Interview avec Causette

16 février 2017 - Retranscription de l'interview d'Emmanuel Macron sur Causette

Interview d'Emmanuel Macron avec Causette

Virginie Roels : Bonsoir, on remercie Emmanuel Macron d’être parmi nous pour continuer ces débats, l’idée étant, pour ceux qui pour la première fois nous suivraient, de demander au candidat à l’élection présidentielle de se prononcer. L’idée, aussi, c’est qu’on reparte tous avec une idée de propositions et d’engagements pour les femmes et pour le droit des femmes. Je m’appelle Virginie ROELS, je suis la directrice de la publication ; Elvire EMPTAZ est journaliste ; Mireille BRUYERE est maître de conférence en économie à l’université de Toulouse, et membre des Economistes Atterrés, et, pas tout de suite, mais presque tout de suite, pour les trois premières questions qui portent sur l’actualité, nous recevons Chems AKROUF. Chems, c’est imprononçable, non pas le nom, mais la suite, donc je vais essayer de réduire, professeur en psycho-criminalistique à l’université de Lyon 1. “One point”, c’est bon, j’ai réussi. Donc, pour commencer, et ne pas s’attarder, mais revenir sur la polémique qui a fait un petit peu le tour des médias aujourd’hui, dans l’Obs, qui a repris une de vos phrases, vous auriez dit “une erreur de ce quinquennat a été d’ignorer une partie du pays” - je mets trois petits points parce que j’ai résumé - “ce qui s’est passé avec le mariage pour tous, où on a humilié ces Français”. Voulez-vous vous expliquer sur cette phrase ?

Emmanuel Macron : Bonjour d’abord à toutes et tous, pardon de vous avoir fait attendre. Cette phrase, elle a été - et là vous me faites l’amitié, en plus, de la rappeler un peu plus largement - mais qu’est-ce que j’ai dit, ce faisant, qu’on a divisé, et l’autre polémique du jour, d’ailleurs, qui n’a rien à voir, mais le montre très bien sur la colonisation, ce pays adore se diviser et se cliver. Or, on ne peut pas construire l’avenir sur des clivages, qu’ils soient mémoriels ou que ce soit des fractures identitaires. Il y a une obsession française sur ce sujet, qui nous bloque d’ailleurs, et qui nous sort des vrais sujets, l’un de ceux dont on va parler ce soir, et donc ce que j’ai dit, de manière très simple, moi, je suis favorable à la loi “Mariage pour tous”, je l’ai défendue en tant que citoyen, en tant que responsable politique, et je la protègerai et la défendrai dans le combat qui est aujourd’hui le mien, parce que plusieurs autres candidats veulent la remettre en cause. Mais ce que je dis, c’est que dans la méthode, pour ce type de projet, il fallait aller vite. Le faire tout de suite, dans le souffle de l’élection, et ne pas laisser s’installer une espèce de débat qui a clivé profondément la société, qui a donné le sentiment, à une partie, qu’elle n’était pas entendue. Voilà. Donc c’est uniquement ce que j’ai, ici, voulu dire.

V.R. : C’est à dire que vous n’êtes pas pro manif pour tous, en gros ? Je résume...

E.M. : Oui, j’espère qu’il n’y a jamais eu d'ambiguïté…

V.R. : Eh bien, je vous la pose...

E.M. : … mais, non, je ne suis pas pour la manif pour tous, ils ont choisi, d’ailleurs, leur candidat, ce n’est pas votre serviteur, et ça n’est pas ce à quoi je crois.

V.R. : Mais, pardon, Monsieur Emmanuel Macron, mais vous êtes tellement, on a dû tout vous lire, avec Elvire, on a vraiment bien travaillé, et vous êtes vraiment pour le débat...

E.M. : Oui.

V.R. : … et vous êtes pour le débat dans la société, et de par la société.

E.M. : Exactement.

V.R. : Donc pourquoi, tout d’un coup, vous critiquez le débat dont la société s’est emparée ?

E.M. : Eh bien parce que ce n’était pas un débat, tel que vous l’avez vu. Moi, je suis pour le débat, c’est à dire pour qu’on puisse, de manière apaisée, faire grossir des sujets, les faire mûrir, et dans la vie il y a des sujets qui ne sont pas prêts, par exemple... On pourra peut-être y revenir dans la discussion. Là, ce n’était pas un débat, c’était une conflictualité, donc moi, je suis pour qu’on puisse débattre des choses, les poser, et débattre, d’ailleurs, des traumatismes, mais en l’espèce, quand vous avez un texte de loi, donc la décision est prise, qu’elle fait partie d’un engagement, qu’elle a été purgée dans un débat démocratique, vous êtes ensuite dans le temps de l’action. Et donc, soit vous choisissez d’en faire un débat, mais à ce moment-là, il faut mettre tout le monde autour de la table, et il faut le chorégraphier comme un débat, ce qui n’a pas été fait, c’était mon point, c’est à dire que si on voulait que ça dure et que ce soit un débat, il fallait entendre tout le monde et laisser débattre les gens, et non pas être dans une conflictualité, c’est ce qui s’est passé ; soit décider qu’on agissait, dans ce cas-là, il fallait le faire vite. Mais vous voyez, je suis pour le débat, en permanence, je suis pour que l’on pose les sujets et qu’on les sorte d’une espèce de clivage, qui parfois traumatise ou bloque la société, c’est ce que j’essaie de faire sur de nombreux sujets, et ça fait réagir, mais quand on a décidé d’agir, il faut choisir sa méthode. Là, on était resté sur un entre-deux, c’est ça que je suis venu critiquer, mais qu’il n’y ait aucune ambiguïté, je suis pour la loi “Mariage pour tous”, je l’ai défendue et je me suis exprimé à plusieurs reprises. Je la défendrai et je la protègerai, je suis, en même temps, pour respecter tous les citoyens dans leur différence, c’est aussi ce qui m’a conduit à discuter avec des gens qui étaient contre. Et je trouve que ça dénote, ça dit beaucoup de l’état de névrose du pays…

V.R. : La polémique ?

E.M. : Non, mais en général. Quand je suis allé voir des femmes et des hommes, des responsables politiques ou religieux qui étaient contre le Mariage pour tous, j’ai eu ce type de polémique. On a dit “s’il voit des abbés, ou si il va voir Philippe DE VILLIERS, s’il y a Geneviève DE FONTENAY à son meeting, c’est qu’il est contre le mariage pour tous”. Mais enfin ! On ne peut pas se cloisonner, se mettre derrière des barricades ! Je suis pour cette loi, pour la défense du droit des couples de même sexe, mais en même temps, il y a des gens qui ne partagent pas mes idées, je les respecte, je veux dialoguer avec eux, quoique ne les partageant pas, et je revendique ce droit. Et donc, je trouve que cette idée pavlovienne de reconnaître, par exemple, que dans ce débat, il y a eu un malentendu, il y a eu une mauvaise gestion politique, c’est la vérité, sinon on n’aurait pas eu un million de personnes dans la rue…

V.R. : Il y a aussi une fracture dans la société...

E.M. : Mais bien sûr il y a une fracture dans la société, mais je dis “il faut essayer de les résorber mais pas de manière éruptive”, dès que quelqu’un dit quelque chose ou fréquente quelqu’un qui n’a pas forcément ses opinions, vouloir sur-signifier cela et rentrer dans des espèces de clivage, sinon on met des herses partout. Sinon, dans la société d’aujourd’hui, que certains veulent, eh bien, on ne se parle plus entre pro- et anti- mariage pour tous, on ne se parle plus entre les fils de harkis, les fils d’anciens soldats de la guerre d’Algérie, les fils d’Algériens d’origine française - c’est le débat du jour qui nous occupe - c’est-à-dire qu’on met du clivage partout, de l’impossibilité de discuter, l’impossibilité de dépasser ça. Moi, ce qui m’intéresse…

V.R. : Vous nous refaites le jeu, vous avez compris, là…

E.M. : Non, c’est la réconciliation...

V.R. : Oui…

E.M. : Mais si on veut avancer, est-ce que tous ces débats sont au coeur de notre sujet ? Moi, je pense que le combat, aujourd’hui, pour les couples de même sexe, c’est, un, de faire vivre en vrai les droits acquis, en vrai, de les faire vivre sur le terrain, de se battre contre la violence, par exemple, faite contre les homosexuels dans de nombreuses régions de France où l’on n’accepte toujours pas ça, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes. C’est ça, les vrais combats. Ce n’est pas de savoir si vous voyez untel ou untel qui était pour ou contre. Et donc, on reste, on revisite en permanence des conflits du passé. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de construire notre avenir. Et donc oui, de le faire en disant aux gens “on n’a pas toujours été d’accord”, pour réconcilier les positions.

V.R. : Pardon, mais vous me tendez la perche qui n’a rien à voir avec ça, mais…

E.M. : Allez-y.

V.R. : En allant en Algérie et en disant ce que vous avez dit, ce avec quoi on est, je pense assez tous d’accord, enfin je parle au nom des lectrices de Causette, enfin, j’imagine... Là, vous avez ravivé des plaies du passé.

E.M. : Mais, vous savez, il y a deux mois, j’ai tenu le même discours auprès d’un hebdomadaire français, parce que j’ai eu un discours complet et équilibré. J’ai dit “il faut regarder: dans la colonisation, il y a eu des crimes contre l’humain, il y a eu de la barbarie. Et en même temps, il y a eu de la modernisation, par effraction en quelque sorte, parce qu’il y a eu des passeurs, il y a des femmes et des hommes, instituteurs, fermiers, etc. Et puis, chacun a sa mémoire fracturée”. J’ai cité tout cela. Simplement, dans l’époque où on vit, on veut raviver les plaies, donc on a sorti un bout. Mais, j’ai, sur le sol algérien, parlé, ce qu’on ne faisait plus, des harkis, de celles et ceux qui étaient partis, de tout le monde, de ces mémoires irréconciliables, qui font notre histoire entre la France et l’Algérie, qui ne sont pas que des plaies mais chacun a son histoire. Il se trouve que dans notre pays, aujourd’hui, qu’est-ce qui fait que nous sommes bloqués sur ces sujets, aujourd’hui, et qu’il y a une telle réaction? C’est le retour du refoulé. C’est le retour du refoulé. Dès que vous nommez ce qui s’est passé, les gens disent “c’est de la repentance”. J’ai dit “moi, je ne suis pas pour faire de la repentance”.

V.R. : Non, ce n’est pas ça, Monsieur Emmanuel Macron, c’est que la colonisation, c’est une plaie ouverte…

E.M. : Mais oui.

V.R. : … une plaie ouverte qui nourrit encore beaucoup d’aigreurs, de ressentis que certaines jeunes générations se réaccaparent.

E.M. : Je suis d’accord, mais pourquoi ? Parce qu’on n’a pas voulu...

V.R. : et donc en parlant de ça….

E.M. : Mais oui, mais attendez, vous ne pouvez pas ne pas en parler. Vous ne pouvez pas ne pas en parler parce que c’est présent dans la société. Parce que c’est là, que vous le vouliez ou non, dans les quartiers, chez certains, et c’est là, des deux côtés. Allez chez les pieds-noirs, c’est une plaie ouverte. Mais c’est une plaie ouverte, pourquoi ? Pourquoi l’Afrique du Sud, qui a vécu l’apartheid, a réussi à faire une commission “vérité-réconciliation” qu’avait pensée Desmond TUTU, quelques années après la fin de l’apartheid et a réussi, - je ne suis pas en train de dire que tout est parfait - mais à mettre les choses sur la table et à réconcilier les gens ? Parce qu’on a dit “on va s’en parler”. Et en France, qu’est-ce qui s’est passé ? C’est simplement qu’après 1962, on a totalement refoulé ces années-là, parce qu’on a dit “jetons un voile et ça ne sert à rien de le rouvrir”, on a laissé, du coup, des plaies béantes, on a laissé….

V.R. : mais pourquoi ?

E.M. : ...parce que ça a été un choix politique.

V.R. : Parce qu’il y a un colonialisme économique…

E.M. : Non.

V.R. : … qui continue à perdurer dans toutes les anciennes colonies, pardon, mais…

E.M. : Non mais pardon...

V.R. : … mais si, il y avait des accords….

E.M. : Là, vous êtes dans un discours..., c’est plus compliqué que ça et ce n’est pas si vrai.

V.R. : C’est pour ça qu’on ne se fâche pas.

E.M. : Mais vous allez en Algérie, ce n’est pas si vrai, au contraire, les choses sont plus compliquées. Mais parce qu’on n’en parle pas, on peut tenir le discours que vous tenez. Et parce qu’on n’en parle pas et que c’est un refoulé, dès qu’on dit “c’est la vérité, il y a des gens qui ont vécu ces crimes”, et de la même façon que les pieds-noirs, de la même façon que ça a été des traumatismes immenses pour les soldats français qui se sont battus pour ces terres, donc vous avez toutes ces mémoires qui sont traumatiques. Si, à un moment, on ne les met pas à plat, ni dans la repentance, ni dans le refoulé, eh bien on a le retour du refoulé, ce qui fait qu’on ne peut rien construire. Et donc ces fractures vous les retrouvez dans la relation franco-algérienne, vous les retrouvez dans vos quartiers, vous les retrouvez au sein de la société française, et vous ne pouvez pas construire quelque chose, parce que vous avez raison, ensuite ils sont réinvestis par des générations qui ne les ont pas vécues, mais qui sont dans la société française et qui remettent des barricades entre les gens. Donc vous voyez, moi je mets les pieds dans le plat. Il faut avoir un discours de vérité, il faut dire ce qui a été bien fait et mal fait, et ce n’est pas trahir l’Histoire de France. C’est, au contraire, de dire que l’Histoire de France est une grande Histoire, mais elle charrie avec elle, d’un bloc, des crimes, de la barbarie parce que c’est l’histoire du Code Noir, de violences qui ont été faites, de crimes, et, en même temps, de génies de civilisation, de gens qui ont éduqué, qui ont fait des belles choses y compris dans ces pays-là, de gens qui ont fait des choses formidables, et donc il y a eu des bonnes choses avant la République et il y a eu des atrocités faites sous la République. Tant qu’on ne saura pas dire ces choses qui convoquent notre Histoire de manière un peu plus complexe que de dire d’un côté il y aurait les bons et les méchants, on n’arrivera pas à avancer.

