Entretien avec WWF France
9 février 2017 - Retranscription de l'échange entre Pascal Canfin et Emmanuel Macron.
Interview d’Emmanuel Macron par WWF France
Pascal Canfin : Bonjour à toutes et bonjour à tous. Bienvenue dans ce premier Facebook live de la campagne présidentielle, où l’ensemble des candidats qui le souhaiteront vont être face à la communauté des membres et des supporters du WWF. Le premier candidat à avoir accepté cette invitation, c’est Emmanuel Macron, bonjour Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron : Bonjour.
PC : Je vous remercie de vous prêter à cet exercice. Ça va être l’occasion pour vous de présenter un certain nombre de propositions, qu’on espère le plus précises, le plus ambitieuses possible : sur l’environnement, sur la nature, sur l’énergie, sur l’alimentation, sur l’agriculture, sur la santé, autant de thèmes que l’on va aborder pendant 45 minutes. On va avoir trois séquences, la première séquence, c’est comprendre quelle est votre vision de l’écologie, de la crise écologique, et on va partir pour cela du rapport “planète vivante” du WWF et ensuite des questions qui sont arrivées, plus de deux cents, depuis deux jours, et qui vont continuer à arriver en live. D’ailleurs, je vous invite à continuer, bien évidemment, à les poser, pour que nous puissions les sélectionner et les proposer à Emmanuel Macron. Nous allons, donc, avoir des questions très précises qui appellent des réponses très précises, vous êtes attendu là-dessus et donc on compte sur vous. La troisième séquence sera beaucoup plus rapide et sera davantage sur votre rapport personnel à la nature, aux animaux, à l’alimentation. On va donc commencer par cette citation, qui est issue du rapport “planète vivante”, et j’en profite d’ailleurs pour vous le remettre...
EM : Merci beaucoup.
PC : ... qui est le rapport de référence du WWF dans le monde et qui fait, en quelque sorte, le bilan de santé de la planète, et il y a deux chiffres qu’on a extraits de ce rapport et je voudrais que vous les commentiez. Premier chiffre: c’est que deux tiers des espèces sauvages, 58% pour être plus précis, ont disparu, en quarante ans. Je crois que quarante ans, c’est pas loin de votre âge, c’est pas loin du mien non plus, donc ça veut dire que depuis que nous sommes nés, deux tiers des animaux sauvages ont disparu. Je voudrais savoir ce que cela vous évoque. Et le deuxième chiffre, qui est aussi très frappant, c’est que aujourd’hui, il faut 1,6 planète Terre pour satisfaire les besoins de l’humanité. Ça veut dire que nous creusons notre dette écologique, chaque année qui passe, nous puisons davantage dans les ressources que ce que la planète peut resservir comme écosystème, c’est vrai pour le climat, c’est vrai pour les forêts, c’est vrai pour les océans, là, c’est pareil, quelle est votre vision, quelle est votre perception de la crise écologique aujourd’hui?
EM : Bonjour, d’abord, et merci pour cette invitation, cette occasion d’avoir une discussion en profondeur sur des sujets, et je trouve que les deux chiffres, les deux réalités qui sont ici rappelées, le montrent, qui sont des sujets éminemment importants. Je ne me suis pas beaucoup exprimé jusqu’à présent sur ces sujets, d’abord parce que j’ai eu des fonctions ministérielles qui sont souvent perçues comme antagonistes à ces derniers sujets - on pourra y revenir à chaque fois -, et parce que ce que je veux construire, c’est vraiment une cohérence et les deux réalités que vous venez de souligner le montrent, on ne peut pas aujourd’hui penser vivre, produire, consommer, innover, sans avoir ce type de réalités en tête. Parce que, si on regarde notre planète, nous sommes intervenus très très très très tardivement dans son histoire. Et il y a toute une histoire de la planète qui nous précède, qui a créé, justement, la matière, les espèces, etc., et nous sommes, de manière extraordinairement accélérée depuis la révolution industrielle, en train non seulement de la surconsommer, et chaque année un peu plus, mais en train aussi de la fragiliser et de la détruire. Et donc le rapport que l’on doit avoir à notre humanité, je le disais il y a quelques jours, il doit prendre en compte ces sujets-là, parce que notre commun, ce sur quoi nous sommes aujourd’hui, ce qui nous fait, c’est cette planète. Et donc, si l’on perd de vue ce qui nous rassemble, ce dont nous sommes les dépositaires, un instant de raison, et que nous allons léguer aux générations à venir, nous trahissons, sur le plan moral, sur le plan civilisationnel, ce que nous sommes.
Donc ça, c’est le premier point : je pense qu’on ne peut pas faire fi de ces réalités. Et en effet, quand je vois qu’il y a ces disparitions, c’est à la fois de notre patrimoine naturel, c’est une destruction de ce qui fait notre planète et qui nous a précédés, mais c’est en même temps le fait que nous sommes en train de détruire ce commun de notre humanité, la possibilité pour nos enfants de le connaître, d’en bénéficier, et avec tout un tas de conséquences que nous n’envisageons pas et que, parfois, les préoccupations court- termistes que nous pouvons avoir sembleraient nous faire préférer. Je m’explique, pour moi ce chiffre-là il montre une chose, la première, c’est qu’être écologiste aujourd’hui, c’est se préoccuper de l’humanité, et de l’humanité sous toutes ses composantes, donc, le monde dans lequel nous sommes, ce qui nous fait.
La deuxième chose, c’est se préoccuper de notre capacité à avoir une vraie croissance. La deuxième réalité que vous soulignez, c’est qu’aujourd’hui, nous avons une croissance qui n’est pas soutenable parce que la planète n’y suffit pas. Je ne suis pas favorable à deux visions qui s’opposent, aujourd’hui, dans le débat français. Je ne crois pas qu’on puisse raisonnablement continuer à dire à nos agriculteurs, à nos industriels, qu’on va faire comme on a toujours fait “parce que ce n’est pas durable, les normes, l’environnement, tout ça, honnêtement, ça suffit, on va faire une pause, on ne s’en occupe pas”, parce que juste, ce n’est pas durable. Je ne suis pas non plus celles et ceux qui disent que l’écologie devient une priorité au-delà de tout, sans se préoccuper de savoir comment l’on construit ou qui croient dans la décroissance.
Je veux croire dans une croissance choisie, sélective, parce qu’on doit aujourd’hui choisir nos modèles de croissance ; créer, produire, innover tout en prenant en compte cette réalité. On ne peut pas créer, produire, innover durablement sur notre planète, dans notre pays, si nous ne prenons pas conscience que l’on surconsomme. Il y a une responsabilité économique et de durabilité formidablement importante. C’est également une responsabilité de santé car, derrière ces réalités, nous le savons bien, il y a de la pollution, la surconsommation, on détruit des espèces qui sont importantes pour notre propre santé. Nous avons là un vrai sujet d’inégalité. L’inégalité environnementale, qui fait qu’aujourd’hui je surconsomme, en augmentant la dette, dette intergénérationnelle qui est profondément inégalitaire à l’égard de nos descendants.Derrière cette réalité, il y a des inégalités spatiales, géographiques, climatiques potentiellement dangereuses.
PC : Comment vous hiérarchisez, si vous le faites, la dette financière et la dette écologique ?
EM : Je ne les hiérarchise pas, je les compose. Je pense que le sujet de la dette financière est très important parce qu’il s’agit de notre souveraineté propre. Les personnes qui pensent qu’on peut facilement négocier avec les banques sont des personnes qui n’ont jamais négocié avec elles. Quand on négocie avec les marchés, on dépend d’eux. Je veux réduire nos dépenses courantes de manière réaliste, les frais qui nous font fonctionner chaque jour, baisser notre niveau de dépense rapporté au PIB. J’expliquerai en détail comment, sur une stratégie quinquennale.
A côté de cela, nous avons besoin d’investir, c’est comme cela que je réconcilie les dettes financières et écologiques. Nous avons besoin d’investir dans notre nouveau modèle de croissance et de production. Nous devons investir dans la transformation de notre agriculture, dans les énergies renouvelables et la transformation du mix électrique.Nous devons investir et simplifier les réglementations pour changer notre modèle d’engagement, réduire notre consommation d'énergie fossile. C’est comme cela que je compose ces dettes. J’aurai, dans ma trajectoire financière, un plan ambitieux d’investissement dont l’un des piliers sera justement l’écologie et la transition des modèles de croissance.
