que je citais à l’instant du chômage de longue durée, c’est aussi un problème de formation. Nous avons, en France, plus d’un million et demi de chômeurs qui n’ont pas les formations qui correspondent aux nouvelles opportunités. Et il y a, dans l’île, dans les plus de 10% de chômeurs, des femmes et des hommes qui n’ont pas les formations, les compétences qui correspondent aux emplois qui pourraient être offerts. Et donc nous avons besoin - et cela fait partie des engagements que je prends - de profondément réformer notre formation continue et en même temps d’investir sur la formation de ces adultes. Là où, aujourd'hui, pour cent euros de formation professionnelle, quinze va vers un chômeur, nous devons changer cet équilibre pour parier sur les individus et permettre à tous et toutes de réussir.
La réussite, elle passera aussi par la libération de l’économie. Libérer des charges, des entraves, de tout ce qui aujourd'hui empêche toutes celles et ceux qui veulent créer, entreprendre, réussir. C’est pour cela que je veux simplifier la création d’entreprise, supprimer le RSI pour les indépendants, artisans, commerçants, mettre en place dès l’été 2017 un droit à l’erreur qui modifiera profondément l’organisation de l’État. Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’au premier contrôle, vous n'êtes pas sanctionné comme un délinquant, mais vous êtes accompagné par l’administration. C’est une administration de conseil, qui aide à réussir et qui contrôle, dans le cadre de l’égalité républicaine, plutôt qu’une administration qui sanctionne sans sommation. Et le contrôle de l’égalité n’est pas toujours une entrave et c’est aussi ce qui permet à la collectivité de Corse de déployer sa liberté d’agir, aussi loin que la loi l’y autorise. Et les excès et les entorses aux règles d’urbanisme ou à celles qui encadrent la passation des marchés publics pénalisent les Corses, en premier lieu. Elles font peser le soupçon sur des élus, alors que la majorité, la très large majorité d’entre eux exercent leur mission en toute honnêteté. C’est pourquoi je le dis sans détour: contrairement à d’autres, je ne transigerai pas. Voilà un sujet pour lequel il faut plus d’État en Corse. Je renforcerai le contrôle sur la légalité, mais je le renforcerai au plus près du terrain, afin de prendre en compte les nécessités du développement économique. Je suis prêt à des ouvertures réglementaires, je suis prêt à adapter les normes, tel que je l’ai dit, mais je ne suis pas prêt à avoir un respect de la loi à géométries multiples. Parce que cela, ça ne protège personne et ça ne libère rien.
Et protéger, c’est aussi la condition du développement économique. Protéger ceux qui prennent des risques pour développer l’activité. C’est pour cela que je veux réformer en profondeur, à la fois notre assurance-chômage, pour la rendre universelle, permettre aux agriculteurs, aux entrepreneurs, aux commerçants, aux artisans d’y avoir droit, mais avec de nouveaux devoirs et des contrôles renforcés. Et c’est aussi pour cela que je veux refonder notre système de retraite. Pour le rendre plus juste. Pour que nous n’ayons plus trente-sept régimes de retraite et des règles illisibles où chacun pense que l’autre a davantage. Et avoir un système où un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits.
Et protéger, c’est aussi protéger le capital naturel de la Corse. L’île est l’un des plus beaux réservoirs de la biodiversité mondiale. C’est là sa grande richesse, qui peut lui permettre de devenir leader dans le domaine énergétique et environnemental. Ce capital, il est fragile, sans cesse menacé par le risque de pollution. Les Corses sont plus qu’exaspérés par la crise des déchets qui leur gâche la vie et entame l’attractivité de l’île. Il y a près de cent cinquante décharges sauvages en Corse. Et que les ordures souillent une terre aussi sublime, une nature aussi époustouflante, c’est un gâchis qu’on ne peut pas tolérer. En la matière, je conduirai une politique volontariste. Améliorer le tri sélectif, comme a su le faire la Sardaigne, faciliter l’accès aux bacs de tris en multipliant les points de collecte, développer une filière de biogaz pour les ordures ménagères et les déchets agricoles, trouver des solutions pérennes pour combler le déficit d’infrastructures de tri et de traitement. Le plan d’investissement public que j’évoquais pourra y contribuer. L’État et l’ADEME seront aux côtés des collectivités pour co-financer les installations qu’elles jugeront nécessaires.