V.R. : Ca nous fait plaisir parce que cela veut dire que si vous étiez président, vous pourriez déclassifier tous les documents classés “secret défense” par rapport à la guerre d’Algérie, par exemple ?

E.M. : Je pense qu’il faut le faire. J’ai eu beaucoup de discussions sur ce sujet-là avec Benjamin STORA, c’est un sujet qui paraît uniquement mémoriel mais qui, vous l’avez très bien dit, pour les jeunes générations, est une ombre portée. Il faut continuer à avoir de l’enseignement académique et de la connaissance, sur ces sujets. Qu’est-ce qu’il se passe, en France ? Il y a entre une et deux chaires, aujourd’hui, d’enseignants-chercheurs spécialistes des sujets Algérie/Maroc.

V.R. : Et les documents classés “secret défense” ?

E.M. : Mais là, je parle même de connaissances, de capacités à les exploiter. Il y a une désaffection de cette filière académique, et des gens, sur tous ces sujets comme, justement, STORA, des gens aussi, au-delà de ça, sur la connaissance de l’islam, type KEPEL ou autres, ont vu, d’ailleurs, la lumière académique qu’ils mettaient sur ces sujets, donc la capacité à comprendre, à éclairer ces sujets extrêmement menacés par certains choix qui étaient faits, donc je pense qu’on a aussi besoin d’avoir un savoir, une société qui travaille, je pense qu’il ne faut pas passer notre temps à parler de ces sujets non plus, mais le fait, quand on parle en regardant les choses en face, en nommant les problèmes, que ça suscite autant de réactions, cela vous montre bien qu’il y a un problème à ne pas les traiter et que ça nous empêche d’avancer.

V.R. : Dans les piliers de votre programme, il y a la sécurité intérieure et extérieure, donc je propose qu’on commence juste, pour chacun de ces débats, pour ceux qui ne connaissent pas ces débats, par trois questions d’actualité, cette fois-ci en lien avec la sécurité et donc pour cela Chems AKROUF, expert en défense et sécurité, va vous poser trois questions. Il connaît vachement bien le sujet.

C.A. : Bonsoir Monsieur MACRON, je vais revenir sur des problématiques internationales qui concernent surtout le volet russe et américain, pour commencer, avec vous. Le mouvement En Marche! accuse aujourd'hui la Russie de pirater, voire influencer, le vote à son encontre. C’est des soupçons ou une certitude ?

E.M. : Nous avons accusé des sites identifiés, et nous avons pointé des attaques venant essentiellement de l’Ukraine, et nous avons vu plusieurs sites, dont on sait qu’ils sont d'obédience russe et de capitaux russes, intervenir et interférer dans la campagne. Pour autant, je n’ai pas dit que c’était le Kremlin ou les pouvoirs politiques russes. Mais on m’a demandé de prendre position. Ça, c’est une certitude, je vous invite à aller voir ce que peuvent dire Sputnik ou Russia Today, de voir aussi qui y contribue pour comprendre l’orientation politique française des contributeurs, ce sont des journalistes qui ont pignon sur rue, qui travaillent, bien souvent, dans d’autres organes de presse qui ont fait leur choix de candidat, donc avec une vraie orientation politique, ces candidats qui ont, eux, marqué des vraies accointances avec la Russie, qu’il s’agisse de François FILLON ou Marine LE PEN avec, parfois, pour la seconde, une vraie dépendance à l’égard de la Russie. Je pensais que c’était donc important, compte tenu du fait que nous avons subi plusieurs cyber-attaques et qu’il y a eu une volonté, y compris, d’ailleurs, d’insinuer des choses qui étaient infondées ou fausses sur ma personne, de la part de Sputnik, de tout de suite réagir. Pourquoi ? Parce qu’on a vu que de tels médias, de telles attaques, avaient eu un impact dans d’autres campagnes comme la campagne américaine et je note, d’ailleurs, que le conseil de défense présidé par le Président de la République, dès le lendemain, a considéré que ces dénonciations n’étaient pas innocentes et a lui-même décidé de réagir, donc c’est une réalité.

C.A. : Merci. Dans ce type d’influence stratégique et médiatique, entre la Russie et les Etats-Unis, en tant que potentiel futur président francais, quel sera votre positionnement, quel type de président serez vous vis-à-vis de ces interactions d’influence ?

E.M. : D’abord, personne ne sait exactement la nature, aujourd’hui, des relations entre les Etats-Unis d’Amérique et la Russie. Nous avons noté qu'un conseiller éminent du président a dû démissionner compte tenu, justement, des liens qu’il avait établis avec la Russie, pendant la période intercalaire, et moi, je ne sais pas dire quelle sera la politique, à l’égard de la Russie, de Monsieur TRUMP, puisqu’il a dit qu’il était favorable au maintien de l’OTAN à Madame Theresa MAY, il a envoyé des signaux, pendant la campagne, qui étaient plutôt bienveillants à l’égard de Monsieur POUTINE, donc il y a beaucoup d’incertitudes. La politique de la France, elle doit, dans ce contexte international, être une politique de défense de nos intérêts et, en même temps, de nos valeurs. Nos intérêts, quels sont t-ils ? Au premier chef, c’est la sécurité. La sécurité de nos concitoyens. Et donc, c’est, partout où il y a de la déstabilisation qui pourrait avoir un impact sur notre sécurité, d’essayer de pallier celle-ci et d’y répondre, et surtout de lutter partout contre le terrorisme djihadiste. Partout où il est.

V.R. : Comment? Faire perdurer la guerre ?

E.M. : Alors, je vais y revenir, je finis juste les intérêts et je reviens sur ce point. Ensuite, c'est nos intérêts climatiques qui sont absolument fondamentaux et très structurants, et nos intérêts économiques. C’est, pour moi, cet ordre-là des choses. Dans ce contexte-là, nous devons parler à tout le monde, et moi, je suis favorable à ce que la France ait, ce qui est sa tradition, une capacité à avoir, si Monsieur TRUMP décide de s’inscrire dans cette Histoire, évidemment, un dialogue privilégié avec les Etats-Unis d’Amérique. Pourquoi ? Parce que c’est notre partenaire depuis 1945, parce que nous avons une histoire commune de liberté, parce que, d’ailleurs, nous sommes profondément liés, dans le cadre de l’OTAN et même, au-delà, dans toutes nos coopérations militaires. La défense anti-missiles de l’Europe, elle se fait avec les Etats-Unis, notre capacité à opérer de manière efficace en Afrique comme au Proche- et Moyen-Orient se fait avec le renseignement américain. Nous avons un partenariat qui est très structurant. Moi, je m'interroge sur les prises de parole de Monsieur TRUMP parce qu’il revient sur une histoire qui est séculaire, mais en particulier sur une histoire très structurante des soixante-dix dernières années. Avec la Russie nous devons avoir un dialogue exigeant. Mais on doit dialoguer avec ces puissances régionales qui ne partagent pas nos valeurs, qui ont des régimes autoritaires, mais qui sont structurantes pour une région qui nous concerne très fortement, le Proche- et le Moyen-Orient. Donc il faut un dialogue exigeant et responsable avec la Russie, avec l’Iran, avec l’Arabie Saoudite, avec la Turquie, parce que sinon, nous ne pouvons pas faire avancer les sujets qui sont décisifs pour nous. Un dialogue exigeant, sans céder en rien, ce qui veut dire que, pour répondre à nos problèmes de sécurité, nous avons plusieurs théâtres d’opérations. Il y a, aujourd’hui, le sujet syrien. Sur le sujet syrien, je l’ai dit, je ne suis pas favorable à ce qu'aujourd'hui, on mette en préalable de tout la destitution de Bachar EL-ASSAD. Pourquoi? Parce que nous nous sommes totalement isolés dans cette position, parce que, dans l’ordre des facteurs, notre priorité, c’est la destruction du terrorisme djihadiste, et que, compte tenu de cela, la clé, c’est de trouver une issue politique, et donc, ce que j’ai proposé, c’est un groupe de contact, c’est-à-dire une initiative diplomatique qui permette, pour la Syrie, de mettre l'ensemble des parties prenantes autour de la table avec les Nations Unies, pour permettre, y compris avec des représentants en place, une solution politique de transition. C’est la seule chose qui permettra d’aboutir... Ca veut dire un gouvernement de transition qui donne une solution politique inclusive, qui permettra à la Syrie de se stabiliser...

V.R. : Avec ou sans Bachar EL-ASSAD ?

E.M. : Je l’ai dit, il faut, autour de cette table, ses représentants puisqu’aujourd'hui, il est l’un des éléments de la stabilité. Ce qui n'enlève rien aux crimes qu’il a commis. Je l’ai dit, c’est un dictateur, qui a commis des crimes extrêmement graves qui relèvent de la justice internationale, néanmoins, aujourd'hui, si vous dites “mon préalable c’est la destitution de Bachar EL-ASSAD”, c’est l’anomie. Ça n’existe pas, et donc je le dis, là-dessus ne refaisons pas les erreurs de l'Afghanistan et de l’Irak, voire de la Libye. Le pire des risques, dans toute cette région, ce sont les Etats faillis, partout où nous avons décidé, avec des bons sentiments, d’aller faire la guerre sans solution politique sur place, nous avons construit de l’anomie. C’est-à-dire, on a destitué des États et des dirigeants qui ne partageaient pas nos valeurs, avec lesquels nous n’étions pas d’accord, mais derrière, on a fait quoi ? On a ravivé des chefs de guerre et on a donné, justement, place ouverte aux terroristes. On n’aurait pas fait ces guerres-là, nous n’aurions pas aujourd’hui Al Qaïda dans un premier temps, Daech, Al-Nosra et les autres. Donc soyons conséquents avec cela. Le rôle de la France, c’est de construire la paix, et elle passe par une stabilisation des États, et ensuite un dialogue exigeant avec ces États. Ça n’est pas moi qui ai invité Monsieur KADHAFI ou d’autres en grandes pompes à Paris. Mais, les mêmes qui ont fait cela ont ensuite essayé de donner des leçons de droits de l’homme dans leur propre pays. Alors même qu’ils n’avaient pas de solution sur place. Donc, il faut, là-dessus, retrouver cette tradition gaullo-mitterrandienne, qu’a suivie, d’ailleurs, ensuite, Jacques CHIRAC, dans notre politique extérieure, qui est de construire la paix avec exigence, de ne rien céder à un esprit néo-conservateur qui consiste à aller donner des leçons partout, sans avoir les moyens d’assurer un équilibre politique. Et donc, il faut des interventions militaires coordonnées là où ça s’impose, elles s’imposaient au Mali. Je pense que notre présence dans le Sahel et la zone sub-saharienne n’est pas terminée parce qu’il y a encore des conflits armés et une vraie déstabilisation. Elle s’impose dans les zones où il faut de la stabilité, j’ai été dans une base, dans une de nos bases militaires en Jordanie, justement, pour voir notre participation à la coalition de soixante États sur le terrain, mais en même temps, la priorité doit être diplomatique. Notre intervention militaire, partout où elle se justifie, elle doit s’inscrire dans une feuille de route diplomatique, et dans une stratégie avant tout. Quand on intervient sans savoir comment on finit, c’est une mauvaise décision.

C.A. : Pour rester sur la même thématique du terrorisme - avec des chiffres catastrophiques en termes de morts et de blessés -, qu’on a vécu dernièrement, avec les vagues d’attentats, vous, demain, président, quel sera votre positionnement dans le cadre de la gestion de la lutte antiterroriste ? Et pensez-vous que nous sommes au niveau ?

E.M. : Je pense que, sur le plan législatif, beaucoup de choses ont été faites, sur le plan, à la fois, du renseignement, de l’adaptation de notre droit, pour lutter contre le terrorisme. Ça, le travail fait durant les deux dernières années a permis d’améliorer les choses et je crois qu’il ne faut pas céder, en la matière, aux discours de celles et ceux qui voudraient nous faire abandonner nos principes pour régler le problème du terrorisme. Ça, je crois que c’est une erreur fondamentale. Quand on se bat contre le terrorisme, on se bat aussi au nom de nos valeurs. Abandonner nos valeurs - c’est la position que j’avais prise, par exemple, sur la déchéance - en prétendant lutter contre le terrorisme, c’est vraiment faire fausse route, y compris sur le plan à la fois des principes mais également de ce qu’est l’autorité vraie. L’autorité vraie, ça n’est pas subir son agenda en fonction des coups de buttoir des terroristes. On ne change pas la loi fondamentale parce que des gens nous attaquent. Donc je pense qu’il n’y a pas de changement législatif - il y a à savoir quand est-ce que l’on peut sortir de l’état d’urgence, et là, ça dépend des informations en termes de renseignement dont je ne dispose pas en tant que candidat citoyen, et d’un vrai contrôle parlementaire. Ensuite, il y a notre organisation. Là-dessus, les forces de police ont été augmentées pour y répondre, plus neuf mille, rattrapant, ce faisant, les décisions antérieures, sous le quinquennat de Nicolas SARKOZY et le début de ce quinquennat, de réduction d’emplois. Je l’ai dit, pour faire face à l’ensemble de nos défis sur le plan de la sécurité intérieure, moi, je m’engage à dix mille embauches en plus de ces neuf mille. Pourquoi ? Parce qu’on en a besoin pour la lutte antiterroriste et les trois fonctions principales de ce que font les policiers et les gendarmes : les interventions, renseignement et poursuites, et sécurité publique. Ensuite, face au terrorisme, nous allons devoir continuer à procéder à des perquisitions, des démantèlements de réseaux, avec les facilités que permet un état d’urgence. Comme on le sait, c’est une des questions-clés pour sa sortie. Mais on a un élément absolument décisif sur lequel il nous faut aller plus loin, et il me semble que le travail n’est pas terminé, c’est celui du renseignement. Parce que c’est ça, la clé. Les individus qui, aujourd’hui, ont des risques d’intervention en tant que terroristes ou potentiels terroristes, seul le renseignement nous permet de les traquer. Or là, nous subissons les conséquences du démantèlement du renseignement territorial qui a été décidé par Nicolas SARKOZY, qui a été une vraie fausse stratégie. Parce que quand vous n’êtes pas sur le terrain, vous ne voyez pas ces réseaux insidieux, cette organisation informelle, qui, si vous remettez - ce qui est mon projet - à la fois de la police de sécurité quotidienne...