PC : Nous avons une première question sélectionnée : “François HOLLANDE a obtenu l’accord de Paris sur le climat. Si vous êtes élu président de la République, que prévoyez- vous, concrètement, pour tenir cet engagement ?
EM : Je pense, d’abord, que c’est une formidable réussite. Il faut rendre hommage au président de la République, à Laurent FABIUS, Ségolène ROYAL, à toutes les équipes et particulièrement à l’équipe France, qui a fait un travail remarquable, sur cet accord qui était, pour beaucoup, perdu d’avance. Je serai vigilant, d’abord, à ce que les engagements internationaux soient tenus. Nous avons un grand doute aujourd’hui sur les Etats-Unis d’Amérique ; une grande victoire avec la Chine, qui est en train de rentrer dans la conscience écologique et environnementale. J’aurai un dialogue extrêmement nourri avec la Chine, en particulier, sur ce point. Je m’assurerai que le fond de financement soit bien doté, que les engagements sur le plan international soient pris, que l’on avance, COP après COP, vers des mesures contraignantes.
L’accord de Paris a été une victoire, parce que c’est la première fois que l’on reconnaît que nous partageons une contrainte, par rapport à la trajectoire de degré. Dans le même temps, nous avons besoin de mesures contraignantes qui ne sont pas là. Ensuite, pour la France, il faut être cohérent. C’est le premier objectif de ma stratégie écologique et environnementale que d’avoir une vraie stratégie sur la sortie des énergies fossiles, pour être cohérent avec la trajectoire que l’on a prise.
PC : Avec un calendrier ?
EM : Oui, cela veut dire que dans le quinquennat, nous devons fermer toutes les centrales à charbon qui existent encore dans le pays.
PC : Il en reste entre 3 et 5.
EM : Voilà. Nous avons plusieurs fois repoussé les choses. Il faut le faire et j’aurai toujours la même préoccupation qui est un principe générique pour moi : des objectifs chiffrés, clairs, et, dans le même temps, une politique d’accompagnement. Il faut arrêter d’opposer agriculture/écologie, industrie/écologie, écologie et politiques sociales. Il faut les rassembler.
PC : On va y revenir. C’est un premier engagement de votre part.
EM : Oui, fermeture dans le quinquennat, avec un accompagnement des personnes, des industriels et des territoires. C’est extrêmement important. Le deuxième engagement - j’ai connu cela de près, étant ministre en charge -, concerne les nouveaux permis d’exploitation et d’exploration d’hydrocarbures. Je prends l’engagement de ne plus en prendre et de ne plus en donner.
PC : Le WWF est très présent en Guyane, nous avons beaucoup de questions sur l’Outre- mer, notamment sur la Guyane, que l’on a synthétisées en rappelant que la France est responsable de 10% de la biodiversité mondiale, grâce aux Outre-Mer. La question précise qui est posée, c’est qu’allez-vous faire pour protéger cette biodiversité, unique au monde ? Il faut savoir, et peu de Français le savent, que nous avons le deuxième parc naturel mondial, derrière le Brésil, avec l’Amazonie française. Aujourd’hui, cette Amazonie est menacée par différents projets. Quels sont les engagements que vous pouvez prendre ?
EM : D’abord, juste pour finir sur mon engagement sur les permis d’hydrocarbures, pour être très concret, pas de nouveaux permis. Il y a un sujet qui est le sujet guyanais, vous avez raison, il faut que nous soyons clairs. Nous pourrions finasser car, comme vous le savez, c’est la Guyane qui va récupérer la capacité de donner les permis, ce n’est plus l’Etat. J’ai eu une discussion avec le président de la collectivité territoriale de Guyane, Rodolphe ALEXANDRE, avant de venir vous voir. J’ai été transparent avec lui en lui disant que je souhaitais pouvoir annoncer cela. Pour lui, le problème, ce sont les ressources.
Il s’est un moment opposé à ce projet, il y a eu beaucoup de tension avec les marins, parce qu’il y a des conflits d’usage. Il y a des permis qui existent aujourd’hui et qui ne lui rapportent pas assez parce qu’il faut qu’il y ait un retour pour les populations et l’écosystème local. Je souhaite qu’il ne soit pas donné de nouveau permis, je m’engage à cela. Il y aura, dans le plan de croissance Guyane que je souhaite conduire à son terme et négocier, une compensation pour cela.
C’est comme cela que l’Etat accompagnera le territoire. Je ne veux pas qu’on ait un jeu de dupes entre nous, c’est-à-dire vous promettre quelque chose alors que c’est le territoire qui le décide. Nous sommes parfaitement clairs, et je propose cela en transparence avec tout le monde.
PC : Donc pas de nouveau permis d’exploration d’hydrocarbures, pétrole et gaz dans les eaux territoriales françaises, partout dans le monde, c’est cela votre engagement ?
EM : Exactement, c’est cela mon engagement. Avec un engagement, pour la Guyane, de compensation de la perte fiscale attendue parce que je veux être respectueux. Ils ont besoin de ressources financières...C’est ce que j’ai évoqué avec Rodolphe ALEXANDRE.
PC : Cela veut donc dire, si je précise pour la Guyane, pas de nouveau permis pour l’entreprise Total.
EM : Exactement. Pour la biodiversité, c’est un objectif extrêmement important, compte tenu des réalités que vous exposiez, parce que c’est aussi un objectif de durabilité de notre modèle de croissance. 40% de ce que nous créons sur la planète est lié à cette biodiversité de près ou de loin, par nos modèles agricoles, la production, etc. Là-dessus, je vais prendre quelques engagements clairs, on y reviendra sans doute, quand on parlera d’alimentation, de pesticides.
Pour les territoires ultramarins, c’est le coeur de notre biodiversité. Je souhaite que la biodiversité ultramarine soit protégée, et bien protégée, il y a un travail qui a commencé, je souhaite qu’on aille plus loin. Pour être très concret sur le sujet des autres projets, je souhaite qu’on puisse avancer, parce que c’est important pour le développement économique en particulier de la Guyane, sur, par exemple, les projets de mines, dans le cadre des mines responsables. Nous pouvons avancer sur des projets raisonnables, encadrés, où il y a un engagement des industriels, sous le contrôle de l’Etat, en lien avec les collectivités territoriales, pour créer de l’emploi et de l’activité sans détruire la biodiversité, sans avoir des rejets de cyanure qui sont absolument terribles pour les nappes phréatiques, les réserves halieutiques, les populations locales.
J’ai été un ministre extrêmement vigilant sur tous les projets sauvages. Nous avons été très durs, nous les avons fermés. J’ai accompagné les projets de PME locales, qui étaient dans le cadre des mines responsables, et tous les projets qui s’inscrivaient dans ce champ. C’est cet équilibre que je veux tenir. La biodiversité, je pense que c’est très important pour l’Outre-mer. Je souhaite, dans le quinquennat à venir, que la France s’engage avec une conférence mondiale sur la biodiversité qui puisse justement éveiller la conscience.
PC : Il existe déjà des négociations internationales.
EM : Exactement. nous devons en faire un point d’orgue, un momentum, pour là aussi prendre des engagements internationaux. Je souhaite que cette conférence soit d’ailleurs abritée dans un territoire d’Outre-mer. Je l’ai écrit dans mon livre Révolution, la biodiversité, ça touche tous les territoires, y compris l’hexagone. Quand on parle d’artificialisation des sols, et là-dessus, je veux prendre un engagement très clair d’avoir cet objectif de zéro artificialisation nette.
PC : Donc votre proposition : une grande proposition internationale hébergée par la France sur la biodiversité dans le monde et qui se tiendrait dans un des territoires d’Outre- mer. Après ces questions, on va passer à une grande thématique qui est l’énergie, le climat, avec un premier sujet qui est malheureusement d’actualité très chaude puisque nous avons appris, quelques secondes avant de commencer ce live, qu’il y avait une explosion en cours à la centrale nucléaire de Flamanville. Apparemment, selon les informations dont on dispose en ce moment-même, il n’y a pas de risque majeur selon la préfecture - cela peut éventuellement toujours évoluer. Je ne vais pas vous demander, sauf si vous le souhaitez, bien évidemment, de réagir à chaud puisqu’on ne dispose pas de toutes les informations, donc, dans ce contexte, de prendre quand même un tout petit peu de recul sur la question du nucléaire. Quelle est votre stratégie ? Est-ce que vous maintenez la loi de transition ? Ce sont de nombreuses questions qui ont été posées sur ce sujet par l’ensemble de la communauté du WWF.