Et protéger, c’est aussi protéger l’île des bateaux-poubelles qui circulent dans les bouches de Bonifacio ou au large du Cap Corse. On sait le problème qui est causé par ces passages. Si un cargo transportant des matières dangereuses venait à y faire naufrage, les conséquences écologiques et économiques seraient terribles, durables. Je ne vais pas vous raconter d’histoires : l’interdiction pure et simple du transport maritime dans ce détroit n’est pas envisageable. Elle serait contraire au droit international. Là encore, il faut être pragmatique. La solution la plus pertinente, c’est de créer, dans ces endroits sensibles, des rails permettant de sécuriser le passage des navires de transport lourd, de renforcer les contrôles. Et à nouveau, il ne s’agit pas de mettre l’île sous cloche. Ce capital naturel doit être protégé pour pouvoir être développé. Et il y a là une opportunité immense de prospérité pour la Corse. Et je vous le dis : partout en Méditerranée et dans le monde, les îles jouent un rôle moteur en matière de transition écologique et de nouveau modèle de développement économique. La Corse, elle doit jouer ce rôle, c’est son destin ! Je veux l’y aider et ce sera votre responsabilité !
La Corse doit devenir leader dans la transition écologique, dans l’énergie, les déchets, l’agriculture, le patrimoine naturel. La filière des énergies renouvelables est déjà bien installée, notamment grâce au pôle de compétitivité Capenergies où l’on trouve des très petites entreprises du photovoltaïque, de l’éolien, du bois ou de l’hydraulique. Et l’État accompagnera le développement de ces structures, d’une agriculture également raisonnée, bio, de circuit court sur l’île, en valorisant la production locale et l’excellence dans la production, que l’île a déjà su faire valoir.
Mais il y a un autre défi que nous devons aussi réussir ensemble, au-delà du défi économique : c’est de permettre aux Corses de bien vivre au quotidien. Quand j’interroge les Corses, la plupart du temps, ils sont heureux, je dois bien le dire. Ce qui fait, d’ailleurs, plaisir - il y a tant et tant qui disent que tout va mal. Ils sont fiers de leur île. Et je n’ai jamais croisé un Corse qui vous dira qu’il serait plus heureux de vivre dans un autre endroit du territoire français que dans son village ou sa ville de l’île. Mais en même temps, ils me parlent de vie chère, des inégalités qui se creusent, de la difficulté de se loger, du sentiment d’insécurité. Et donc, là, je veux prendre quelques engagements très clairs. Contre l’enclavement, je veux re-créer de la mobilité.
Cette mobilité, elle sera d’abord numérique. Si on veut aider le quotidien des Corses, il faut un accès au numérique. A la fibre et à la 3G-4G. Et là-dessus, j’ai essayé, quand j’étais ministre, pendant deux ans, de faire le maximum. On doit être plus exigeant encore avec les opérateurs de téléphonie mobile. Je leur donnerai dix-huit mois. Dix-huit mois durant lesquels je leur permettrai d'accélérer, en facilitant toutes les normes. Je leur donnerai un calendrier extrêmement ambitieux, pour, partout sur le territoire, développer les infrastructures que l’État vous doit. Si, à l’issue de ces dix-huit mois, ils ne sont pas au rendez-vous, l’État se substituera à eux, pour, partout sur le territoire et en particulier dans les zones les plus rurales, créer les infrastructures essentielles du XXIe siècle que sont la fibre et l’accès à la téléphonie et à l’Internet mobile.
La mobilité, ce sera aussi la continuité territoriale, en favorisant la concurrence, en veillant à ce que cette mobilité, qu’elle soit maritime ou aérienne, soit assurée avec des prix raisonnables. La mobilité, elle sera aussi méditerranéenne. C’est le destin de la Corse : ancrée dans la Méditerranée. Elle doit pour cela approfondir ses relations avec les autres îles de notre mer commune. Et la nomination récente de Gilles SIMEONI à la présidence des îles de Méditerranée est un signal fort dans cette direction. Le Parc marin international des Bouches de Bonifacio illustre ce que la coopération corso-sarde peut produire de meilleur pour préserver le patrimoine naturel commun. Et c’est indispensable pour le développement touristique, écologique, du sud de l’île.
Pour aider à régler les problèmes du quotidien, on doit aussi s’atteler à l’insécurité. Et pour ce faire, je veux également mieux protéger. J’étais, à l’instant, avec les pompiers de la caserne de Furiani. Ils font un travail formidable, au risque de leur vie. Et je veux ici saluer leur engagement - j’ai vu les dernières opérations qu’ils avaient conduites, qu’elles soient face aux intempéries ou aux feux de maquis. Et je veux, au-delà, saluer l’engagement de ces 230 000 sapeurs-pompiers, professionnels, bénévoles ou militaires, qui sont souvent le seul recours pour les habitants dans les endroits les plus reculés de l’île.