V.R. : de rétablir des RG...

E.M. : ...et d’avoir un renseignement territorial, ou commencer à le faire, avec le renseignement, vous êtes au plus près du terrain. Ça, c’est le premier point. Le deuxième, c’est d’avoir une vraie organisation nationale en matière de renseignement. Aujourd’hui, on a gardé une organisation de notre renseignement qui est éminemment balkanisée. C’est très divisé entre la police et la gendarmerie, entre certains services de police, et nous n’avons pas voulu créer, en France, une vraie entité de pilotage du renseignement, comme l’ont fait, par exemple, les Britanniques ou les Américains, qui ont une entité unique qui rapporte soit au Premier ministre, soit au Président des États-Unis, avec consolidation de toutes les données, avec la possibilité de croiser aussi ces données d’origines diverses et d’utiliser les techniques du big data. Ce que je propose, c’est de créer cette entité qui rapporterait au conseil de défense, et donc qui serait rattachée à l'Elysée, et qui aurait la possibilité de croiser l’ensemble de ces données de renseignement. Nous nous privons, aujourd’hui, dans la lutte contre le terrorisme, des moyens technologiques contemporains, qui sont les nôtres, et d’une capacité, justement, à bénéficier de l’intégralité des informations qui nous sont fournies, parce qu’il y a des guerres de chapelle qui persistent.

C.A. : Bien. Et sur le phénomène qui découle, justement…

V.R. : La dernière, Chems...

C.A. : … oui, très rapidement. Le phénomène de la radicalisation. Manuel VALLS a annoncé beaucoup de choses qui n’ont pas été mises en oeuvre pour démanteler, comme les centres de déradicalisation. Demain, vous, Président, qu’allez-vous faire avec cette thématique qu’est la radicalisation et comment vous voyez la mise en oeuvre ?

E.M. : C’est un sujet qui est éminemment compliqué, le terme, d’ailleurs, lui-même, recouvre des réalités qui sont multiples. On parle d’individus qui basculent. Est-ce qu’ils ont tous le même profil ? Non. Et on l’a bien vu, dans les dernières générations, d’ailleurs, ça a beaucoup changé, ce sont des gens qui sont de plus en plus qualifiés, de plus en plus de classes moyennes. Ce sont quand même souvent des gens dont la famille a un problème, donc qui peuvent être un peu désocialisés, ou qui sont dans des situations de crise familiale, et ce sont des gens qui ont parfois des dérives psychotiques. Donc, si vous voulez, il y a une palette de situations qui va d’une espèce de communautarismes religieux qui, à un moment, dérivent complètement et qui subissent des messages répétés, à des gens qui sont en rupture de ban, à des psychotiques, à des gens qui relèvent de la psychiatrie. Il faut regarder la palette intégrale de cette situation, parce que vous n’avez pas un profil unique de radicalisé qui serait le jeune dans telle ou telle situation. Et là, si on réduit, je sais bien que ça peut faire plaisir, dans le débat public, comme toujours, d’hyper-réduire et de dire “voilà le bouc-émissaire”. Non, c’est beaucoup plus large. Donc face à ça, il y a une palette de réponses. Il n’y en a pas qu’une, si on veut prévenir. Il y a d’abord un vrai sujet, on en parle très peu dans le débat public, sur la psychiatrie, en particulier la psychiatrie infantile. Dans tous les quartiers en difficulté, on a abandonné, la psychiatrie est un parent pauvre de la médecine française, en particulier de l’hôpital. La psychiatrie pédiatrique, et en particulier pour les adolescents, n’a aujourd’hui quasiment plus de moyens, c’est très déstructuré. Or c’est là qu’on voit les cas, et on les connaît. Les maires qui sont dans des quartiers parfois sensibles vous le disent très bien. Moi, j’en ai beaucoup parlé, avec le maire de Sarcelles par exemple, il sait vous dire, dans chaque génération, la dizaine de jeunes qui dérivent et qui dérivent pour des questions qui sont médicales ou paramédicales, c’est-à-dire qui ont des syndromes de type autistique ou qui sont un peu schizophrènes et qui peuvent dériver dans ces situations. Ça, vous les avez, c’est une réalité. On les suit de moins en moins bien. Ensuite, vous avez des phénomènes qui sont liés à vos comportements individuels, à vos troubles, à une fréquentation, à un moment de votre vie où vous êtes plus sous influence que d’autres, et ça, ça se surveille par la police…

C.A. : justement alors, en termes de mise en oeuvre…

E.M. : … par la police de sécurité quotidienne. Donc là, je suis sur le volet prévention. Vous avez besoin de retravailler avec la médecine, avec des associations, et avec de la présence policière de renseignement et de sécurité quotidienne...

V.R. : C’est dans votre programme, d’ailleurs, de remettre des instances des représentants médicaux au sein de l’enseignement et des écoles...

E.M. : Oui, exactement. Exactement. Ça, c’est sur la prévention. Après, sur le traitement, les cas sont multiples. Pourquoi les centres dits “de déradicalisation” ne marchent pas ? Parce que vous êtes face à des individus aux profils extrêmement variés. Est-ce qu’on peut, est-ce qu’on doit décider de priver de liberté celles et ceux qui sont soupçonnés d’être dans ce cas ? C’est le fameux débat sur les “fichés S”, qui ne couvre pas, d’ailleurs, que celles et ceux qui sont radicalisés…

C.A. : Non...

E.M. : ... c’est beaucoup plus large. Dedans, vous avez les gens qui sont radicalisés. Les enfermer est d’une idiotie complète. D’abord parce que, dans un État de droit, vous n’enfermez pas des gens quand il y a des soupçons, il n’y a pas de jugement… Moi, pardon, si je me bats contre les terroristes, c’est pour défendre l’État de droit. Je ne vais pas abandonner l’État de droit pour me battre contre eux. Donc, s’il y a une peine de justice, qu’on peut prouver quelque chose, on peut prendre une mesure privative de liberté, sinon ils sont en liberté. Ensuite, c’est inefficace, parce que quelqu’un qui est “fiché S”, c’est pour des fins de renseignement, donc il faut le suivre. Et c’est plutôt pour remonter des filières et regarder, derrière, comment les démanteler. Ça, c’est pour les “fichés S”. Pour les autres radicalisés - sachant, comme je l’ai dit, que bon nombre de “fichés S” ne sont pas radicalisés, c’est beaucoup plus complexe - pour les autres, là aussi, le statut juridique est incertain. Vous avez des gens qui relèvent de la justice et qui peuvent être enfermés, et vous en avez d’autres pour qui on disait “c’est sur une base volontaire qu’ils vont venir”. Ça ne marche pas, parce qu’ils ne viennent pas sur une base volontaire. Parce que c’est comme la psychanalyse, il faut avoir envie pour que ça marche. Donc les gens, s’ils ne veulent pas se faire déradicaliser, ils n’y vont pas. Et donc là, vous avez un vrai sujet qui fait que ça ne peut se faire que, là aussi, par une organisation associative, par de l’encadrement, et, au-delà du renseignement et de la remontée de filière, par une capacité à encadrer, à ramener, justement, ces individus dans notre réalité, à les ramener dans la République et nos principes, et donc c’est un travail, là aussi, qui passe par des associations, qui passe par les services publics. Enfin, il y a le dernier cas, quand on parle de déradicalisation, ce sont les retours de Syrie, de ceux qu’on appelle généralement les foreign fighters, donc celles et ceux qui sont sur ces théâtres d’opérations avec le problème, en plus, des épouses et des enfants nés sur place. Là, la pratique, c’est que, à leur retour, ils sont jugés et incarcérés, parce que là, vous avez la possibilité de caractériser, justement, d’un point de vue juridique et de prendre des mesures privatives de liberté. La vraie question, le vrai défi qui est le nôtre, c’est d’avoir la bonne réponse carcérale et l’accompagnement.

E.M. : Si vous mettez des individus au sein de la prison avec les autres, vous avez des comportements, qu’on voit de plus en plus se répandre, de prosélytisme et là, vous ne maîtrisez plus rien. Et des individus fragiles, d’ailleurs, peuvent aussi basculer. Donc là, moi, je suis pour qu’il y ait des mesures privatives de liberté aussi longtemps que nécessaire, que dans ce cadre-là, il y ait un processus de déradicalisation qui dépend aussi de la nature de la problématique rencontrée mais que ce soit à part des prisons existantes, donc dans des centres dédiés.

C.A. : Merci Monsieur Macron.

V.R. : Ecoutez, bon, on ne va pas statuer, là, sur une question certainement passionnante, mais...

E.M. : Mais qui est très compliquée...

V.R. : ...très compliquée, et puis on va se faire taper sur les doigts par toutes nos lectrices et par toutes celles qui suivent Causette. Elles disent “et les femmes, maintenant ?” Eh bien, on y vient. Dans votre livre, vous dites que “le premier facteur de discrimination est d’être une femme”. Vous parlez des inégalités de salaire, de postes, des emplois à temps partiel, mais en fait, énorme frustration, je dois vous le dire, parce qu’on a lu cette page, avec Elvire, on a regardé, on a tourné la page, c’était génial et plus rien, vous passez à autre chose. Donc face à ces…

E.M. : J’arrive !

V.R. : (rires)... face à ces inégalités… chtouk ! paragraphe, saut de page, et tchouk. Alors, que faire, face à ces inégalités, concrètement ? Et après… Donc première question, il y en a deux... plus précisément, comment rendre effective la loi sur l’égalité des salaires, qui existe, mais qui n’est pas ou très peu appliquée...

E.M. : Je suis là pour apporter toutes les réponses à ces frustrations, donc ça tombe bien, je l’aurais fait dans le livre, vous ne m’auriez pas invité. Si on commence par les salaires, sur l’inégalité salariale, elle a plusieurs composantes. C’est-à-dire qu’il y a une inégalité constatée, qui est là, et qui, d’ailleurs, se résorbe moins vite, depuis quinze ans, qu’elle n’avait commencé à se résorber, et qui fait qu’on mettrait vingt-cinq ans à aller vers une égalité si on continuait au même rythme. Mais qui, derrière, a des explications en termes de structure, c’est-à-dire que les femmes, aujourd’hui, sont beaucoup plus abonnées au temps partiel, au temps partiel subi en particulier, et donc que c’est toute cette structure de l’emploi féminin et de la case dans laquelle on fait rentrer les femmes qui est un problème. Ce qui fait qu’en effet, et vous avez très bien défini la chose, dans la loi....

V.R. : Ou dans votre livre aussi, vous l’avez très bien défini.

E.M. : Non non, mais, j’y arrive. J’y arrive. Il faut qu’on aille au bout de ça parce que la question, c’est quel est le niveau de réponse. La loi, elle a défini une réponse, elle a mis le principe. Donc, dans la réforme du droit du travail, moi, que je propose et à laquelle je crois, dans cet ordre public social qu’on maintient, il y a évidemment l’égalité hommes-femmes, dont l’égalité salariale. La question, c’est comment on fait pour que ça se décline? De deux manières. La première, il faut que ce soit un sujet de la négociation de branche et d’entreprise, c’est-à-dire qu’on fasse vivre ce sujet, avec une vraie publication des chiffres et avec un débat, au sein de l’entreprise et au sein de la branche, avec les représentants des salariés, pour, justement, avoir un vrai sujet en objectivité sur la réalité. Quelle est la réalité des contrats courts chez nous, quelle est la réalité de l’emploi partiel, subi ou voulu, qui l’occupe et comment ça marche? Donc vous pouvez ainsi objectiver et avoir un vrai débat où vos représentants syndicaux vont aller dans le sens de l’application de la loi in concreto. Ça, c’est ce qui relève du dialogue social, parce que moi, je ne crois pas...

V.R. : Non mais en gros là… Pardon, mais si je veux faire de la mauvaise foi, en gros, là vous me dites “moi, je n’y peux rien, mais ça sera aux syndicats de négocier”...

E.M. : Non, je suis en train de dire que moi, je crois à la République contractuelle. La réponse qui consisterait à dire “on va faire une loi pour l’interdire, ou aller encore plus loin, ou pour interdire, par exemple, le temps partiel des femmes”, je ne rends pas service aux femmes si je fais ça. Et ça n’est pas vrai, parce que vous avez plusieurs modèles selon les sociétés, parce que je crois à cette République contractuelle et aux différences multiples qui existent selon les entreprises ou les secteurs, donc, je dis, c’est un sujet qui doit rester dans la loi, mais dont il faut obliger les entreprises et les branches à discuter, dans le cadre du dialogue social, pour aller au bout.

V.R. : Comment vous les obligez ?