EM : D’abord, vous avez tout à fait raison, je pense qu’il faut être très prudent sur ce qu’il vient de se passer. Je veux d’abord avoir une pensée évidemment pour les personnels de la centrale, s’il y a paraît-il quelques blessés - je ne sais pas si ce sont des blessés lourds ou légers - mais j’ai une pensée pour tous les personnels d’EDF qui travaillent avec beaucoup de soin et d’attachement justement dans cette centrale, qui est un projet qui a pris beaucoup de retard, comme dans l’ensemble du parc français. Oui, je garderai le cap de la loi de Transition Énergétique parce que je pense qu’il est bon. Et donc c’est l’objectif de changer notre mix électrique pour atteindre à horizon 2025 les 50%. Je prends les Allemands,
PC : Donc vous maintenez ce cap avec le calendrier.
EM : Je maintiens ce cap avec le calendrier, je vais être très précis. D’abord, sur le mix électrique, il faut regarder les choses telles qu’elles sont : nous avons, en France, grâce au nucléaire, une production d’électricité qui est très peu carbonée. On le sait, c’est l’une des moins carbonées au monde, et ça, c’est une chance, c’est une force de notre modèle, en même temps, qui a assuré notre souveraineté énergétique, même si, là-dessus, il faut aussi regarder les choses avec beaucoup d’humilité, parce que la production de matière fossile, et son extraction, se fait aussi dans des géographies sur lesquelles il y a des incertitudes. Mais nous sommes plus indépendants et moins carbonés en production électrique que la plupart de nos partenaires européens. Je prends les Allemands : ils ont pris une décision rapide sur le nucléaire mais qui les a conduits quand même à rouvrir derrière, on le sait, le charbon et la lignite.
PC : On pourrait contester, mais on ne va pas rentrer dans ces détails...
EM : Non mais c’est une réalité, après vous pourrez me contester sur la montée des renouvelables et je vais y venir. Donc, le nucléaire, tout n’est pas à jeter. On a deux défis : un défi de sûreté post-Tchernobyl/Fukushima - ce qui vient de se passer est peut-être d’ailleurs un nouveau signal en ce sens - c’est un vrai défi, moi, je considère que c’est le plus important, évidemment, et donc tout doit être fait à l’aune des éléments de sûreté nucléaire. Ensuite, deuxième chose, c’est des éléments de coût, parce qu’aujourd’hui, personne ne sait dire quel est le coût complet du nucléaire. Là-dessus, il faut avoir beaucoup d’humilité, je dois le dire, les différents partis écologistes et autres avaient beaucoup soulevé ce sujet, à raison. Aujourd’hui, personne ne sait dire quel est le coût complet parce qu’on ne sait pas dire quel est le coût complet de la sûreté nouvelle génération, parce qu’on n’a pas un projet qui est ouvert, on ne sait pas dire quel est le coût du démantèlement et du retraitement. Et en même temps, on a un problème de dépendance parce que ce n’est pas bon d’avoir 75% de notre énergie électrique qui dépend du nucléaire. C’est pour ça que je garde cet objectif, il est bon, et je souhaite qu’on se désensibilise par rapport au nucléaire.
Maintenant, est-ce que le 50% en 2025 est atteignable ? Je ne sais pas du tout vous le dire, aujourd’hui, mais je veux me mettre dans cette trajectoire. Je ne sais pas vous le dire, pourquoi ? Parce que j’ai deux grosses incertitudes. La première, c’est l’avis de l’ASN (l’Autorité de Sûreté Nucléaire) sur nos centrales. Je ne le saurai qu’en 2018 : lesquelles sont prolongeables ou pas, où sont les problèmes de sûreté et d’investissements ? Et donc ça, il faut le regarder en l’état, parce que comme vous le savez, on a besoin de cet avis de l’ASN pour construire, derrière, la vraie trajectoire d’EDF et prendre les dispositions et les fermetures nécessaires. D’ores et déjà, moi, j’ai dit, pour être cohérent, que je prendrais la mesure de fermeture, avec compensation pour EDF qui devra être discutée et évaluée, de Fessenheim. Mais le reste, je ne sais pas le dire. La deuxième incertitude, c’est Flamanville. C’est que normalement, fin 2018, on a l’ouverture. Est-ce qu’il y aura des nouveaux retards ? Où sont nos capacités ? Donc je ne pourrai véritablement dire quelles sont toutes les conséquences à tirer, sur le parc, que fin 2018 - début 2019. Pour être cohérent, et en même temps rester dans la trajectoire et faire ce qu’on doit faire, je m’engage à tenir l’objectif en renouvelable. C’est-à-dire qu’on doit rester dans la trajectoire 32% à horizon 2030, et donc, pour ce faire, l’engagement que je prends, c’est, dès le début du quinquennat, de prendre la totalité du calendrier des appels d’offres sur les projets d’EnR. Ce qui n’a pas été, ces dernières années, c’est qu’on a eu des projets retardés, des incertitudes, peu de visibilité. Si on veut réussir à atteindre cet objectif sans prendre des décisions qui sont mauvaises sur le plan économique, on doit accélérer l’investissement sur les EnR.
PC : Alors ça va répondre à une question qui nous a été posée, et qui fait le lien avec ce que vous venez de dire, par l’entreprise Boralex qui est le leader français indépendant de l’éolien. En ayant une position conservatrice sur le nucléaire français, vous semblez plus hésitant à accompagner les industriels privés français qui oeuvrent pour une production d’électricité propre, plus variée, compétitive et créatrice d’emplois. Quelles garanties - je crois que c’est ce que vous étiez en train d’apporter comme réponse -, quelles garanties leur apportez-vous ? Parce que vous avez pris cet engagement de réduire la part du nucléaire, vous le refaites, dans un calendrier qui semblait quand même dépendre de ce que l’ASN dira en 2018. Néanmoins, sur le développement des renouvelables, quels engagements concrets vous pouvez prendre aujourd’hui ?
EM : De manière très simple, d’abord, je n’ai pas une position conservatrice sur le nucléaire, j’ai une position réaliste. C’est-à-dire qu’en même temps, on a des personnels qui y travaillent, on a cette production d’énergie, on a le prix aujourd’hui actuel, donc il faut réussir à faire cette transition - une transition, c’est volontariste -, mais si j’étais conservateur, je vous dirais “on maintient 75%”. C’est la position qui a été prise par d’autres candidats. Je n’ai pas cette position, donc je souhaite évoluer. Ensuite, ce qui ne va pas, aujourd’hui, c’est qu’on a fait porter par EDF - en même temps que les investissements sur la montée en gamme, la mise aux normes, la sûreté nucléaire, qui sont très lourds -, en quelque sorte, la responsabilité du financement des EnR, implicitement. Donc là-dessus, il faut être très clair : moi, je pense que c’est à l’Etat de le porter, ça fait partie de mon plan d’investissement. Donc, pour ce faire, un: visibilité. Je donnerai, dès le début du quinquennat, la visibilité entière sur tous les appels d’offres, je les séquencerai, pour respecter notre stratégie. Ça veut dire que je lancerai un appel d’offres pour la production de 26 000 mégawatts en capacité - l’équivalent de six réacteurs -, durant le quinquennat, ce qui équivaut à accompagner, parce que, derrière, on le sait, il y a des prix garantis, l’équivalent de trente milliards d’investissement privé. C’est, aujourd’hui, ce dont on a besoin pour avoir la stratégie cohérente, en termes de production d’énergie renouvelable.
PC : Donc vous garantissez, en quelque sorte, l’équivalent de trente milliards d’investissement privé dans les renouvelables, sur votre éventuel quinquennat.