Et j’ai entendu la demande des Corses, en matière de sécurité et de justice. Ils réclament plus de République, plus d’autorité de l’État en Corse. Ils ne veulent plus subir les trafics de drogue que font régner certains, l’insécurité qui porte atteinte à l’attractivité de l’île. Et je serai, là-dessus, d’un pragmatisme total et d’une détermination absolue. Face à la délinquance : tolérance zéro ! Dix mille gendarmes et policiers supplémentaires seront recrutés sur la durée du quinquennat et ils seront affectés à tous les territoires qui en ont besoin, dont l’île. Je créerai une nouvelle force de police : la police de sécurité quotidienne, qui sera créée pour être plus présente dans les quartiers les plus difficiles, pour recréer un contact d’autorité véritable avec la population. Et elle aura de nouveaux moyens : la possibilité sur les petites infractions d’un pouvoir d’amende immédiate, dès le constat fait. Plus de procédure qui traîne un an, un an et demi, pour finir classée sans suite ou n’avoir aucune réponse pénale ! Et aussi un pouvoir d’éloignement du territoire : quand une bande sème le trouble aux abords d’une gare, en bas d’un immeuble, on doit pouvoir, de manière rapide, sous le contrôle du juge, leur interdire de rester à cet endroit où ils sèment le trouble et créent l’insécurité.
Et je soutiendrai toujours les élus qui garantissent et maintiennent l’ordre public. La Corse a été traversée par des tensions autour de la triste affaire du burkini. J’ai eu l’occasion de le dire, je pense que c’était un débat absurde, un débat largement recherché par celles et ceux qui nous ont attaqués, et qui n’avait rien à voir avec la laïcité. Mais c’était un sujet d’ordre public. C’est la raison pour laquelle le maire de Sisco a pu prendre un arrêté d’interdiction qui a été validé par le juge administratif. Quant à la laïcité, elle n’est rien d’autre qu’un bouclier, qu’un instrument de liberté et de protection. Et je la défendrai sans concession, afin de protéger la liberté de croire, de protéger la liberté de ne pas croire et afin de défendre la République contre ses ennemis qui agissent sous le prétexte de la religion, que ce soit pour défendre une religion contre la République ou que ce soit pour haïr une religion, même si c’est au nom de la République.
Enfin, contre le sentiment d’abandon, je veux redonner des droits, mais des droits concrets. Pour le logement, je veux qu’on reconstruise. La réponse, elle n’est plus dans des aides, elle n’est plus dans la capacité de l’État à répondre en accumulant les aides personnelles. Nous avons besoin d’un choc d’offre, en matière de logement. Lorsqu’il y a des zones tendues, lorsqu’il y a un manque de foncier ou de logements disponibles, le coeur de la réponse que nous devons à nos concitoyens, c’est de construire davantage. C’est de permettre de libérer le foncier là où il est nécessaire. C’est de permettre, dans les zones tendues, d’avoir davantage de constructions, en respectant toutes les règles, en respectant les équilibres que je viens d’évoquer, mais, ce faisant, en faisant baisser les prix. C’est pourquoi je m’engagerai sur plusieurs opérations d’intérêt national afin d’accélérer les délais et d’avoir une procédure volontariste de construction de logements pour répondre au besoin de logement qui existe, en particulier sur l’île. C’est aussi pour cela que j’établirai plus de transparence dans le système d’attribution des logements sociaux pour que ces logements aillent réellement à ceux qui en ont besoin. En zone tendue, nous généraliserons un mécanisme de cotation pour évaluer la hiérarchie des demandes en fonction de critères objectifs.
Je ferai la même chose en matière de santé. Il y a un besoin. Nous étions ce matin à San Nicolao, nous l’avons vu. Et j’ai visité la maison de santé de Moriani: elle accueille des médecins généralistes, des kinésithérapeutes, des ophtalmologistes, des pédiatres, des infirmières, des assistants médicaux. Je veux qu’on double le nombre des maisons de santé sur le territoire. Nous pouvons le faire, c’est un engagement de ma part. Et de manière générale, il faudra, dans les cinq ans, qu’il s’agisse de la médecine libérale comme de l’hôpital, rattraper les retards d’équipement et de moyens dans le domaine de la santé publique. Je ne veux plus qu’on puisse dire que le meilleur médecin en Corse, ça puisse être Air France, c’est terminé.