E.M. : Mais en le mettant simplement dans la liste des sujets qu’elles doivent négocier de manière annuelle, au niveau de l’entreprise et au niveau de la branche, parce que je crois au dialogue social. Donc le dialogue social, il faut qu’il ait du grain à moudre et qu’il le fasse travailler. Et que les acteurs de ce dialogue social que sont les représentants des syndicats, comme du patronat, eh bien, soient coresponsables aussi de ces sujets, et que, du coup, ça oblige à les objectiver et à en discuter. La deuxième chose…

V.R. : Oui, mais ce n’est pas pour ça que ça va résoudre le problème.

E.M. : Non, mais ça change beaucoup de choses. Vous pensez que vos organisations syndicales s’en fichent complètement ? Moi, je ne sais pas. Il y a autant de salariées femmes que d’hommes. On dit qu’il y a une inégalité salariale, je suis désolé, je crois au dialogue social, j’y crois jusqu’au bout. J’ai posé un principe dans la loi. On y contrevient en réalité et in concreto parce que les structures d’emploi ne sont pas les mêmes. Eh bien moi, je vais jusqu’au bout, j’y crois. Donc je dis simplement “si vous n’êtes pas contents, changez vos représentants syndicaux”. Elisez… Vous êtes salarié(e), vous élisez des représentants syndicaux qui vont défendre la cause dans le dialogue social, dans l’entreprise et dans la branche. C’est comme ça que ça marche. Si on considère que ça ne sert à rien, le dialogue social, il faut tout arrêter et on définit tout au niveau de la loi. Je ne crois pas une seule seconde à cette solution, compte tenu de ce qu’est notre économie et de sa variété. Donc, je suis cohérent avec ce que je porte par ailleurs, dans la transformation sociale, je dis “c’est un vrai débat du dialogue social”, et là-dessus, le législateur a pris sa responsabilité, je la maintiens et je la réaffirme, et les partenaires sociaux doivent la décliner, se l’approprier et, avec les salariés, la porter. La deuxième chose que je fais, et ça, c’est la responsabilité de l’État, qui est complémentaire, c’est une politique de testing beaucoup plus forte, et là-dessus… Moi, quand j’étais ministre en charge de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, on a, avec ma collègue en charge du Travail, on a, sur les discriminations à l’embauche, lancé pour la première fois des mesures de testing - donc là, c’était pour les discriminations, suite au rapport de l’Institut Montaigne -, qui ont permis, justement, de mettre le doigt sur ce sujet. Moi, je suis pour, sur le sujet de la discrimination salariale...

V.R. : Et après? Qu’est-ce qu’il se passe, après ?

E.M. : Alors, justement, un, testing. Deux… ce qui permet de montrer que quand, sur la base du testing, il est évident que vous dénotez une pratique d’inégalité salariale, la loi vous permet, à ce moment-là, de sanctionner. Premier point. Mais la deuxième chose qui va…

V.R. : Qui sanctionne ?

E.M. : Là, c’est l’État qui sanctionne. C’est l’État qui est le garant de la loi.

V.R. : C’est la… Pardon, parce que je suis un peu… c’est l’État qui organise les testings ?

E.M. : Oui, c’est l’État qui organise les testings, tout à fait. C’est à l’État de le faire, comme on le fait sur d’autres sujets, par exemple… Moi, je prends cet exemple parce que c’est ce qui a marché quand j’étais ministre, je l’ai fait sur les délais de paiement. Et, en plus de ce testing, moi, ce que je propose, c’est de sortir la liste des plus grands délinquants sur ce sujet. De faire ce que les Anglo-Saxons appellent le name and shame...

V.R. : Un outing, quoi….

E.M. : …c’est-à-dire que vous pointez celles et ceux qui se comportent mal et qui ont des pratiques de discrimination et vous rendez publics leurs noms : on a fait du testing et on a vu que ceux qui étaient les plus...

V.R. : Vous n’allez pas vous faire des copains, Monsieur Macron...

E.M. : Mais non, mais c’est comme ça qu’on change les comportements. Mais, moi je l’ai… ça ne s’était jamais fait, sur les délais de paiement. Combien, dans nos petites entreprises, disent “les grands groupes ne respectent pas les délais de paiement, c’est insupportable, etc.”? On avait toutes les lois, je peux vous le dire et en plus, là, pour le coup je critiquais tout à l’heure Nicolas SARKOZY et sa présidence sur certains sujets, c’est une loi prise en 2008, la loi dite “LME” qui, pour la première fois, a mis le délai de soixante jours, avec la possibilité de sanctionner. Simplement, ça ne marchait pas, ça ne changeait pas les comportements. J’ai intensifié les choses, un peu renforcé la loi, dans la loi que j’ai portée, mais j’ai surtout dit “autorisez-moi à les rendre publics”. Et je peux vous dire que la première fois que vous rendez public, vous ne vous faîtes pas de copains, vous avez raison. Simplement....

V.R. : Vous allez le faire dans les banques, rassurez-moi...

E.M. : Mais partout, évidemment. Et dans les mauvais payeurs, on l’a fait aussi avec les banques. Il y avait plutôt des grandes entreprises, je ne vais pas les rappeler ici, on l’a rendu, c’était public.

V.R. : Ah mais allez-y ! Balancez ! Franchement… (rires)

E.M. : Non, mais il y avait... c’était Airbus Helicopters, enfin, je ne sais plus, il y en avait trois-quatre sur les délais de paiement. Ils hurlent comme pas possible le jour où vous sortez les noms, ils disent “c’est un scandale, pourquoi moi, alors que c’était un accident cette fois, etc.”, mais je peux vous dire qu’après, ils s’organisent dans la boîte pour ne plus jamais être dans le classement.

E.M. : Donc c’est très efficace. C’est comme ça que vous changez les comportements. Ce n’est pas… Trop souvent, en France, on pense qu’on change les comportements uniquement par la loi. Je ne crois pas. Il faut la loi parfois, mais derrière, c’est de la culture du changement, de la pratique, avec tous les acteurs : les syndicats, l’État, la pression publique.

V.R. : Alors, formidable, on a un truc concret, on est ravi, je sais qu’ Elvire va…

E.E. : Chouette !

V.R. : Autre chose par rapport aux violences faites aux femmes : j’aimerais bien que vous nous répondiez de façon plus large, mais je voudrais attirer votre attention sur la situation très particulière des femmes qui ont déposé des demandes de papiers et qui sont mariées, et qui restent avec leur mari violent – il y en a énormément – car tout changement de statut civil les obligerait à repartir de zéro. C’est une situation qui remonte beaucoup du terrain. Bien sûr, vous n’aviez pas imaginé que je poserais cette question, donc vous n’allez pas forcément sortir de votre poche une solution miracle. Mais c’était juste pour introduire ces questions sur les violences faites aux femmes et toute la complexité d’agir concrètement.

E.M. : Je vais partir du cas particulier que vous évoquez. Le cas des femmes très spécifique que vous évoquez, c’est celui, plus largement, de celles et ceux qui, dans notre pays, n’ont aucun droit parce qu’ils sont dans cette espèce de no man’s land qui est, en effet, l’attente de papiers et de légalisation. Ce sont celles et ceux que vous retrouvez dans les bidonvilles. Ce sont celles et ceux que vous retrouvez dans l’hébergement d’urgence. Ce sont celles et ceux que vous voyez s’installer dans la concurrence des misères dans notre pays, c'est-à-dire qu’ils viennent, ils deviennent SDF, ils s’installent… La réponse à cela, elle est dans la rapidité de traitement des demandes de papiers. En France, quand vous êtes en un demandeur de papiers ou d’asile, les délais, plus les délais de recours, cela fait que vous vous avez des gens qui attendent parfois jusqu’à deux ans. Et donc, ils s’installent dans cette clandestinité. Et donc, en effet, les plus fragiles s’installent dans des situations de dépendance. La meilleure solution, dans les cas que vous évoquez, c’est d’avoir une réponse extrêmement rapide. Pour moi, c’est la clé de la réponse. C’est celle que je propose, plus largement, pour les demandeurs de titre, en particulier d’asile. C’est de déconcentrer les procédures OFPRA. C’est d’avoir des audiences qu’on appelle des audiences foraines, c'est-à-dire d’aller au plus près du terrain, de ne pas tout reconcentrer au niveau national, de raccourcir les délais de recours pour pouvoir essayer de traiter ces sujets en trois mois tout compris.

V.R. : Ce n’est pas du tout ma spécialité, mais on sait très bien que dans tout processus administratif ou judiciaire, il existe légalement, normalement, des délais …

E.M. : Bien sûr, mais les délais d’instruction aujourd’hui… On va se parler vrai : quel est le problème, aujourd’hui ? Les femmes dont vous parlez, elles ont le même problème que la plupart de ces demandeurs, c’est qu’on a installé une pratique administrative. On l’a co-installée. On fait lanterner les demandeurs de papiers. On les fait lanterner car on pense que cela va en dissuader. C’est ça, la réalité. Et ça marche moyen, parce que, en particulier, quand ce sont des gens qui sont réfugiés ou qui ont fait des milliers de kilomètres pour arriver ici, ça ne va pas les dissuader d’aller tous les matins, à cinq heures du matin, devant la préfecture pour faire la queue. Donc ça ne marche pas. Et donc ce sont des gens, ensuite, qui s’installent. Mais là, vous me parlez du problème des femmes qui ont des violences…

V.R. : Plus largement des violences faites aux femmes…

E.M. : Mais vous avez le même problème, ensuite, quand ils s’installent et que des enfants naissent dans ces situations. Donc je dis juste : la réponse qui est à la fois efficace et humaine, c’est de raccourcir les délais, c’est de sortir de nos comportements administratifs. Et là-dessus, j’ai une proposition qui est très précise sur les procédures d’octroi de titres, beaucoup plus efficace. Plus largement, sur les violences faites aux femmes, quand on a fait la Grande Marche, à l’été dernier, c’est le sujet qui est le plus ressorti : 80% des femmes évoquées, et on sait les statistiques, 100% des femmes peuvent le subir. Face à cela, il y a plusieurs réponses. Il y en a qui sont culturelles, d’autres qui sont organisationnelles. Quand on accepte des situations même insidieuses du quotidien, tous, les uns et les autres, on laisse l’humiliation, les comportements de violence ou de harcèlement - c’est un type de violence faite aux femmes, parce que, dans les transports, c’est ça la réalité - se faire. Quand on accepte de baisser les yeux, de ne pas dire, de ne pas voir, de ne pas avoir là un discours de vérité dont on est tous co-responsables, on cède. La deuxième chose, c’est la généralisation de l’appel d’urgence, c’est la possibilité de donner à toute femme… On a déjà amélioré les choses, en particulier durant ce quinquennat, des avancées législatives concrètes ont été prises. Il faut maintenant les faire vivre et les développer. Mais la possibilité et la généralisation du numéro vert de l’appel d’urgence, elle est fondamentale parce qu’elle conduit à faire parler. Elle conduit à donner une réponse concrète, un interlocuteur, et à sortir des femmes qui sont dans situations de violence. J’ai été visiter plusieurs foyers, en particulier de femmes qui subissent ces violence ou ce harcèlement. Celles qui sont le plus marquées, ce ne sont pas forcément celles qui ont subi les coups, ce sont celles qui ont subi des humiliations pendant parfois des années ou des décennies et qui s’y étaient habituées.

V.R. : Est-ce que vous connaissez, sans faire de généralités, surtout dans le contexte actuel, l’accueil qui est réservé souvent, très souvent, aux femmes victimes de violence, dans les commissariats ? Est-ce que vous ne pensez pas - sans jeter l’opprobre sur les policiers, ce n’est vraiment pas le but de cette question - est-ce qu’il ne faudrait pas imaginer que les policiers, que vous voulez engager en plus grand nombre - est-ce que ce n’est pas le nombre qui va compter mais la formation qu’ils auront - et que dans cette formation, soit intégré, par exemple, un module de psychologie d’accueil des femmes? Parce que, chez Causette, on sait que les femmes sont très mal accueillies dans les commissariats… quand on ne leur demande pas gentiment de reprendre la porte, parce qu’elles viennent là pour embêter leur mari. En gros, c’est le discours qu’elles entendent.

E.M. : En même temps, quand on regarde les chiffres, des mains courantes, on a, dans beaucoup de quartiers difficiles une très large majorité des mains courantes qui sont des violences conjugales. Donc il y a une intervention des forces de police. Je ne ferai pas non plus de généralités. De manière plus large, il y a un sujet de formation des forces de l’ordre.

V.R. : Je parle de la formation. Et de l’accueil.

E.M. : Il y a un sujet de formation, qui, d’ailleurs, pour les plus jeunes, dans le contexte actuel qu’on connaît, est un vrai sujet, et un vrai sujet de défi. Donc à ça, je suis totalement favorable. Mais c’est un sujet culturel, plus largement. C’est que, pendant longtemps, on n’en a pas parlé. Donc, là, c’est en effet la formation des forces de l’ordre, c’est, dans le discours public, d’en parler, c’est le travail journalistique qui dénonce, dans certains milieux, ces pratiques. C’est bien ce qu’a fait un journaliste comme GRAZIANI, dans le milieu politique. Je pense que c’est un élément de salubrité publique, parce qu’il fait partie de ces journalistes qui ont dénoncé des pratiques sur lesquelles on ne disait rien parce qu’il y avait une omerta, parce qu’on considérait qu’on n’en parlait pas, que c’était un usage, mais qui naît de quoi ? D’un entre-soi. On normalise ces choses-là quand un entre-soi se crée et qu’en quelque sorte, on dit “c’est un problème mineur”, parce qu’autour de la table, il n’y a pas des gens qui disent “non c’est un problème qui XXX”.

V.R. : Donc Emmanuel Macron, on est d’accord : les policiers, si vous étiez élu président de la République, seraient formés ?

E.M. : Oui. Et je vais vous dire, je pense que la formation...

V.R. : A l’accueil des victimes de violences….