EM : Sur le quinquennat, en donnant, dès le début, la visibilité sur ces appels d’offres, en les accompagnant. En même temps, si on veut aller dans le sens de la question de Monsieur, il y a les aspects financiers, la visibilité des appels d’offres, la visibilité des financements, ça je le ferai. Derrière, on doit doubler la capacité du Fonds chaleur de l’ADEME qui est très important pour d’autres types d’énergie, on le sait bien, qui accompagne d’ailleurs la transformation du monde agricole, qui est de plus en plus financeur et qui accompagne ces modes de production énergétique. Et ce que je souhaite enfin, c’est très pragmatique mais essentiel, c’est simplifier les procédures et accélérer les délais. Là-dessus, il y a une communauté de destin entre celles et ceux qui font justement de la production d’énergie renouvelable, et nos exploitants agricoles. Ils ont le même problème : les délais sont trop longs, les procédures s’empilent et donc, si vous voulez produire aujourd’hui un champ d’éoliennes, vous avez les mêmes difficultés que quand vous voulez transformer, par exemple, votre porcherie ou votre abattoir. Il faut simplifier ces délais, les raccourcir, en ne les empilant pas mais en ayant une procédure unique, et donc, je m’engage à avoir une procédure simplifiée sur la production, justement, des EnR, simplifier, justement, les autorisations, les raccourcir dans le temps, pour qu’on aille beaucoup plus vite dans cette transformation. Et aider également, puisqu’on est, justement, sur cette diversification, aider les exploitants agricoles à être des acteurs de cela, donc : raccourcir les délais de raccordement au réseau quand on ouvre un méthaniseur - c’est trop long en France, c’est trop compliqué -, les accompagner dans ces services environnementaux qu’ils font, dont une bonne partie est de la diversification énergétique, et je l’ai dit, je porterai à deux cents millions d’euros l’investissement dans la rémunération des services environnementaux des agriculteurs.
PC : Alors, l’accélération ça va aussi être pour le rythme des questions et des réponses parce qu’on en a beaucoup.
EM : J’ai trop détaillé, excusez-moi.
PC : Non, pas du tout, mais je serais frustré à la place des internautes si l’on ne pouvait pas poser le maximum de questions. On a quelque chose qui fait le lien avec ce que vous venez de dire, qui est posé par Nathanaël, c’est : comment comptez-vous accélérer le financement de la transition énergétique ? Vous venez de donner des éléments de réponse, est-ce que vous pouvez, aujourd’hui, vous engager sur un chiffre d’investissement soit public, soit au total, avec le levier sur le privé ?
EM : Alors, je me méfie beaucoup de ces chiffres-là, parce qu’on additionne souvent des choux et des carottes. Donc je ne vais pas vous raconter de la pipe, parce que ce ne serait pas une bonne idée. Un, sur les ENR, je l’ai dit, objectif, avec les autorisations, d’avoir ces trente milliards d’investissement privé. Derrière, il y aura de l’investissement public pour garantir les prix, je l’afficherai, dans une dizaine de jours, dans la stratégie globale. Deux, je souhaite pouvoir accompagner la transformation du modèle agricole parce que je veux réconcilier les deux. Les agriculteurs, ils sont très conscients de normes environnementales et du besoin d’avoir une agriculture qui monte en gamme et qui est plus respectueuse. Et donc, là-dessus, j’aurai une enveloppe “programme d’investissement d’avenir agricole” de cinq milliards d’euros pour accompagner la modernisation, la montée en gamme et la prise en compte, en particulier, des circuits courts et du mieux-être animal par les exploitants agricoles. Cinq milliards d’euros.
PC : Sur l’ensemble du quinquennat?
EM : Sur l’ensemble du quinquennat. Trois, la rénovation thermique des bâtiments qui fait partie de ces transitions et qui est très importante. Là-dessus, moi, j’ai un objectif de cinq cent mille par an...
PC : Ce qui est l’objectif du gouvernement...
EM : ... de rénovation
PC : ... mais qui n’a pas été atteint
EM : Il n’a pas été atteint.
PC : Qu’est-ce qui ferait qu’il serait atteint ?
EM : Qu’est-ce qui ferait qu’il serait atteint ? C’est deux choses: un, on doit simplifier, pour les ménages, dans le parc privé diffus, le dispositif. Le crédit d’impôt transition énergétique était une bonne chose pour amorcer, il s’avère compliqué et le décalage dans le temps du paiement fait qu’il y a beaucoup de ménages qui, du coup, y renoncent. Je transforme ce C.I.T.E en une subvention dès le début,- l’Anah et les quelques autres établissements publics compétents pourraient même travailler avec l’ASP - et, on est en train de regarder les détails très pratiques, auraient vocation à le donner aux ménages, dès le début, ce qui fait que le reste à charge qu’on paie...
PC : Du coup, il n’y pas d’apport de trésorerie.
EM : Donc ça, c’est très important. En même temps, pour tous les ménages précaires, je porterai un investissement qui est l’audit gratuit pour tous les ménages qui vivent dans des passoires. Mon objectif est double: traiter, dans le quinquennat, la moitié des vraies passoires énergétiques et donc un million de logements à rénover et là, c’est de la vraie subvention. On est en train de regarder l’effet de levier, mais il y aura de la subvention publique que je détaillerai, je ne peux pas vous dire le chiffre précis aujourd’hui, c’est pour ça que je ne veux pas être approximatif, ça dépend de l’effet de levier mais il y aura là une vraie partie subvention publique et le reste, c’est ce que je viens d’évoquer, c’est-à-dire avec un objectif donc de trois cent mille par an. Donc, un million de rénovation thermique des passoires, ça fait deux cent mille par an, plus trois cent mille par an, en dehors des passoires où là, vous avez le crédit d’impôt qui devient une subvention.
PC : Vous nous direz dans quelques jours...
EM : ... le montant exact
PC : Combien vous allez mettre en plus puisque si ça ne marche pas aujourd’hui, c’est qu’il faut mettre plus ?
EM : Il y aura plusieurs milliards d’euros en plus, simplement pour que ça soit efficace et avoir un vrai effet de levier. Donc voilà, pour moi, les grands axes, les EnR, la rénovation thermique des bâtiments, la capacité à accompagner le monde agricole dans sa transformation. Et puis, il y a un dernier axe pour vraiment financer une stratégie complète de transition environnementale, c’est aussi l’accompagnement qu’on fera, à l’égard des ménages, pour changer de véhicule. Moi, je suis très attaché à ça. Vous m’avez parfois entendu défendre le diesel, quand j’étais ministre...
PC : Je vous propose qu’on y revienne, puisqu’on va parler de santé publique et, évidemment, le diesel sera un élément clef.
EM : Parfait ! Oui, mais c’est très important!
PC : Une question de Jacky. Quelle est votre position sur l’exploitation du gaz de schiste? Je pense que vous pouvez faire une phrase courte.
EM : Il n’y en aura pas sous mon quinquennat. : Donc pas de gaz de schiste.
PC : Pas de gaz de schiste sous mon quinquennat. : Quelle que soit la méthode ?
EM : Quelle que soit la méthode. Là, il faut être très clair. Par contre, j’insiste là-dessus. Je souhaite que nos organismes publics de recherche puissent continuer la recherche théorique sur le sujet. Je vais vous dire pourquoi : parce que moi, je ne suis pas ambigu du tout, je crois qu’il faut être cohérent, je suis contre l’extraction et l’exploitation du fossile mais je ne veux pas que, sur ce sujet, la recherche mondiale soit capturée par des groupes privés internationaux. Voyez, sur les OGM, je maintiendrai la position qui, historiquement, a été celle de la France, qui était une bonne position, il y a eu un vrai militantisme, ça a parfois choqué des gens, mais c’était une bonne position en termes d’alimentation et de modèle productif. Mais je regrette une chose, sur les OGM, c’est qu’on ait arrêté la recherche publique pour autant. Et ça, je pense que c’est une bêtise.
PC : Si on cherche, c’est qu’on veut trouver ?
EM : Non, parce que si on cherche en même temps, c’est qu’on veut être à la pointe de l’art. D’abord, si vous cherchez dans un domaine, vous pouvez trouver des choses dans d’autres. C’est très important. Et la deuxième chose, c’est qu’à un moment donné, vous devenez, du coup, dépendant de chercheurs privés dont les intérêts sont totalement liés aux groupes industriels. Moi, je ne suis pas à l’aise avec le fait que toute la recherche, quasiment, sur les OGM, aujourd’hui, et ce qui en découle, elle soit dans les mains de Monsanto Bayer. Ça ne me va pas, je ne veux pas d’OGM dans mon pays, je veux en même temps traiter les problèmes de la planète. À un moment donné, peut-être qu’on aura des technologies... PC : Vous parlez de la recherche publique sur les OGM comme sur le gaz de schiste. Ça veut dire que, sous votre quinquennat, il y aura plus d’argent public pour la recherche sur le gaz de schiste et les OGM qu’aujourd’hui ?
EM : Non pas du tout. Je ne veux pas l’interdire, je suis transparent avec vous ; c’est-à- dire que s’il y a des projets là-dessus, je ne veux pas les interdire parce que c’est de la recherche publique et c’est très important.
PC : Mais ça ne fait pas partie de votre plan d’investissement ?