Et enfin, face à la vie chère, je veux qu’on puisse avoir une réponse à la pauvreté: 30% des personnes sont en situation de pauvreté en Corse et sont des personne âgées. Pour soutenir nos anciens, je porterai le minimum vieillesse à plus de 900 euros par mois contre 800 euros aujourd’hui. Cette hausse, elle est indispensable si nous voulons avoir un traitement décent. J’augmenterai aussi le revenu des classes populaires et moyennes qui travaillent en baissant les cotisations sociales salariales parce que je veux financer par la CSG, et plus par ces cotisations, notre système de chômage. Et c’est aussi parce que je crois à cela que je réformerai la prime d’activité, pour permettre de rendre le travail plus payant. Je ne veux plus entendre dire, dans notre pays, qu’il est plus rentable de ne pas travailler que de se remettre au travail, ça n’est plus acceptable..
Enfin, je sortirai de la taxe d’habitation 80% des Françaises et des Français. Pourquoi? Parce que la taxe d’habitation est un impôt injuste. Il est injuste socialement. Si vous gagnez une fois le SMIC, vous payez, pour un logement comparable, la même taxe d’habitation que quelqu’un qui gagne cinq ou six fois plus. Et il est injuste territorialement. Il est faible dans les métropoles riches, il est élevé dans les petites communes dont c’est la seule ressource fiscale ou dans les villes-bourgs qui ont tant de charges à soutenir. Et donc, c’est l’engagement que je prends: sur les économies que nous ferons, nous investirons 10 milliards pour baisser les charges des entreprises, 10 milliards pour baisser les impôts des ménages - ce sera la suppression de la taxe d’habitation pour 80% des Françaises et des Français. Concrètement, dès 2020, un couple avec deux enfants qui gagne jusqu’à 5000 euros par mois sera entièrement exonéré de cet impôt injuste et les communes seront intégralement remboursées par l’État. Nous suivrons les bases, ce sera évalué tous les semestres. Ma parole, il y a autant d’élus municipaux que de citoyens, dans cette salle ! Et je vous le dis, l’autonomie fiscale sera totalement préservée.
Et d’ailleurs, qu’il s’agisse des efforts budgétaires comme de la fiscalité, j’instaurerai, au sein de notre République, une nouvelle gouvernance. Je mettrai en place une conférence des territoires que le président de la République installera dès l’été 2017. Elle sera réunie tous les six mois par le Premier ministre et une fois par an par le président lui-même. Tous les territoires y seront représentés et une évaluation partagée des ressources, des besoins, des recettes fiscales y sera discutée, de manière objective.
Voilà, mes amis, ce que je voulais partager avec vous, cet après-midi. Nous avons, on le sait, une histoire qui a parfois été compliquée, entre la Corse et la République. Je veux la réconcilier, parce que le destin de la Corse est dans une République forte. Et une République forte, c’est faire exister la diversité et sa richesse en son sein. Et en même temps, nous avons tant de défis économiques, sociaux, sécuritaires, du quotidien à relever. C’est cela, ce que je veux faire avec vous, vous l’avez compris, au moins pour les cinq années qui viennent.
Chers amis, deux ans avant sa mort, Michel ROCARD, à qui je dois énormément, écrivit un beau texte qui commençait ainsi: “le temps viendra bientôt pour moi, comme pour tous, de quitter la compagnie des vivants”. Et il continuait en disant “reste un rêve un peu fou, encore un. Que ma dernière décision, l’ultime signal, le choix du lieu où reposer soit pour tous ceux qui m’ont aimé ou même seulement respecté une évidente, une vigoureuse confirmation. C’est un village, Monticello, en Balagne. A l’occasion, venez nous voir, me voir, il faut garder les liens. Peut-être entendrez-vous les grillons, sans doute écouterez-vous le silence. A coup sûr, la majesté et la beauté de l’endroit vous saisiront. Quel autre message laisser que de vous y convier?”.
Michel ROCARD, toute sa vie, a cru en l’intelligence et il a été un homme de combat. On peut ne pas avoir été d’accord avec lui mais je crois qu’on ne pourra jamais lui enlever cela. Ce que je veux, c’est que dans deux semaines et deux jours, vous lui donniez raison ; vous lui donniez raison d’avoir cru en l’intelligence, dans la force de notre pays, dans l’engagement citoyen, ouvert ; que vous lui donniez raison en faisant gagner les forces de progrès. Ce que je veux avec vous, c’est reconnaître, en citant ses phrases, qu’on peut, comme lui, ne pas avoir une seule goutte de sang corse et pourtant aimer la Corse intensément. Ce que je veux, avec vous, durant les semaines qui viennent, c’est faire triompher nos idées, les faire gagner et c’est d’avoir à mes côtés, ici, des femmes et des hommes qui sont fiers d’être corses, qui sont fiers d’être français, qui sont fiers d’être européens.
Vive la Corse ! Vive la République ! Vive la France !
Je compte sur vous ! Merci à vous !
(Marseillaise)