E.M. : Oui, ils seraient formés à l’accueil des victimes, à l’intervention sur le terrain aussi d’une autre manière, parce qu’il y a un sujet comportemental, plus largement. Un jeune agent de police aujourd’hui, il n’est pas formé sur le terrain pour pouvoir intervenir dans des milieux difficiles de manière idoine. D’ailleurs, on a réduit la formation des policiers. C’est pour ça que, honnêtement, ma position à leur endroit est une position de défense par principe, parce qu'ils sont les garants de l’autorité de l’Etat et de la violence légitime, comme on dit philosophiquement, mais, en même temps, d’une très grande exigence, parce que s’il n’y a pas d’autorité dans l’Etat, il n’y a pas d’autorité de l’Etat.

V.R. : Vous ne voulez pas les payer plus ? C’est comme les profs ?

E.M. : On peut décider de...

V.R. : Je sais bien qu’elle est naïve, ma question, mais la valorisation d’un emploi par le salaire, il peut être conséquent, et sur les années passées à apprendre.

E.M. : Vous avez raison, mais vous pouvez - ça, c’est mon choix - payer plus, c’est d’ailleurs la même chose que je propose pour les enseignants, ceux qui interviennent dans des conditions difficiles, dans les quartiers les plus difficiles, ça c’est vrai. Mais vous devez les former différemment. On a réduit leur formation.

V.R. : Exiger un bac plus six par exemple...

E.M. : Non parce que là, vous créez des barrières à l’entrée qui ne correspondent pas…

V.R. : Bah oui !

E.M. Oui ! Mais ce n’est pas simplement ça, parce que vous avez des gens qui n’ont pas un bac plus six et qui sont de très bons agents de police, mais c’est un ensemble qui est plus concret et plus complexe. Par contre, l’engagement que je prends aussi, c’est de rouvrir deux écoles de formation, parce qu’on en a fermé beaucoup trop, et on a aujourd’hui un problème de formation de nos agents. Cela fait partie des engagements que je prends : ouvrir une école de mille et une école de cinq cents. Il y a un autre sujet dont je serais chagrin qu’on ne parle pas, justement, ces problèmes de violence faite aux femmes, de harcèlement, qui est le cas des adolescentes et des enfants. Parce que, quand on regarde les choses, ça commence, aujourd’hui, dès l’école et ça commence aussi par Internet. Et ça, c’est plus insidieux, mais c’est ce qui conduit à des suicides, à des tentatives de suicide, à des traumatismes, à des choses qu’on ne dit pas. Et ça, ça ne se voit pas forcément. Et donc, c’est aussi pour ça que c’est important d’en parler et que c’est important d’en parler publiquement, de souligner l’importance, pour les parents, de suivre ce sujet et d’être vigilants pour regarder, quand leurs enfants sont sur les réseaux sociaux, ce qu’il il y a sur leur page Facebook, ce qu’il y a dans leurs échanges. Parce qu’il y a, aujourd’hui, du harcèlement, comme il y en avait, comme il y en a encore dans la cour de récréation, mais qui se fait sur la page Facebook, avec une violence extraordinaire. C’est d’avoir un vrai droit à l’oubli et à l’effacement lorsque, justement, des choses sont marquées et collent à des jeunes adolescentes et les traumatisent. C’est d’avoir de la sensibilisation à l’école, parce qu’aujourd’hui, l’école, c’est un continuum.

V.R. : Ce n’est pas déjà le cas, un petit peu, quand même ?

E.M. : Pas tant que ça. Regardez les problèmes qu’on a. Il y a des enseignants qui le font. Il y a des écoles où c’est le cas. On ne le dit pas, aussi, assez.

E.E : Vous disiez que c’est un sujet qu’il faut remettre sur la place publique. Là, je ne parle pas de violence, je parle de harcèlement. On l’a vu l’année dernière, avec les nombreuses affaires. Quand les députés ne votent pas l'inéligibilité pour, justement, les représentants qui sont condamnés pour violence ou pour agression sexuelle. Comment voulez-vous, après, que dans le débat public, on dise “non ce n’est pas normal de harceler”, alors que nos représentants, nos élus peuvent harceler, peuvent ensuite être condamnés et peuvent continuer à exercer leurs fonctions ?

E.M. : Là-dessus vous savez, cela relève plus largement des questions de probité dans la vie publique. Moi, j’ai pris ce critère : pour les investitures données à celles et ceux qui auront l’étiquette d’En Marche! à porter aux élections, je l’ai dit, personne ne sera investi, qui a un casier judiciaire B2. Les infractions dont vous parlez sont inscrites au casier judiciaire dans la catégorie B2. Donc ces personnes-là ne pourront pas être investies dans En Marche!. C’est ce qu’il fallait qu’on fasse, plus généralement, parce que c’est un élément de crédibilité. Mais c’est nécessaire, parce que vous ne pouvez pas expliquer... Ce que vous dites là, c’est sur le sujet dont on parle mais ça vaut pour tout, allez expliquer aux gens que la délinquance financière, c’est grave, qu’on va aller les massacrer etc., si derrière, vous pouvez vous faire condamner et continuer à être élu député.

V.R. : Je vous invite, pardon, et ce n’est pas du tout pour faire la promo du magazine, mais un petit peu quand même...Le prochain numéro, on va faire une grand enquête sur le sexisme en politique après l’affaire, entre guillemets, “Baupin”, où on avait vu que non seulement ça perdure, mais on va produire la carte de tous les élus qui, en France, ont été condamnés pour agression sexuelle ou harcèlement … depuis l’affaire Baupin. Et on a de quoi la remplir. Donc je crois que la France va manquer d’élus bien vite.

E.M. : Mais nous sommes là pour le renouvellement ! Pour tenir plus de critères, comme je l’ai évoqué, comme nous, on porte un renouvellement avec 50% de femmes et une vraie parité.

V.R. : Ce n’est pas un épiphénomène!

E.M. : Non, non. Mais ça, ce dont on parle là, on l’évoquait tout à l’heure sur d’autres sujets, c’est le fruit d’un entre-soi. Comment on peut arriver à des pratiques de ce type-là? Comment on peut arriver, et c’est le débat public qu’on a sur un autre sujet que je ne commenterai pas, mais qui est les pratiques de népotisme? Parce que c’est l’entre-soi, parce qu’on s’habitue. Si vous aviez une vraie parité…

V.R. : Alors arrêtez, parce que je ne voulais pas vous la poser… Mais vraiment… Est-ce que jamais votre épouse ne va travailler pour votre mouvement, dans votre gouvernement? Ou n’a-t-elle jamais travaillé pour votre mouvement?

E.M. : Non, elle n’a jamais travaillé. Il se trouve qu’elle a fait un choix. C’est ce que j’ai dit, d’ailleurs, quand j’ai fait un appel aux candidatures féminines. Moi, j’ai de la chance, mon épouse, elle a arrêté de travailler pour accompagner l’aventure que je mène aujourd’hui. Et jamais en étant rémunéré parce que ce n’est pas possible.

V.R. : Même pas un petit salaire?

E.M. : Jamais rien, non jamais.

V.R. : Une petite faveur? Un petit chauffeur ?

E.M. : Elle n’est pas rémunérée, elle n’a jamais été rémunérée, ni par le ministère...

V.R. : Ses habits ne sont pas remboursés?

E.M. : Ses habits ne sont pas remboursés par le ministère. Pas plus que les miens. Ni par le ministère, ni par le mouvement. Donc là-dessus… Et elle n’est pas payée. Non, mais je dis ça parce que l’engagement politique, c’est quelque chose qui suppose l’engagement de l’autre. Et c’est aussi d’ailleurs le problème, puisqu’on parlait, en creux, de la parité en politique. C’est un problème qui fait que beaucoup de femmes ne s’engagent pas. Quand j’ai dit “on va faire la parité, on va présenter 50% de femmes”, d’abord, je l’ai fait dans le mouvement et donc j’ai fait ce que les autres partis politiques ne font pas. Quand vous regardez les premiers fédéraux ou les structures exécutives des partis, 80 à 90% sont des hommes. Après, c’est un peu moins, parce qu’il y a des pénalités pour les députés, mais on met généralement les femmes sur les circonscriptions ingagnables et on paie quand même des pénalités. Moi, j’ai dit “je veux 50% de référents départementaux femmes”. On y a réussi mais ça a été une bataille. Et là, j’ai ensuite fait un appel à la candidature en disant, “voilà c’est ouvert, je veux 50% de femmes”. Dix jours après, j’avais 15% de candidatures féminines. 15%. Et là, j’ai dit “on va faire comme les autres et il y a un problème”. Et donc j’ai regardé, à travers des déplacements que j’ai faits etc., pour connaître le mouvement, il y a des femmes - vous connaissez peut-être Marlène SCHIAPPA qui est ma référente dans la Sarthe. Je vois ce qu’elle fait, elle est très engagée, c’est quelqu’un, en plus, qui est très inspirant pour beaucoup, elle ne voulait pas être candidate. Une autre, Laetitia AVIA, elle est référente dans les Yvelines, elle ne voulait pas être candidate. J’ai dit “mais pourquoi”? Il y a une forme d’autocensure, “oui mais moi, je n’y arriverai pas avec la vie familiale, etc.”.

V.R. : Ce qui explique pourquoi, dans votre équipe de campagne rapprochée, - je commence à comprendre, en fait c’est pour ça -, il n’y a que des hommes.

E.M. : Non c’est faux, ça.

V.R. : Oh il y en a beaucoup, pardon. Dans la garde rapprochée, il y a beaucoup d’hommes.

E.M. : Mais il n’y a pas que des hommes. Non il y a un vrai truc...

V.A. : Est-ce qu’il y a une parité?

V.R. : Il n’y a pas la parité.

E.M. : Non, dans les référents départementaux...

V.R. : Et en plus beaucoup, pardon, sortent vraiment du haut du panier, qui est un très beau panier, au demeurant.

E.M. : Mais ça, c’est faux. Le vrai truc, le vrai problème que vous avez, c’est que les médias ne regardent que les hommes. Ca, c’est autre chose. C’est que quand vous faites du renouvellement politique - moi, j’ai dit “on fait moitié société politique, moitié société civile” -, les médias n’invitent jamais les gens de la société civile sur leurs plateaux. Ils n’invitent que les politiques.Toujours les mêmes. Ils disent “nous on ne la connaît pas, on ne l’aime pas”. Ensuite, vous pouvez dire ce que vous voulez...

V.R. : Oh non vous n’allez pas encore taper sur les médias, comme tout monde, c’est la mode.

E.M. : Non, Non...

C.A. : Pas ici, en tout cas.

E.M. : Non, non je ne fais pas ça sur les médias ou autre. J’invite à regarder. Le regard détermine aussi les choses. Les gens veulent toujours les mêmes. Après, dans mon équipe rapprochée, je n’ai pas la parité. J’ai des femmes. D’ailleurs qui m’accompagne ici? Vous avez trois femmes de mon équipe rapprochée.

V.R. : Oui, ce soir.

E.M. : Non simplement, non simplement, c’est intéressant. Vous regardez mon équipe. Vous regardez mon équipe presse. Le journal que vous citiez qui a vu mon équipe rapprochée. Ils sont deux, il y un homme et une femme. Eh bien, il n’a pris que le mec, il n’a cité que l’homme.

V.R. : En vrai, Emmanuel Macron, dans votre équipe rapprochée, pardon parce que je les ai comptés un par un...Et je ne vais pas citer de noms parce que cela serait ridicule de jeter l'opprobre sur des hommes parce qu’ils sont des hommes. On n’en est pas là, quand même. Mais il y a quand même une grande majorité d’hommes, largement issus des bancs d’HEC, des cabinets ministériels, pas vraiment anti-système.

E.M. : D’abord, celles et ceux qui ont le plus de responsabilités viennent soit de collectivités locales soit d’autres choses. Donc c’est faux, il y a une vraie diversité. Il n’y a pas la parité dans l’équipe de direction. Non, mais attendez...

C.A. : Comment comptez-vous l’imposer dans la société si, déjà, vous ne pouvez pas l’imposer dans votre propre mouvement?

E.M. : Mais attendez, parce que, déjà, c’est la même chose que dans une entreprise. Pourquoi je ne suis pas pour la parité… enfin, je pense qu’on ne peut pas faire une loi pour dire parité, par exemple, dans les conseils d’administration, pas les conseils d'administration mais la direction, le management d’une entreprise. Parce que vous devez être préparé. Parce qu’aujourd’hui, moi, j’arrive, je crée mon mouvement en avril dernier. Je n’ai pas de structure. Avec quoi j’arrive? Avec la société civile - les gens qui sont prêts à se mobiliser - et avec la société politique qui me suit. La société politique, elle est mâle. Ce sont des mâles blancs de plus de cinquante ans. Là vous avez raison, cette partie-là de mon équipe, elle est déterminée par l’existant. Donc j’ai plutôt des hommes. J’ai plusieurs femmes qui me suivent. J’ai Sylvie GOULARD, j’ai… Madame BARBAROUX, bravo. Donc il y a plusieurs femmes qui me suivent et dès le début… Mon conseil d’administration, il est paritaire. Donc j’ai des femmes qui me suivent. Mais j’ai une surreprésentation d’hommes, parce la société politique est ainsi. Et ensuite, le mouvement, côté société civile, que je fais émerger, je le structure. Et donc la première étape, c’est de faire ce que j’ai fait, de dire déjà, dans mon encadrement intermédiaire, “je veux faire émerger autant de femmes que d’hommes, 50%”. Et parmi elles, j’espère en faire monter, qui justement ainsi pourront rejoindre l’équipe de tête. C’est ça, la clé. Et donc la clé, c’est dans les structures, dans les listes d’aptitude, dans votre encadrement intermédiaire, de faire monter les choses. Donc moi, je suis dans un travail de rééquilibrage, mais ça n’existe pas de jour au lendemain.