EM : Non, ça ne fait pas partie de mon plan d’investissement mais comme vous me demandez un plan, en quelque sorte, d’interdiction, moi, je vous dis qu’il n’y aura aucune exploration/exploitation, quelle que soit la technique, du gaz de schiste, sous mon quinquennat.
PC : Autre sujet d’actualité, vous avez dit récemment... alors on a eu des dizaines et des dizaines de questions sur Notre-Dame-des-Landes, évidemment, et notamment parce que vous avez dit récemment sur France Inter, que vous étiez favorable au projet de NDDL, de l’aéroport près de Nantes. On a sélectionné une des questions, je ne peux pas lister l’ensemble des noms et des prénoms qui sont sur l’écran. Je cite cette question : « ce projet date des années 60. N’est-ce pas paradoxal pour une personne qui, comme vous, veut incarner une certaine forme de modernité ? ».
EM : Alors, je n’ai pas dit que j’étais favorable au projet de Notre-Dame-des-Landes sur France Inter. Je ne l’ai pas dit comme ça. J’ai dit que ce projet, il avait des fondamentaux, des bases qui, économiquement, n’étaient plus conformes à ce que l’on ferait aujourd’hui. Je l’ai dit comme ça. Donc aujourd’hui, je pense que l’on ne lancerait pas un projet de Notre-Dame-des-Landes. Ce que j’ai rappelé, c’est qu’il y a eu une consultation publique, de type référendaire, qu’elle s’est exprimée et qu’elle a dit “oui” au projet. Donc, je ne peux pas, aujourd’hui, être dans une situation où je déchire et où j’arrive et je dis, “avec moi il n’y aura pas Notre-Dame-des-Landes”. Parce qu’à la fin des fins, cela envoie deux messages qui sont très négatifs : le premier, on ne respecte pas les consultations publiques quand elles ne nous arrangent pas. Ça ne va pas. Et le deuxième, ça veut dire qu’on ne peut plus avoir quelque projet que ce soit dans le pays, parce que vouloir le bloquer, en quelque sorte, suffit à tout empêcher de manière durable. Néanmoins, je vous le dis, je ne le déchirerai pas. Néanmoins, je tiendrai ma ligne sur trois principes. Le premier, la prise en compte du vote, et donc de la consultation. Des gens se sont exprimés pour que ce projet se fasse. Donc je ne l’écarterai pas. Je me donne six mois après l’élection et je regarderai deux choses. La première, c’est la situation d’ordre public. Je ne veux pas qu’il y ait une situation absolument intenable en termes d’ordre public parce qu’on veut faire coûte que coûte ce projet. Là-dessus, d’ailleurs, je dois saluer la position de Bernard CAZENEUVE quand il était ministre de l’Intérieur.
PC : Qu’est ce que ça veut dire, pas d’évacuation de la ZAD ?
EM : Je ne veux pas, honnêtement, je ne veux pas de violences, je ne veux pas d’évacuations. Il faut être très vigilant sur ce sujet. Il n’y aura pas de brutalité sur ce fait. Et troisième point, respect du vote, préoccupation en termes d’ordre public. Le troisième point, c’est que je souhaite que l’on regarde, en parallèle, durant ces six mois, et donc je nommerai un médiateur pour ce faire, et pour le regarder, le projet Nantes Atlantique.
PC : Et donc le réaménagement de l’aéroport actuel.
EM : Et de réaménagement, et que l’on regarde en termes économique, en termes environnementaux, et en termes, évidemment, d’empreinte carbone, de capacité à développer, qu’on regarde une dernière fois, les choses en bon ordre. Donc je reste dans la ligne de ce que j’ai dit sur France Inter, sur le projet de Notre-Dame-des-Landes, c’est- à-dire que l’on ne déchire pas une consultation publique, mais je vous précise la procédure que je suivrai. Je me donnerai six mois, avec une personnalité indépendante, dépassionnée. Pour mettre sur la table les éléments de comparaison qui éclaireront ma décision finale.
PC : Entre deux projets, qui sont, d’un côté, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et, de l’autre, le réaménagement de l’aéroport Nantes Atlantique.
EM : Exactement.
PC : Très bien. Alors d’autres questions qui arrivent, on va passer de Nantes à la Guyane. Vous avez déjà dit quelque chose de très important, tout à l’heure, sur le permis de Total, que vous n’allez pas accorder. Il y a d’autres sujets en Guyane, il y a l’orpaillage, qui, aujourd’hui, est une menace majeure sur l’Amazonie. Donc, on a reçu beaucoup de questions. Peut-être un mot sur la façon dont vous abordez cette stratégie?
EM : Là-dessus, nos forces de l’ordre en Guyane sont très mobilisées sur le site, sur le problème de l’orpaillage illégal et font un travail remarquable, je l’ai salué. L’armée, la police, la gendarmerie. C’est un fléau terrible, c’est un fléau économique parce qu’il faut bien voir que ces cent trente neuf sites dont vous parlez, c’est de l’argent volé aux Guyanais. Il ne fait pas l’objet de taxations, il ne va pas, bien souvent, chez les familles. C’est, derrière, de l’esclavage moderne, enfin contemporain, parce que vous avez énormément de Brésiliens, d’Amérindiens qui sont exploités, justement, par ces sites illégaux et puis c’est de la pollution terrible, et donc on sacrifie la forêt parce que l’on utilise le cyanure, des techniques qui ne sont pas conformes. Éradication complète, poursuite du travail qui a été engagé par les forces de l’ordre sous l’autorité du préfet... Je serai intraitable. Et en même temps, développement de projets, de manière orchestrée et limitée, pour aider au développement économique de la Guyane, dans le cadre de la charte “mine responsable”, des projets de type PME ou plus grands projets qui, eux, sont respectueux de l’environnement et du développement économique.
PC : Là aussi, beaucoup de questions, qui questionnent cette idée que la mine doit être responsable mais on n’a malheureusement pas le temps ...
EM : Là-dessus, on peut admettre des désaccords.
PC : Bien sûr.
EM : Je suis très vigilant, tous les acteurs le sont, mais sous mon quinquennat, je ne bloquerai pas le développement sur ce sujet, en particulier de la Guyane, mais je le ferai de manière très encadrée et très respectueuse de l’environnement.
PC : Très bien. On va maintenant passer au deuxième groupe de questions qui vont concerner la santé, l’agriculture, les pesticides et le diesel et on va commencer par celui- là. Il nous reste à peu près dix à quinze minutes. Une question qui est posée par Pascale BERTIN. En France, la pollution atmosphérique tue quarante mille personnes par an. Plusieurs maires, dont la maire de Paris, s’engagent à la fin du diesel en 2025. Est-ce que vous soutenez cet engagement ou est-ce que vous en prenez d’autres, sur le diesel ?
EM : Je veux prendre des engagements responsables. Est-ce qu’on sait dire qu’on supprime totalement le diesel pour 2025 ? Non. Non. On peut le dire, peut-être à Paris. Il y aura qui, qui sera sacrifié ? Les ménages modestes qui vivent en banlieue et qui doivent venir à Paris. Bon. Donc, j’accompagne les maires quand ils régulent la circulation au moment des pics de pollution, lorsqu’ils décident d’une circulation alternée ou d’autres types d’organisation. Ça, j’y suis favorable et je pense que c’est important que des initiatives comme ça soient prises et généralisées, ce qui a été fait, aussi, à Paris. Je souhaite qu’on puisse, par contre, accélérer la contraction du parc français. Notre problème, c’est le vieux diesel. C’est ça, le cœur du problème français, si on regarde les choses en face. Et là-dessus, on doit articuler, je vous disais tout à l’heure en préambule, l’objectif écologique et l’objectif social. Si on fait ça, on sacrifie les Françaises et les Français qui en ont besoin pour aller travailler et qui n’ont pas d’autre choix et qui ne peuvent pas se re-payer une voiture. En même temps, on a un paradoxe français, c’est que, depuis des décennies, on subventionne le diesel, on l’avantage sur le plan de la fiscalité. Donc, je prends deux décisions, sur ce sujet, qui me semblent plus réalistes que de dire “on interdit tout en 2025”, sans expliquer comment. La première, c’est que, durant le quinquennat, je fais la convergence totale entre le diesel et l’essence. Et donc, chaque année, j’augmente un peu la fiscalité sur le diesel. Je ne baisse pas celle sur l’essence...
PC: C’était ma question.
EM : ... parce que c’est une rentrée fiscale qui m’aide à financer cette transition et ce modèle. Alors, chaque année, j’augmente un peu la fiscalité sur le diesel pour qu’elle rejoigne, en fin de quinquennat, celle sur l’essence. Je fais la convergence totale sur un quinquennat. C’est progressif, c’est responsable et, derrière, ça m’aide d’ailleurs à financer mon modèle de transition. La deuxième décision que je vous annonce, c’est que pour accompagner cela, en particulier à destination des ménages les plus modestes, je mets en place une prime à la conversion de mille euros pour les ménages qui ont des vieux diesels qui sont encore Euro 1, Euro 2, Euro 3, donc qui sont très polluants, on le sait, et qui achètent un véhicule hybride ou non-diesel, ou, évidemment, électrique, en plus, qui viendra s’ajouter, pour être parfaitement transparent, au bonus existant et au système, en fait de bonus malus.
PC : C’est mille euros de plus ?
EM : C’est mille euros de plus et qui seront possibles pour l’achat d’un véhicule, qu’il soit neuf ou d’occasion. Là aussi, je suis très précis parce que beaucoup de ménages modestes n’ont jamais cru aux primes à la casse et autres, parce qu’ils ne peuvent pas s’acheter de véhicule neuf. On sait l’importance du marché d’occasion, et donc moi, je souhaite aussi que ce soit éligible au marché de l’occasion. C’est comme ça que l’on fait la transition énergétique. Et mon troisième engagement, sur ce sujet, c’est d’accompagner les industriels parce que, là-dessus, il faut être cohérent. Pourquoi vous m’avez parfois entendu, sur ce sujet, m’opposer à des décisions trop brutales sur le diesel ? C’est parce qu’il faut penser la transition, comme on l’a fait, d’ailleurs, sur le nucléaire. Et donc, on a des sites productifs français qui sont très dépendants du diesel. Allez à Trémery, dans l’est de la France, les usines Peugeot font du moteur diesel...
PC : Pour ces salariés, quelles sont vos propositions ?
EM : Allez à Rodez, à “la Bosch” comme on dit là-bas...
PC : Bien sûr, il y en a des dizaines...
EM : Donc il y en a beaucoup...
PC : Donc quelle est votre proposition ?
EM : D’abord, je ne dis pas que je supprime le diesel, je dis que j’arrête l’avantage. Ensuite, évidemment, tous les sites productifs français ne font que de l’Euro 6 diesel et rien d’autre. Je renforce les normes européennes, parce que ce doit être un débat européen, pour accroître le sérieux des tests et encore les normes qu’on doit augmenter progressivement dans le temps. Et, quatre, j’engage avec l’ensemble des industriels, dès le début du quinquennat, une concertation, qui passera d’ailleurs par des aides et des accompagnements, pour faire la transition de ces sites productifs et diversifier leur production pour qu’ils ne soient plus diesel-dépendants.
PC : Diversifier vers quoi ?
EM : Diversifier vers l’électrique, vers l’hydrogène, vers l’hybride et donc la production de moteurs qui correspondent à notre stratégie nationale de déploiement.
PC: On a eu beaucoup de questions sur le véhicule électrique, est-ce que vous avez une proposition et quelle est votre vision de la mobilité, au-delà de la question à court terme du diesel et de la pollution de l’air, sur la façon dont on se déplacera demain ? Voiture électrique massive ? Voiture thermique? Diesel ?
EM : Alors, sur ce sujet que j’ai beaucoup suivi et porté quand j’étais ministre de l’Industrie, dans le cadre de ce qu’on a appelé les” solutions d’avenir”: un, l’électrique est un choix technologique très important. Renault l’a pris très tôt avec Nissan, il faut l’accompagner, le développer. Et là, on a un objectif de déploiement des bornes et là- dessus, on est un peu en retard. Il faut continuer les engagements publics, publics/privés, de déploiement des bornes rechargeables. C’est très important, c’est l’avenir. C’est l’avenir des transports non seulement urbains mais également au sein, justement, de déplacements régionaux. C’est tout à fait possible, on a un vrai sujet de déploiement des bornes, l’engagement de l’Etat, là, doit être tenu et on a à booster quelques engagements privés qui avaient été pris qui ne sont pas totalement en ligne avec le calendrier.
Deux, l’hybride. On est un peu en retard, par rapport à nos partenaires européens et la concurrence internationale, donc je souhaite que les constructeurs s’engagent encore davantage dans cette trajectoire et c’est très important. Je maintiens, sur ces sujets, le système de bonus/malus qui a été pris par le gouvernement actuel, qui a été, je pense, un bon système.
Trois, on a la technologie sur l’hydrogène qu’il faut développer. Les Allemands sont un peu en avance sur nous, je souhaite qu’on développe des coopérations franco-allemandes sur le sujet. Et là-dessus, je crois beaucoup dans le leadership du CEA et en particulier du Liten qui est un laboratoire très important en la matière et qui est une vraie avancée technologique. Il ne faut pas avoir un choix unique mais, pour moi, ce sont les trois priorités.
Et un dernier point: je favoriserai la multimodalité et, en particulier, le développement des usages. Ce en quoi je crois beaucoup, surtout, c’est qu’on va sortir de "une personne, un foyer, un véhicule" et qu’on va aller de plus en plus vers l’usage. Et c’est là où cette nouvelle écologie est en même temps une source de nouvelle économie. C’est que, par le covoiturage permis par l’utilisation collaborative des données, par la capacité que vont avoir les villes à développer ce que l’on appelle les smart cities - c’est à dire de l’interconnection urbaine, de la multimodalité où on optimise l’information selon les périodes, selon les individus - on va avoir de plus en plus de l’usage de mobilité et de moins en moins de la possession, en quelque sorte, d’instruments de mobilité.
PC : Je vous arrête sur la mobilité, on va passer tout de suite à un autre sujet qui ne sera pas forcément celui qu’on voit face à nous à l’écran. Une question qui avait été posée sur le principe de précaution. Très simple, est-ce que vous êtes sur la position de François FILLON qui consiste à remettre en cause le principe de précaution ou sur la position de tous les autres qui consiste à dire “on garde le dispositif existant”. Oui ou non, réponse très rapide.
EM : Je ne suis pas du tout pour l’enlever, ça ne sert à rien. Je suis pour maintenir le principe de précaution et tout l’appareil juridique qui en a découlé mais je suis pour, en même temps - ce qui est totalement compatible, c’est culturel -, je suis pour que la France soit un pays qui aime le risque, qui accepte l’échec et qui valorise l’innovation, l’invention, la technologie. Et il faut que l’on sorte de cette idée que le principe de précaution empêche l’innovation ; ça n’est pas vrai. Et là, c’est pour moi un aspect qui est très culturel, qui est très organisationnel. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai lancé, samedi dernier, et je le relaye devant votre caméra, un appel à tous les chercheurs, tous les entrepreneurs, tous les enseignants chercheurs américains qui travaillent sur le climat, qui travaillent sur l’effacement énergétique, qui travaillent sur toute la transition énergétique, sur les perturbateurs endocriniens, qui font une recherche essentielle et qui sont aujourd’hui menacés par les choix de l’administration américaine.
PC : Absolument, c’est un appel pour qu’ils viennent en France.
EM : Je leur dis : “ You’re most welcome.”
PC : C’est ce que vous avez déjà dit.
EM : Venez en France et on créera un statut spécifique, d’ailleurs, pour les aider et encourager ces sujets-là de recherche. Bien évidemment, je rassure les chercheurs français, j’aurai des engagements très fermes aussi pour eux.
PC : Question très précise aussi sur les néonicotinoïdes. Est-ce que vous revenez sur la règle actuelle, c’est-à-dire l’interdiction en 2020 ?
EM : Non.
PC : Est-ce que vous la confirmez ?
EM : Oui.
PC : D’accord, vous la confirmez, très bien. Une question plus institutionnelle sur le ministère de l’Écologie, question posée par Catherine, quelle place et quel sera le périmètre du ministère de l’Écologie dans votre futur gouvernement ?
EM : Je m’exprimerai de manière précise, en temps voulu, sur l’organisation gouvernementale que je souhaite retenir.
PC : Donc comme on a beaucoup de questions, puisque nous n’avons pas d’annonce, je propose que l’on passe ...
EM : Mais je pense que c’est un ministère qui doit avoir un statut à part, comme ça a d’ailleurs commencé avec le Grenelle de l’environnement ; donc je maintiendrai cela. Pour moi, il y a trois sujets...