C.A. : Mais vous, quand vous… J’allais dire quand vous… si vous êtes élu plutôt…(rires). Je suis optimiste pour vous! Si vous êtes élu, si vous êtes président, comment vous imposeriez cette parité? Qu’est-ce que vous feriez pour que, dans les entreprises, en politique aussi d’ailleurs, les femmes soient plus présentes?

E.M. : En entreprise, pour que les femmes soient plus présentes… D’abord la loi COPE- ZIMMERMANN a eu un impact. Elle a permis d’améliorer les choses et d’améliorer cette représentation. Et le travail doit continuer en nommant plus, justement, d’administratrices féminines. Pourquoi ça marche? Parce que vous avez un vivier qui est large. Et là, il y avait une insuffisante reconnaissance. Après, le sujet, il est dans les équipes de direction, où là, elles sont largement sous-féminisées. Est-ce qu’il faut prendre une loi qui impose la parité? Je suis très sceptique sur le sujet. Pourquoi? Parce que la clé, c’est de faire émerger des femmes, d’abord, dans tous les niveaux pour qu’il y ait justement une montée en capacité.

CA : Mais elles font des études. Elles sont souvent meilleures que les garçons.

E.M. : C’est le point qu’on évoquait tout à l’heure.

C.A. : Elles se heurtent à un plafond de verre…

E.M. : Là-dessus, je suis favorable à quoi? Un, mettre dans les discussions des conseils d’administration et dans les documents de RSE, tous les sujets de parité, les listes d’aptitude qui sont mises pour toutes les promotions et, justement, la proportion d’hommes et de femmes sur tous les postes d’encadrement supérieur et intermédiaire. Et côté fonction publique, je l’ai dit, en particulier sur les nominations culturelles, mais pour toutes les nominations, d’avoir des listes paritaires. Parce que vous arriverez à ce qu’il y ait plus de femmes qui soient dirigeantes d’entreprise ou dans le top management, si vous faites émerger plus de femmes, progressivement. La difficulté, c’est quand, aujourd’hui, la pyramide a été complètement dépeuplée sur le bas et les catégories intermédiaires. Si vous dites “parité” ou si vous donnez un objectif à court terme sur le top management, vous allez tout déséquilibrer. Vous allez faire des promotions qui vont, d’ailleurs, mettre en fragilité la position des femmes, parce que ce sera fait sur une base totalement artificielle. Alors que la clé qui permet, d’ailleurs, de régler aussi et qui est complémentaire sur l’inégalité salariale, c’est de s’assurer que l’entreprise, comme l’Etat, pour eux-mêmes, ont une promotion équilibrée de leurs cadres. Dans la plupart des entreprises - ça dépend des secteurs, on le sait bien, parce qu’il y a des secteurs qui sont plus féminisés que d’autres et inversement -, on a autant de femmes actives. Parce qu’on a un taux de participation au marché du travail des femmes, on pourra y revenir, qui est, en France, plutôt bon. Je pense qu’on peut l’améliorer, il y a quelques points, on peut discuter là-dessus. Mais la clé, c’est de s’assurer qu’on ait des politiques de promotion équilibrées. Et donc que quand on propose une promotion, il y ait, à chaque fois, la possibilité entre un homme et une femme. Quand on ne vous propose que deux hommes, de dire, “ça, ce n’est pas conforme à l’intérêt de l’entreprise.”

C.A. : Donc pas de quotas ?

E.M. : Je suis très sceptique sur les quotas là-dessus. Je ne suis pas un engagé farouche des quotas, sur ce sujet. Par contre je pense, que, un, c’est la responsabilité sociale du conseil d’administration, parce que c’est bon pour l’entreprise, pour son fonctionnement économique, pour sa capacité à créer de la valeur...

Parce que quand vous ne faites pas de la parité, vous décidez, dans l’entreprise, de ne pas utiliser tous les talents. Vous décidez de ne pas utiliser l’énergie de l’entreprise, et de la garder, là aussi, dans un entre-soi, dans un truc à peu près donné, donc vous avez moins d’innovation. Pourquoi, moi, je cherche et je continue à mettre des femmes dans mon équipe de direction?

V.R: Vous adoriez votre grand-mère ???

EM: Ca, c’est vrai. Non, parce que ça change les équilibres. Parce que sinon, objectivement, vous mettez...

V.R.: vous n’en avez pas assez, Monsieur Macron.

E.M.: J’en ai pas assez, je sais bien.

V.R.: Donc, vous reviendrez quand vous en aurez assez.

E.M.: Mais proposez-en moi. Je continue à recruter, mais simplement, dans une réunion, s’il n’y a que des hommes, c’est assez conformiste. Je peux vous donner le résultat de la réunion.

V.R.: On le voit bien que vous êtes convaincu.

E.M.: Après, quand vous avez une femme, c’est assez, j’allais dire drôle, mais non ça ne l’est pas, généralement les hommes ne l’écoutent pas. Non, mais c’est vrai. Je voyais Christine LAGARDE, d’ailleurs, qui faisait cette réflexion, l’autre jour, en disant “ils sortent leur téléphone”, en parlant d’elle, dans un conseil d’administration, et c’est Christine LAGARDE. Moi, je l’ai vu plein de fois, que ce soit en politique ou autre, l’attitude, c’est prodigieux. Quand vous en avez deux, trois, ça commence à aller. Quand vous commencez à avoir quelque chose d’équilibré, là, c’est autre chose. Parce que les indignations ne sont pas les mêmes. Parce que le regard sur les choses n’est plus le même. Parce que des pratiques, qui sont inexplicables au grand public… Si on est entre soi, c’est vrai pour les hommes comme pour les femmes... quand on est dans l’entre-soi, on s’habitue à des choses.

V.R.: Pas du tout!

EM: Si. Mais moi, je vais vous dire, je suis féministe résolu, parce que je pense que c’est bon pour la société, que c’est bon pour mon pays, mais aussi parce que je sais que si je ne le suis pas, les femmes finiront par nous déborder, totalement, et feront ce que vous êtes en train de dire, c’est-à-dire décideront d’un entre-soi qui, à un moment, prend le pouvoir. Je plaisante. Mais pour finir, pourquoi je ne crois pas aux quotas? Parce que je pense vraiment que c’est l’intérêt social de l’entreprise et parce que je pense, aussi, que ça relève de la responsabilité sociale.

V.R.: Oui mais alors, je vais faire la naïve avant tout, mais du coup, je n’ai pas totalement compris comment vous alliez convaincre un dirigeant d’entreprise mâle, d’un coup, de se dire: “ah mais oui, tiens, ce serait bien pour mon entreprise”, sachant qu’ils ne le font pas depuis cinquante ans.

E.M.: D’abord, je pense que c’est un peu en train de changer, ensuite, je le fais en imposant le dialogue sur le document de RSE, et surtout en sensibilisant les boards. Je pense que c’est là où je crois en la puissance de la loi COPE-ZIMMERMANN, pour cette taille d’entreprise, parce que c’est vrai que ça ne touche pas toutes les entreprises, mais c’est que, quand vous avez une certaine représentativité des femmes au board, elles soulèvent des sujets différemment. Donc responsabilité sociale et environnementale, et positions au board, et après, moi, je pense que l’Etat, sur ce sujet, doit être exemplaire, et donc c’est des listes paritaires d’aptitude, sur toutes les promotions.

Question: Excusez-moi, donc au final, vous êtes toujours à 15% de femmes candidates sur les listes ?

E.M.: Non, non on a augmenté beaucoup.

Question: Et comment ?

E.M.: J’ai fait un appel, où j’ai dit cela.

Question: “Arrêtez l’autocensure“ ? Et ça a marché ?

E.M.: Parlez-en en famille, parce que la question que vous vous posez, je ne suis pas sûr que votre mari se la pose, ou votre compagnon, ou votre copine, ou votre femme, même si, en l’espèce, les comportements du couple sont moins normés, et c’est moins vrai. Et donc, dans les jours et les semaines qui ont suivi, on a doublé, en proportion, donc on doit être entre 30 et 35%, aujourd’hui, de candidatures féminines.

Question: Et donc vous risquez de payer des amendes si vous n’êtes pas à 50% ?

E.M.: Non parce que ça, ce sont les candidatures, mais j’en ai plus de 2000, des candidatures, donc dedans, j’aurai la moitié.

V.R.: Alors Mireille BRUYERE, qu’on a peu ou pas assez entendue.

M.B.: Oui, je voulais revenir, en fait, je suis assez d’accord sur ce que vous dites, je ne sais pas si le micro marche, par rapport, effectivement, à la place des femmes et le fait que quand il y a des femmes dans un conseil d’administration, les problèmes ne sont pas posés de la même manière. Alors je voudrais, justement, revenir, en tant qu’économiste aussi, sur une proposition que vous faites, et que vous avez déjà présentée, de laisser à la négociation de branche, le plus possible, d’établir les règles, d’éviter que la loi - il y aurait un certain nombre de principes généraux, mais la loi ne viendrait pas intervenir, ou le moins possible, dans les branches. La remarque que je me fais, c’est que cela vient, à mon avis, en contradiction avec la lutte contre les inégalités hommes-femmes. Parce qu’on sait qu’en fait, les emplois sont très sectorisés entre les hommes et les femmes, les femmes sont dans des secteurs tertiaires, en particulier du soin, qui ont des salaires, à qualification égale, je parle, là, qui ont des salaires moindres, par rapport à des secteurs qui sont masculins, qui sont les secteurs industriels, l’énergie, la métallurgie, qui ont, à qualification égale, des salaires beaucoup plus élevés. Donc en laissant les négociations collectives décider le plus possible de manière autonome, on risque d’approfondir les inégalités hommes-femmes. J’ai envie de vous poser une deuxième question, qui va avec celle-là, parce qu’il me semble qu’il y a une contradiction avec une posture générale de la place des femmes que je partage, et la mise en oeuvre concrète en termes de politique économique. C’est à dire quand on laisse finalement plus les accords d’entreprises dans les conventions collectives, on sait qu’on augmente plutôt les inégalités en particulier sectorielles, donc ça c’est la première question et j’ai envie de vous dire est-ce que ça ne serait pas aussi à chercher, pas simplement de faire que les femmes deviennent femmes d’entreprise, pourquoi pas, mais aussi peut-être de valoriser les métiers qui sont choisis par les femmes, qui sont les métiers du soin ou du care, en termes salariaux et ça, c’est une décision politique, ce n’est pas une décision dans les branches qu’on peut prendre. Donc j’ai envie de dire: si les femmes choisissent ces métiers-là c’est aussi peut-être que c’est une vision de la société différente autour du lien, autour de la solidarité, et du coup, comment on fait pour valoriser ça, en termes salariaux?

E.M.: Alors vous avez raison là-dessus, d’ailleurs ce n’est pas vrai uniquement pour les professions à faible ou moyenne qualification mais aussi à plus haute qualification. Les femmes sont sur-représentées dans les professions médicales, dans les professions de magistrates, et donc avec une autre réalité salariale. Mais vous ne pouvez pas le faire par la loi, moi, je veux bien mais il n’y a aucune loi qui va dire “je vais augmenter, par la loi, les salaires dans les professions du care” ça n’existe pas. Vous ne le faites pas aujourd’hui. Et d’ailleurs, les inégalités réelles qui existent, on a beaucoup parlé du travail de nuit, et des compensations travail de nuit, travail le dimanche. Le travail de nuit existe dans les services, comme dans l’industrie. Vous avez raison de dire que les femmes sont plus représentées dans les métiers de service. La réalité c’est que compte tenu des conventions, aujourd’hui - mais c’est le système actuel ce n’est pas une réforme que je porte -, il y a beaucoup plus de compensations dans l’industriel, plus masculin, que dans le service. Mais ce n’est pas par la loi que vous allez revenir là-dessus. Il faut m’expliquer comment vous pouvez prendre une loi qui va dire: “je vais revaloriser les salaires de toutes les du care”. Ca n’existe pas. Ou alors il faut tout nationaliser, vous ne pouvez pas le faire. Parce que ces professions, elles dépendent de la logique économique dans laquelle elles sont plongées, du débat, justement, salarial qui d’ores et déjà n’est pas fixé par la loi. Donc ce que vous décrivez, qui est une réalité, ne dépend et n’est absolument pas corrélé à la réforme que je porte, il est la réalité de notre société avec un système qui est déterminé par la loi. Ce que je dis, moi, c’est qu'aujourd'hui, on a, sur le plan de l’organisation de l’entreprise, sur le plan de l’organisation du droit du travail, considéré que tout peut se régler par la loi et on a donné très peu de place au dialogue, que ce soit le dialogue d’entreprise ou de branche. Moi, je suis pour maintenir des principes fondamentaux dans la loi, dont l’égalité hommes-femmes et l’égalité salariale. Je ne le modifie pas, je l’ai dit. Et de renvoyer la possibilité à des accords majoritaires de branche ou d’entreprise d’améliorer les choses. Et le pari que je fais, c’est que ce que vous dites, qui est tout à fait juste, mais que la loi ne me permet pas davantage de régler, se réglera par une plus grande force des syndicats et un dialogue social ravivé. Parce que ce que vous décrivez, c’est simplement la faiblesse du dialogue social dans ces métiers du care. La réalité, c’est que, compte tenu de notre histoire, et de la structuration de notre tissu syndical, eh bien nous avons des organisations syndicales beaucoup plus fortes, beaucoup plus structurées, beaucoup plus matures dans les secteurs industriels. Et donc oui, elles ont négocié d’autres compensations, une dynamique salariale qui est autre. Et c’est vrai que ces métiers du soin, où les femmes sont plus présentes, ce sont des métiers qui sont parfois plus récents, et où les branches sont structurées moins bien, où le dialogue social est généralement imparfait, en tout cas beaucoup moins structuré que dans l’industrie, elles ont beaucoup moins négocié ces protections. On a eu ce fameux débat sur le travail du dimanche - seront d’ailleurs touchés des hommes et des femmes. Moi, j’ai fait le pari du dialogue social, ce n’est pas une libéralisation à tout crin, ce qu’on a fait, puisqu’on a dit: pas d’accord pas d’ouverture, et c’est l’accord qui définit ces règles de compensations.

V.R.: Oui, mais en vrai, j’avais très envie de vous poser une question sur le travail du dimanche Monsieur Macron. On sait que, parmi les employés du commerce, 80% sont des femmes. On sait que 56% des salariés qui travaillent le dimanche sont des femmes.

E.M.: Oui, donc vous voyez bien que c’est pas tant déformé que ça.

V.R.: Non, mais en vrai, on ne leur laisse pas forcément le choix de travailler le dimanche ou pas, et ça veut dire quoi, ce n’est pas vrai: certains patrons, il y a moults exemples, ne laissent pas le choix à la salariée, si elle ne veut pas, c’est tant pis pour elle, à un moment donné, elle a un CDD ou elle a même un temps partiel, elle n’aura pas forcément le choix. Donc, en gros, elle va travailler le dimanche et tant pis si elle a, à sa charge, un ou plusieurs enfants, tant pis si tout son salaire, il va partir dans le financement, si elle peut encore, de la baby-sitter, parce que c’est loin d’être le cas de toutes les femmes, et en fait, elle va tout autant perdre de temps passé auprès de ses enfants, si elle peut s’en occuper. Donc en fait, en gros, le travail du dimanche pour les femmes, pardon mais, a priori, c’est plutôt un recul.

E.M.: Mais vous avez quand même une représentation sociale - c’est autant pour les femmes que pour les hommes.

V.R.: Oui, donc on arrête le travail du dimanche.

E.M.: Non, mais attendez, j’ai envie d’aller au bout de ce sujet qui est un sujet important. D’abord, ça travaille le dimanche comme aurait dit Lacan. Il y a un tiers des Français qui travaillent le dimanche, de manière occasionnelle ou régulière donc pardon de vous le dire, mais on peut se faire plaisir, ça travaille le dimanche. Celles et ceux qui donnent des leçons là-dessus en s’offusquant, ils ne s’offusquent pas d’avoir des transports, d’avoir de l’hôpital, d’avoir des musées ouverts, d’avoir des commerces …

V.R. : Ce n’est pas la même chose, ce n’est pas la même chose …

E.M. : Mais d’avoir des commerces de bouche. Parce que moi, je suis sûr que le dimanche matin, vous allez acheter votre poulet ou vous allez acheter des trucs. Mais c’est la même chose, c’est des gens qui travaillent. Mais attendez, les commerces alimentaires ouverts le dimanche, ce n’est pas ça ? Quelle est la réalité…

V.R. : Non, mais les commerces alimentaires, justement, ce n’est pas la même chose que des transports en commun.

E.M. : Mais ce n’est pas moi qui les ai bougés, les commerces alimentaires, ça a toujours existé. Parce que quand vous êtes, en particulier, dans des zones urbaines, que vous travaillez toute la semaine, samedi compris, que vous rentrez ¨trop tard le soir, vous ne pouvez faire vos courses, parfois, que le dimanche matin, c’est ça, la réalité. Dans les zones touristiques, les gens travaillent le dimanche …

V.R. : Mais vous savez que certaines femmes n’ont pas le choix ?

E.M. : Et certains hommes non plus.

V.R. : Donc revenons à ces femmes qui travaillent le dimanche.

E.M. : Non mais attendez, je vous dis d’abord de quelle société on parle, parce que c’est sympa, les débats théoriques, mais dans quelle société on est ? Le travail du dimanche, ça travaille le dimanche, premier point. Et ça travaille avec beaucoup d’inégalités dont personne n’a jamais parlé. C’est-à-dire que dans toutes les villes touristiques de France - au moment où j’ai pris la loi, il y avait plus de 400 zones touristiques de France - il n’y a aucune compensation, personne ne s’est posé la question de savoir... Ces femmes qui ont des petits magasins dans les zones touristiques ou qui sont salariées d’un magasin de chaussures ou de vêtements, qui depuis des années travaillent, elles n’ont là aucune compensation, aucun droit, il n’y a pas de convention sociale, ça, ça n’emmerde personne, c’est normal, c’est formidable. On donne des leçons à tout le monde mais là, vous vous débrouillez. C’était ça, c’était très injuste, pardon de vous le dire. Et à côté de ça, il y a des gens qui avaient envie de travailler le dimanche parce que c’était pertinent, qu’ils pouvaient gagner plus et qui étaient bloqués. Donc ça travaille déjà et c’est très injuste. Deuxième point, ça consomme le dimanche, ça consomme. 50% du chiffre d’affaires des grands sites internet, ils sont faits le samedi soir et le dimanche. Et de celles et ceux qui vont fermer - sinon leurs concurrents physiques. Donc je veux bien, mais réfléchissez à vos comportements de consommateur. Vous faites quoi, après ? Et eux, ils ne créent pas d’emploi, là, ce n’est pas du tout d’emploi, d’accord ? C’est des vraies inégalités, c’est-à-dire qu’on va préférer des plateformes qui ne payent pas leurs impôts en France, qui ne créent pas d’emploi en France parce qu’elles sont ouvertes le dimanche et que, malgré tout, ça consomme le dimanche. Donc, je dis juste, donnons de la flexibilité efficace et juste et essayons d’ouvrir des portes avec des règles. Qu’est-ce que, moi, j’ai proposé ? J’ai dit, “je donne la possibilité aux maires, non plus de prendre cinq dimanches par an mais douze”. C’est le maire, il sait l’arrêté de sa ville. Alain JUPPE, à Bordeaux, il a classé quasiment tout Bordeaux en zone touristique pour pouvoir ouvrir tous les dimanches. Il a essayé, il a dit “c’est trop”, il est revenu à un dimanche par mois parce que, dans une grande ville de province, un dimanche par mois, c’est ce qu’il vous faut. Vous ouvrez, là, tous les magasins du centre-ville, les gens circulent, ils peuvent aller consommer, les gens sont contents, il y a des accords salariaux, les gens sont mieux payés, ils sont généralement payés le double. Donc là, il y a des vrais accords parce que c’est une avancée,douze…

V.R. : Oui mais ils ne vont pas forcément avoir le choix.

E.M. : Je vais vous dire, moi, ce que j’ai fait mais je vous donne déjà la réalité. Donc j’ai porté de cinq à douze dimanches les journées du maire. Si le maire veut en ouvrir deux parce que, dans sa commune, ça n’a pas de sens, ou zéro, il le fait, il le fait. Pour ce travail-là, comme pour tous les autres, j’ai mis, dans la loi, le principe du volontariat, je l’ai mis dans la loi. Alors vous pouvez me dire, ce qui est tout à fait vrai, il y a des situations où vous n’avez pas le choix, où on vous fait pression, et c’est vrai, et c’est là où il y a un droit du travail, ou malgré tout, comme vous l’avez mis dans la loi, si une employée ou un employé, est pris dans un contentieux et dit “Moi, je n’ai pas eu le choix, on ne m’a pas … je n’ai pas formalisé mon consentement”...

V.R. : Oui, elle pourra se plaindre mais … le mois suivant, on ne l’embauchera pas.

E.M. : Non, pardon de vous le dire, elle fait un contentieux aux Prud’hommes, ce qui peut arrêter beaucoup de patrons.

V.R. : Mais si j’ai une famille à nourrir derrière... Aller face aux Prud’hommes, elle ne va pas prendre ce risque.

E.M. : Non mais attendez, ok, c’est dans la loi, je ne vous dis pas que c’est parfait mais ça y est. La deuxième chose que j’ai faite, c’est que j’ai dit à ces zones touristiques nationales, “on peut ouvrir le dimanche, dans ces zones où c’est pertinent, s’il y a un accord”, et partout, la règle que j’ai donnée, en zone touristique ou zone touristique internationale, c’est de dire “s’il n’y a pas d’accord, il n’y a pas d’ouverture”. Personne n’avait fait ça. D’ailleurs, on avait, c’est pour ça que je faisais la comparaison, le même débat avec celles et ceux qui étaient contre, ils disaient “nous, on veut bien mais il faut mettre dans la loi une compensation”. Si vous mettez, dans la loi, une compensation, vous figez tout parce qu’il y a des secteurs, des commerces qui ne peuvent pas compenser pareil que d’autres, la réalité est différente, il y a des réalités où moi, je préfère être compensé avec deux jours de repos, d’autres une amélioration salariale. Les gens disaient “ce n’est pas assez” et de l’autre côté, les vrais libéraux ou ultra-libéraux disaient “c’est du dialogue social, ce truc-là, c’est abject, il fallait ouvrir, boum, allez, on ouvre le dimanche, on travaille le dimanche et puis ne nous embêtez pas”. Eh bien, on a pris le risque du dialogue social, qui est un beau risque. Qu’est-ce qui s’est passé ? Pendant un an et demi, vous avez vu qu’il y avait des articles qui disaient “ça ne marche pas, cette loi, ça n’ouvre pas sur les grands boulevards”. C’est à peu près ouvert partout, maintenant, en zones touristiques, sur la base d’accords. Qu’est-ce qui s’est passé ? Regardez ce qui s’est passé chez Sephora, au Printemps, dans les grands magasins qui ont ouvert et qui étaient bloqués. Un, vous créez de l’activité parce que vous avez des touristes qui, s’ils ne consomment pas le dimanche, ne sont pas là, et on le sait très bien parce qu’on avait chiffré, allaient consommer à Londres ou ailleurs. Mais les salariés qui sont là, ils ont signé un accord dans les enseignes que j’ai évoquées, c’est, dans la plupart des cas, des enseignes qui sont des nouvelles ouvertures, où ils sont, la plupart du temps, non seulement payés double mais où ils sont raccompagnés, aux frais de l’entreprise, à leur domicile et où ils ont les frais de garde d’enfants qui sont pris en charge. Donc moi, je vous entends …

V.R. : Est-ce que vous croyez vraiment que c’est un acquis, ça ? Est-ce que vous croyez que pour la société, en dehors du process de consommation, que c’est un acquis pour la femme ?

E.M. : Mais je vous entends … Mais parce que, aujourd’hui, vous pensez que c’est un acquis pour la femme quand, travaillant dans ces structures, son enfant finissant à quatre heures de l’après-midi, quand elle est un jour de semaine, elle ne peut pas, elle, aller le chercher donc elle va payer à ses frais une baby-sitter et elle sera pas payée double. Je suis désolé de vous dire que c’est une souplesse, mais en tout cas, ça protège ses droits et ça permet d’être mieux qu’une situation où, jusqu’alors, vous étiez, aujourd’hui, avec zéro compensation, la plupart du temps, et avec des règles complètement disparates selon les secteurs. Donc, tout ça pour vous dire que vous ne pouvez pas, par la loi, régler les situations que vous évoquez, vous ne le pouvez qu’en structurant un vrai dialogue social qui est le rapport de force dans l’entreprise et dans la branche et donc, moi, je suis favorable à donner plus de grain à moudre au niveau du dialogue social et une capacité, là aussi, à pouvoir définir des accords majoritaires qui font avancer les choses. Et, dans le principe que j’évoque, si un accord majoritaire n’est pas signé, vous en restez à la loi. Donc, tout le monde a intérêt à ce que ça se signe et donc c’est ce que je vous disais tout à l’heure, je crois que ça va aussi changer le paysage syndical parce que vous aurez des syndicats qui seront beaucoup plus sensibilisés à …

V.R. : Vous ne croyez pas que c’est la loi du plus fort, quand même ?

E.M. : La loi du plus fort, c’est si je vous laisse, vous seule, face à votre employeur, parce que c’est l’asymétrie du contrat de travail.

V.R. : Il n’y a pas des syndicats partout, hein.

E.M. : Ah, vous avez des syndicats dans toutes les entreprises et dans les plus petites, vous avez la possibilité de faire appel, et donc c’est ce qui est prévu, d’ailleurs, et c’est ce que la loi de modernisation du dialogue social a prévu, à des structures de branche qui représentent vos intérêts. Mais, ce qui est important …

V.R. : Non, je pense au travail temporaire, vous savez les gens qui travaillent une fois deux heures le soir et puis deux heures le matin et puis deux heures l’après-midi, eux, en général finalement ils ne sont pas syndiqués, ils n’ont pas …

E.M. : Alors là, vous parlez d’une tout autre catégorie, qui est même au-delà de ce qu’on évoquait avec madame, qui est, mais ça, ça concerne les femmes comme les hommes, qui est le précariat, qui, aujourd’hui, entre dans la société par …

V.R. : L’ultra-précarité.

E.M. : ...par les formes, justement, de nouveau travail, et là, ce qu’il faut construire, c’est le cadre du travail digne. Donc, il faut un, ne pas brider les formes d’élévation sociale qui parfois permettent de créer l’emploi - vous m’avez parfois entendu défendre Uber ou, par exemple, les différents VTCistes français qui ont créé de l’emploi en innovant mais en même temps, aujourd’hui, je l’ai dit, je défends, justement, ces travailleurs qui cherchent à se syndiquer et à construire un dialogue social et un dialogue de partage de la valeur ajoutée avec leur employeur. Mais il fallait créer le secteur d’activité et après, se structurer de manière naturelle, et je les soutiens dans ce combat, un dialogue entre la communauté des producteurs, ceux qui ont le capital, ceux qui ont le travail, pour, justement, trouver les bons compromis. Le risque de ce nouveau précariat, c’est, par une explosion du cadre salarial, de ne plus pouvoir défendre ses intérêts. Qu’est-ce qu’ils sont en train de faire ? De s’organiser sous une forme qui n’est pas une forme juridiquement parlant, de syndicat, mais une forme de chauffeurs qui sont aujourd’hui indépendants, pour défendre leurs intérêts, je pense que c’est très bien de faire ça, c’est - ils le font au travers de groupements de salariés ou de groupements d’indépendants avec d’ailleurs, de par la loi, quelque chose qui existe et qu’il faut toujours rappeler -, c’est que quand vous êtes un salarié qui dépend du même employeur, vous êtes requalifié, pardon, quand vous êtes un indépendant, qui a une relation de dépendance économique à l’égard d’un même employeur, si vous allez devant le juge, vous êtes requalifié en salarié.