PC : Un statut à part, qu’est-ce que vous voulez dire ?
EM : Cela veut dire un ministère très fort, très transversal, qui a vocation, d’ailleurs, à être pour moi un ministère d’État. Pour moi, il y a trois sujets qui sont transversaux et qui doivent, d’ailleurs, irriguer toute l’action du gouvernement que je souhaite mettre en place. C’est l’égalité homme-femme et la diversité, parce que c’est la vitalité de la société française. C’est la transition numérique parce qu’elle transforme absolument tous les modèles productifs, de consommation, de pensée. Et c’est la question écologique, pour la même raison. Parce que c’est une question transversale, ce n’est pas une case que l’on coche dans un coin ou un bloc qui serait dans son couloir de nage, si vous voulez. C’est quelque chose, on l’a bien vu d’ailleurs, qui doit être en chapeau ; ça, c’est sur le plan de la méthode.
PC : Une question, avant de venir sur la dernière séquence qui vous concernera, sur des questions plus particulières. Une question sur l’agriculture biologique, la restauration collective. Aujourd’hui, il y a un engagement d’aller vers 20% de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective. Est-ce vous maintenez cet engagement, est-ce que vous êtes prêt à aller plus loin ?
EM : Non, je veux aller plus loin. Pour moi on a un sujet aujourd’hui, c’est pour moi un des grands objectifs de ma stratégie, c’est l’écologie du quotidien c’est très important. Parce que tout est lié. On en a parlé pour la qualité de l’air avec le diesel et je veux qu’on ait une vraie qualité de l’alimentation. C’est fondamental parce que c’est du mieux-être, parce que c’est respectueux de la biodiversité, si on a une vraie bonne alimentation, c’est respectueux du modèle agricole et c’est bon pour nos enfants et c’est une politique de santé publique l’alimentation. D’abord, moi, je lancerai, dès mon arrivée, un Grenelle de l’alimentation. Pourquoi ? Parce que je veux mettre autour de la table le monde agricole, les industries agroalimentaires, les associations de consommateurs, l’ensemble des ONG qui traitent de ce sujet, les professionnels de santé, parce que tout ça se tient. Mais, d’ores et déjà, je veux prendre quelques engagements très clairs sur le sujet. Moi, je prends l’engagement, d’ici la fin de mon quinquennat, donc 2022, qu’il y ait, dans toutes les structures de restauration collective, cantines scolaires, restaurants d’entreprises, restaurants de ministères et autres, hôpitaux, 50% de produits consommés qui sont des produits ou bios, ou écologiques, ou de circuits courts.
PC : Qu’est-ce que ça veut dire, “écologiques” ? Des certifications ?
EM : Exactement, qui répondent à des labels ou à des certifications. C’est moins lourd, moins contraignant que le bio parce que je ne veux pas, là-dessus, être déraisonnable ou trop contraignant.
PC : C’est mieux que l’agriculture conventionnelle, on va dire?
EM : C’est mieux et je mets aussi, dedans, les circuits courts parce que les agriculteurs le veulent - et là-dessus, c’est très important, sur ce sujet, le monde agricole souhaite ce changement. Il souhaite valoriser aussi les circuits courts. Ça n’empêche pas de reconnaître qu’il y a une part de notre agriculture qui a une vocation à s’exporter, qu’il y a une industrie agroalimentaire qui est un de nos fleuron de compétitivité, je continuerai à le développer, mais en même temps, on doit avoir une agriculture qui est cohérente avec notre modèle d’alimentation et ce qu’on veut promouvoir. C’est pour ça qu’il faut aider le monde agricole, eh bien, à monter en gamme, - c’est mon plan d’investissement d’avenir de cinq milliards d’euros - , il faut les aider à avoir un juste prix sur leurs innovations, c’est pour ça que je veux vraiment qu’on réorganise les filières, en faisant pression sur les distributeurs pour que les organisations de producteurs puissent négocier le bon prix, c’est pour ça que je veux une politique européenne qui accompagne aussi cette transformation. C’est, pour moi, extrêmement important, en termes d’alimentation. Et puis, dans cette transition, il y a des engagements très concrets qu’il faut prendre, parce que c’est aussi comme ça qu’on prend en compte le bien-être animal.
PC : On va justement y venir, il y a beaucoup de questions sur le sujet, on arrive à la dernière séquence de ce “panda live”, les cinq dernières minutes, en quelque sorte. Première question, Yann OLIVIER, - c’est une séquence qui vous concerne peut-être plus à titre personnel...
EM : Très bien...
PC : La question est très simple : l’Anses recommande de manger moins de viande, Jean- Luc Mélenchon a dit qu’il mangeait moins de viande, quels sont vos engagements personnels sur ce sujet et, évidemment, sur la politique d’alimentation en général ?
EM : Non, moi, j’aime bien la viande, donc je continuerai à en manger.
PC : À en manger, quel que soit l’impact carbone ?
EM : Non, parce que ce n’est pas une fatalité : d’abord, il y a de la viande française, qui est formidable, donc je continuerai à manger l’agneau des Pyrénées ou d’ailleurs...
PC : Justement, moins de viande, mais mieux de viande, ça peut être quelque chose dans lequel vous vous retrouvez ?
EM : Bien sûr, mais totalement. Moi, j’adore le monde de l’élevage, parce que, honnêtement, c’est parmi les professions qui sont le plus bouleversantes. Je vous le dis, parce que quand on fait une campagne, on voyage beaucoup, on voit beaucoup de gens, et je veux dire que les éleveurs français... Il n’y a pas beaucoup de gens qui ne prennent aucun jour de vacances, qui se lèvent très tôt le matin. Donc, évidemment, je ne suis pas pour aller chercher de la viande à l’autre bout de la planète avec une empreinte carbone folle. Mais il faut arrêter de leur dire qu’ils sont condamnés, qu’ils n’ont plus de place, ce n’est pas vrai. Et en plus, la bonne viande française, c’est délicieux, donc je continuerai, à titre personnel, à manger de la viande.
PC : Question sur une espèce en particulier, avec un grand débat qu’on connaît, quelle est votre position sur le loup ?
EM : Je pense que objectivement, là aussi, il faut dépassionner le débat. C’est trois cents loups à peu près, je crois, trois cents loups sur le territoire français, vous connaissez ça beaucoup mieux que moi, on ne peut pas donner des leçons sur la biodiversité, prétendre organiser une conférence internationale, expliquer à tous les pays, par exemple d’Afrique, qui doivent protéger, qui l’éléphant, qui ceci ou cela et dire “nous, on est infichu de vivre avec quelques loups, quelques lynx, quelques ours”. Après, il faut, simplement... ce sont des débats qui sont très locaux - moi, je le connais bien parce que j’ai la moitié de ma famille dans les Pyrénées, ce n’est pas tant le loup, c’est plus l’ours...
PC : L’ours, dans les Pyrénées, sachant qu’on est dans une situation où maintenant, les vallées locales qui sont concernées sont beaucoup plus ouvertes à cette idée, comme dans beaucoup d’autres pays, est-ce que, sous votre quinquennat, il y a la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées ?
EM : Il y a une réintroduction harmonieuse, discutée, comme on l’a fait pour le loup... : Mais il y a une réintroduction ?
PC : Mais ils y sont, déjà. Moi, dans les vallées que je connais, il y est. : Pas dans certaines parties où, justement, ils n’y sont pas.
EM : Le sujet qui traumatise beaucoup d’exploitants, sur des malentendus, c’est qu’ils disent “quand il y a une attaque, je la vois et je ne peux pas tirer”. Ce qui n’est pas vrai, on le sait bien. Donc on sait qu’on ne peut pas faire de la chasse ou du braconnage, c’est toute la polémique qu’il y a autour du loup, avec ça, il faut être très rigoureux, il ne faut pas autoriser le braconnage, par contre, on a des régulations qui sont possibles, totalement encadrées et, on le sait très bien, c’est le coeur de la polémique pour le loup, donc il faut le faire.
PC : Donc, sur l’ours dans les Pyrénées, de manière négociée...
EM : De manière négociée - là, je vais le dire, il faut être très clair, il faut être très pragmatique, je suis pour le réintroduire parce que je suis pour la biodiversité. Je suis pour l’expliquer, je suis pour accompagner et indemniser les exploitants quand ils ont des problèmes qu’ils ne voient pas, - il faut toujours expliquer que c’est infinitésimal par rapport au reste. Par contre, il faut être clair : quand vous avez quelqu’un qui voit l’ours débarquer et attaquer son troupeau, il faut qu’il puisse réagir, parce que vous n’arriverez jamais à convaincre, sinon, les bergers des Pyrénées que je connais bien et que j’aime beaucoup, de dire “s’ils voient l’ours débarquer qui attaque leur troupeau et qui les fout dans le ravin”...
PC : Vous êtes de plus en plus convaincu et on y travaille.
EM : Mais je sais bien que vous êtes pragmatiques, donc moi, je le dis, il ne faut pas un débat théorique sur le sujet, il faut un esprit de responsabilité donc moi, je suis pour que ces espèces soient réintroduites en bon ordre, que ce soit encadré, suivi et extrêmement précautionneux et, en même temps, qu’on donne la possibilité de se défendre et de se protéger quand il y a des attaques.
PC : Deux-trois dernières minutes : si vous étiez un animal, lequel seriez-vous ? Question d’Ali.
EM : Un aigle dans les Pyrénées.
PC : Très bien, ça va être commenté, ça. On a aussi des questions sur la sensibilité des animaux et, comme vous l’évoquiez vous-même à l’instant, la question des abattoirs : est- ce que vous êtes prêt à changer les règles, à les durcir ?
EM : Oui, je pense qu’il faut, là, beaucoup de... sur tous les animaux, d’abord, je me félicite qu’on ait fait des modifications, elles ont été portées, je pense, avec beaucoup d’esprit de responsabilité, durant ce quinquennat, c’était le travail d’Alain BOUGRAIN DUBOURG et de quelques autres pour introduire, dans le Code Civil, des modifications, la prise en compte, justement, des animaux, c’était, je pense, important dans ce sens-là. Et il y a tout le travail qui est fait sur les animaux de compagnie, qui est très important. Ensuite, il y a l’exploitation, en effet, dans le cadre des exploitations agricoles et l’abattage. On est très en retard sur les techniques d’abattage et la modernisation des abattoirs. Quand j’étais ministre, avec Stéphane LE FOLL, on avait lancé un programme de modernisation avec “abattoirs du futur”, qui sont des techniques beaucoup plus humaines, beaucoup plus encadrées, qui ne sont pas la sauvagerie qu’on voit parfois mais qui est très traumatisante pour les gens, aussi. Pour celles et ceux qui travaillent dans les abattoirs, c’est très traumatisant.
PC : Et qui sont d’ailleurs les premiers à montrer les vidéos.
EM : Je me suis rendu célèbre par une extraordinaire maladresse de ma part à l’égard des salariées d’un abattoir en Bretagne et j’étais allé m’excuser devant elles. Elles m’ont raconté des scènes qu’elles vivaient : c’est abominable. Et donc, la modernisation des abattoirs, c’est de la condition animale, mais c’est de la condition humaine. C’est du respect de la personne humaine, aussi. Donc là-dessus, je suis pour qu’on aille au bout de cette modernisation, qu’on se mette au standard et qu’on soit beaucoup plus exigeant au niveau européen. Parce que les abattoirs européens ne sont pas à ces normes aujourd’hui et c’est inacceptable. Ensuite, je suis pour que, dans la modernisation de notre agriculture, on prenne en compte le bien-être animal et, là aussi, il ne faut pas se tromper de bataille, les agriculteurs y sont favorables. Parce qu’un agriculteur qui vit toute la journée avec ses bêtes, il est favorable à ça. C’est pour ça que mon programme, justement, d’investissement - les cinq milliards -, il valorisera des projets pour le bien-être animal, pour l’amélioration de tout ça, en équipant, par exemple, les animaux. On le sait, la technologie permet d’accompagner beaucoup plus la souffrance animale. Moi, j’étais chez Monsieur NEDELLEC qui est un éleveur dans le Finistère, il a cinquante vaches, des Prim’Holstein, il les a équipées de ces petits capteurs qui lui permettent de voir la souffrance animale. Et du coup, de beaucoup mieux prévenir les risques, c’est extraordinaire. Il y a ce souci. Donc là, il faut les accompagner et les aider et derrière, il faut être très rigoureux sur certains points. Il y a un sujet, on le sait, c’est l’élevage des poules en batterie. Là-dessus, il faut être très clair sur les oeufs - moi, je souhaite que... et je prends même l’engagement que, d’ici 2025 on ne vende plus, qu’il soit interdit, dans les grandes surfaces, de vendre des oeufs issus, justement, des élevages en batterie. On doit le laisser pour l’industrie alimentaire, on le sait, encore quelque temps, mais ça veut dire qu’on accélère la modernisation, qu’on entre tous dans un objectif cohérent - et on a vraiment maintenant la garantie, moi, je veux qu’on puisse la porter à nos concitoyens, que, quand on va acheter ses oeufs au supermarché, dans une épicerie ou ailleurs, eh bien derrière, il y a le respect du bien-être animal qui est en même temps le respect d’une qualité pour le consommateur (les objectifs se rejoignent) et qui est le souhait, là-dessus, de nos exploitants. En même temps, chacun doit pouvoir vivre, donc celles et ceux qui continuent à élever en batterie et à vendre des oeufs, ils les vendent, mais à l’industrie agroalimentaire.
PC : Dernière question et je vous laisse la lire, c’est une question de Stéphanie PAILLEZ, qui a obtenu le plus de “like”, dans toutes les questions qui vous ont été posées, parce que c’est un proverbe indien que je vous laisse commenter - enfin, lire, d’abord, et commenter, ensuite.
EM : “Quand le dernier arbre aura été coupé, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été attrapé, seulement alors, l’homme se rendra compte que l’argent ne se mange pas”.
PC : Qu’est-ce vous en pensez, pour conclure ?
EM : J’espère que nous nous en sommes rendus compte. Je pense que nous nous en sommes rendus compte. Je pense qu’il y a un travail qui a été fait par beaucoup, depuis des décennies, d’engagement qui paraissait fou au début, et tous les chiffres, tout ce dont on a discuté l’a parfaitement illustré, que l’on ne peut pas penser vivre sans savoir où l’on est ancré, enraciné. Il y a un très beau livre de Simone WEIL, la philosophe, qui s’appelle L’enracinement et où elle explique, justement, tout cela, les droits et devoirs dans lesquels l’homme doit s’inscrire. Elle le fait sur le plan moral, mais l’écologie relève de cela. On a oublié, - moi-même, j’ai vécu ça, dans ma vie d’avant -, on pense parfois qu’on est des parfaits nomades, qu’on va s’échapper des gens qui vivent avec soi, du monde d’où on vient, et qu’on est dans un monde où tout va bien, parce qu’on peut gagner de l’argent, parce que ça se passe bien, mais à la fin, on revient quelque part, le jour où on est blessé, le jour où on est malade, le jour où on se repose et on croise la personne qui vit à côté de chez soi et on est tous des enracinés. Et parce que nous sommes des enracinés, il y a des arbres à côté de nous, et des rivières, et des poissons, il y a des frères et des soeurs, et c’est ce commun, notre trésor. Et si on pense qu’on peut être heureux en l’oubliant, on oublie les devoirs de nos racines. Et c’est une folie. Donc je pense que, j’espère que le proverbe aura une fin plus heureuse. L’argent ne se mange pas, il permet de faire beaucoup de choses - moi, je fais partie de celles et ceux qui ont un rapport très décomplexé à l’argent mais quand on est décomplexé, on n’est pas fasciné par l’argent pour autant. Il ne se mange pas, je confirme, il ne se respire pas, il ne s’aime pas, ou alors, on devient très dangereux. Il ne se partage pas vraiment et pas assez donc c’est tout le reste, tout ce dont on a parlé qui fait notre vie et dont nous avons besoin, c’est aussi pour cela que le projet écologique que je veux porter, ce n’est pas une case à cocher, c’est un projet de civilisation, ça fait partie du défi qui est le nôtre aujourd’hui, de réinventer quelque chose de neuf. Pas en effaçant non plus l’ancien, pas en pensant que c’est un combat du neuf contre l’ancien, non, c’est un défi de civilisation où chacun doit trouver sa place mais c’est la condition pour que chacune et chacun ait sa place, dans notre humanité au sens large, tel qu’on l’a évoqué, dans le monde qui advient.
PC : Merci beaucoup, on est arrivé au terme de cet échange, je pense que vous avez fait beaucoup d’annonces qui viennent compléter celles que vous aviez déjà faites, on a une vision plus précise de ce que vous voudriez porter dans un éventuel quinquennat.