V.R. : Oui mais attendez, Monsieur Macron … En vrai, moi, j’ai été, et comme beaucoup de journalistes, par exemple - c’est un milieu dans lequel les gens sont très longtemps en freelance, et travaillent en indépendants -, vous n’allez pas, à chaque fois, quand vous travaillez plusieurs fois dans le mois ou plusieurs fois dans l’année, pour la même entreprise, monter systématiquement au créneau pour dénoncer ce type d’entreprises parce qu’autant vous dire que, par exemple, et pardon parce que ce n’est pas du tout pour… je parle juste d’un milieu que je connais, dans le monde de l’audiovisuel, vous auriez, allez, 80% des journalistes qui pourraient requalifier leur contrat.

E.M. : Je sais bien.

V.R. : Donc en gros, si on veut préserver son emploi, si on a une famille à nourrir, on ne va pas systématiquement aller faire toc toc à la porte des juges, c’est faux.

E.M. : Non mais ce que je suis en train de vous dire, c’est que, un, vous avez la possibilité …

V.R. : Et je ne vise personne.

E.M. : C’est un message à usage interne (rires). Euh… non, ce que je veux dire par là, c’est qu’aujourd’hui, vous parlez des chauffeurs, vous avez tous les ans des centaines de cas de chauffeurs qui, à l’égard d’un taxi ou d’un VTCiste, ont cette relation de dépendance économique et la font requalifier. Donc vous avez totalement raison après, moi, je ne mésestime pas les cas de précarité, de fragilité qui existent dans la société, qu’il faut résorber. C’est toujours un équilibre à trouver parce que si, demain, j’interdis, par exemple dans votre secteur ou, plus largement, dans le secteur audiovisuel et culturel, le statut, justement, de freelance ou d’intermittent qui est parfois utilisé, eh bien, je supprime de l’emploi. C’est ça, la réalité. Je ne fais pas passer des gens d’une forme de précarité ou de fragilité dans l’emploi à un emploi stable et digne, je les fais basculer dans le non-emploi. Donc c’est aussi pour ça que je suis vigilant, on doit trouver une façon de sécuriser. Et, au fond, ce que l’on est en train de se dire, c’est qu’il faut, pour chacune et chacun, un parcours. C’est-à-dire que ça peut être une façon d’entrer, mais ça ne peut pas être durable. C’est aussi pour ça que je souhaite qu’ensuite, on puisse faire entrer les gens, et c’est là où les qualifications ne sont pas automatiques, mais dans un premier parcours où vous avez commencé freelance, puis vous rentrez ensuite dans la stabilité.

V.R. : Notre journaliste freelance, elle est là.

E.E. : Oui. On va arriver vers la fin du débat, et donc, on va essayer de garder un petit peu de temps pour les lecteurs et les lectrices qui sont là… Est-ce qu’il y a des mesures concrètes pour les femmes qu’on n’a pas évoquées, parce qu’on avait encore évidemment douze mille questions qu’on n’a pas eu le temps de vous poser…

E.M. : Eh bien, on en a évoqué beaucoup, mais quelles sont les mesures auxquelles je tiens qui sont…

E.E. : (chien qui aboie)… Les chiens ne sont pas d’accord.

E.M. : …qui font réagir les chiens dans la cour (rires)… qui me semblent importantes… Je pense que si on veut égaliser les hommes et les femmes sur l’utilisation du congé maternité/paternité, il y a une mesure, à laquelle je tiens, qui est d’étendre, justement, de onze jours à vingt jours le congé paternité et d’essayer de regarder la réalité de l’organisation du congé maternité après le deuxième enfant, qui, en effet, est très long et qui fait qu’aujourd’hui, ça écarte beaucoup de femmes de l’emploi. La deuxième chose, qui est importante, pour moi, c’est de donner une souplesse, et pour moi, c’est une mesure qui est importante pour les couples de bi-actifs… Aujourd’hui beaucoup de femmes, qui sont moins bien payées que leur conjoint ou que leur mari, se retrouvent dans des situations… Il y a d’ailleurs une pression familiale parce que, compte-tenu de notre système fiscal, vous êtes fiscalisée au taux du couple, donc si votre mari gagne quatre SMICs et que vous gagnez un SMIC, eh bien vous avez le taux de fiscalité consolidé, et donc on connaît très bien comment ça se passe, un jour on vous dit “quand tu regardes le truc, tu ferais mieux d’arrêter de travailler parce que ça ne nous rapporte pas tant que ça et finalement, compte-tenu de ce que coûte la nounou ou je ne sais pas quoi, ça serait mieux d’arrêter”. Ce que je veux faire, ce que nous ferons, c’est la possibilité d’un droit d’option. C’est-à-dire, quoiqu’étant marié, d’individualiser le revenu fiscal, et donc de sortir de ça, pour que le conjoint ou la conjointe soit sur son revenu, s’il le décide, fiscalisé sur son taux à soi. Ce qui incite à la bi-activité et à la possibilité de travailler, ce qui évite cette pression. Il y a quasiment un million de conjoints et conjointes qui sont dans cette situation-là, ce qui crée un vrai biais. Pourquoi ? Parce que moi, je crois que le taux de participation au marché du travail, comme on le dit si pudiquement, donc la capacité à être dans la vie économique et sociale, c’est bon pour tout le monde là aussi, et pour la vitalité de la société. Ça, c’est deux mesures…

E.E. : Oui, sinon une question sur votre mesure précédente. Le congé paternité, vous le rendriez obligatoire ?

E.M. : Non, je pense que le rendre obligatoire…

E.E. : Il n’est pas pris par tout le monde, 70%...

E.M. : Oui, je sais bien, mais même, regardez, dans les sociétés scandinaves, où c’est pris... Non, je pense que ça participe aussi de la mutation culturelle où il faut le valoriser. Déjà je l’allonge, je rapproche les deux, et j’évite les dérives qu’on peut avoir au-delà de deux enfants… Mais obligatoire, je ne pense pas.

V.R. : Il y a des questions sur la PMA. Juste une dernière…

E.E. : Oui, une lectrice… Il y a une lectrice qui nous a envoyé un petit texte pour raconter son expérience, qui est professeure des écoles, et elle se dit éperdument une femme de la République, mais, nous explique-t-elle, « voilà, depuis deux ans déjà, je réalise des actes hors-la-loi, je suis homosexuelle et j’essaie d’avoir un enfant avec ma femme en allant à l’étranger. Outre notre souhait de voir un jour la PMA en France, quand nous aurons enfin le bonheur de l’arrivée de cet enfant, l’État français ne reconnaîtra pas ma femme comme parent et nous devrons livrer bataille, cette fois, pour qu’elle puisse adopter mon propre enfant ». Elle dit « Cher Emmanuel Macron, pensez-vous qu’à l’image de nombreux pays européens, nous puissions acter du fait que lorsque deux personnes mariées deviennent parents, ce soit aussi légalement le cas »

E.M. : Alors…

E.E. : Donc sa question est double. Enfin moi, je vous la repose doublement. Est-ce que vous êtes pour, déjà, qu’elles puissent, un jour, faire la PMA en France ? Et ensuite, que le second parent soit reconnu comme tel ?

E.M. : Oui, aujourd’hui, on le sait, 95% des PMA sont à des fins médicales. Le fait, aujourd’hui, que la PMA ne soit pas ouverte aux femmes seules, aux couples de femmes de même sexe, c’est une discrimination qui ne se justifie pas, ni sur le plan éthique-philosophique, ni sur le plan politique. Je pense que, c’est mon opinion personnelle, c’est en effet de l’ouvrir et de l’étendre aux femmes, aux couples de même sexe, et donc ça répond à la question, puisque je parle non seulement des femmes seules mais des couples de même sexe. Et là-dessus, je pense que … c’est pour ça que mon souhait, c’est de dépassionner ce débat, et de respecter chacune et chacun. Je pense qu’il faut ce dialogue et ce respect mutuel mais on voit bien que ça n’est pas tolérable.

E.E. : Et pour le fait de rendre…

E.M. : Eh bien, si vous le faites pour les couples de même sexe, vous XXX

E.E. : …voilà, on est d’accord. Par contre, il me semble que vous êtes contre la GPA.

E.M. : Sur la GPA, je trouve que le sujet est totalement différent, parce que la GPA pose une question pour la femme, qui est l’articulation entre, d’une part, la libre disposition de son corps, et d’autre part, la dignité pour la vie humaine et de son corps. Et donc, pour moi, la question philosophique-éthique ne permet pas de décider de la GPA, donc je ne suis pas favorable à légaliser la GPA en France. Maintenant, il y a de la GPA à l’étranger, dans plusieurs pays, avec des réalités qui sont très diverses, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Inde, ou en Chine, et donc par rapport à ça, j’aurai deux types de réponse. La première, c’est, de manière très claire, des enfants qui sont nés à l’étranger sous GPA, il faut les reconnaître, parce que l’enfant ne peut pas être la victime, ne peut pas être un ensemble vide juridique. La situation dans laquelle, aujourd’hui, on est, est finalement totalement hypocrite. Ils n’ont pas de statut. Alors certains réussissent à l’obtenir, au cas par cas. Là, c’est un devoir… c’est un projet d’amour, il se fait à l’étranger par des règles que nous ne légalisons pas en France, mais il faut donner un statut juridique à l’enfant et donc il faut reconnaître ses deux parents. Ça se prend par circulaire, il faut avoir le courage de le regarder en face, de manière très dépassionnée, cet enfant n’a pas choisi ce mode de conception, il est là, il y a un projet de vie et d’amour pour lui, il faut lui donner sa place. Ensuite, il y a un vrai combat à conduire, qu’on oublie souvent, qui se mène à l’international, et que je veux que la France poursuive. C’est celui pour, justement, la dignité des femmes et la lutte contre le trafic des enfants. Donc ce que je souhaite, c’est que la France – en tout cas c’est l’engagement que je prends –, initie une convention internationale de type La Haye, contre le trafic d’enfants et pour la dignité de la femme. Pourquoi ? Parce qu’on doit combattre, dans toutes ces sociétés, la GPA forcée, le quasi-esclavagisme dans certains pays, où pour rien, des femmes font des GPA et en font à répétition, les trafics d’enfants subséquents à ces pratiques, ça, c’est un vrai combat. Et donc c’est le combat, d’ailleurs, autour duquel on doit réconcilier aussi, et là aussi vous voyez toujours ma préoccupation, celles et ceux qui ont des convictions religieuses qui fait qu’ils ont été heurtés par ces avancées de la société, ces avancées de la loi, et celles et ceux qui les portent. Parce que la cause est commune. Qui peut être contre la lutte, contre l’esclavagisme, et le trafic d’enfants? Personne...

V.R. : Non, personne.

E.M. : … et donc il faut le conduire, donc il faut le faire.

V.R. : C’est formidable... J’ai une dernière petite question, qui paraît encore une fois, peut-être, naïve, mais qui ne l’est pas du tout...

E.M. : J’ai compris que ça ne l’était jamais…

V.R. : Est-ce que vous ne pensez pas qu’il serait judicieux, aujourd’hui, de demander aux Français, non pas de voter pour un homme, mais pour une équipe ? Et est-ce que vous seriez prêt, je sais que vous allez me dire non mais je tente ma chance, à donner les noms de celles et de ceux qui pourraient être dans votre gouvernement ? Parce que cela éviterait d’abord… D’abord, ça nous permettrait de voir si vous respectez la parité...

E.M. : Ça, je la respecterai, oui

V.R. : …. ça ne serait pas mal... Et que, d’autre part, ça nous permettrait de voir aussi si, réellement, vous faites monter des gens issus de la société civile et non pas, encore une fois - pardonnez-moi de prendre exemple sur vos peut-être prédécesseurs qui, finalement, se sont pris les pieds dans le tapis, systématiquement, en répartissant, finalement, les ministères avec leurs potes, leur courant, etc., et ce n’est pas pour faire du complotisme mais, grosso modo, ça se passe quand même un petit peu comme ça.

E.M. : D’abord, je ne vous donnerai pas, en effet, ces noms, vous l’avez bien compris. Pourquoi? Parce que, d’abord, je pense que c’est une décision qui n’est pas, aujourd’hui, mûre dans ma tête. J’y réfléchis beaucoup - parce qu’il faut se préparer -, mais qui dépend aussi des conditions et circonstances de votre élection. C’est-à-dire, moi, je ferai tout pour me battre, défendre mes idées, mes valeurs et ce que nous portons, mais à la fin des fins, si vous gagnez face à Marine LE PEN, vous ne pouvez pas composer un gouvernement comme si vous gagnez face François FILLON. Non, mais je veux dire, il faut aussi regarder ça en face, donc les conditions de votre élection, la nature du paysage politique, à ce moment-là, définissent vos capacités à rassembler dans votre gouvernement. Ça, c’est le premier point. Deuxième point, je peux quand même vous donner le portrait chinois ou quelques principes-clés. Ce sera un gouvernement paritaire et ce sera un gouvernement qui respecte les codes que j’ai édictés pour le mouvement, c’est-à-dire renouvellement, et donc il y aura entre un tiers et la moitié de ministres qui viennent de la société civile, ce qui ne s’est jamais fait dans cette proportion, et un pluralisme politique pour celles et ceux qui viennent du champ politique, c’est-à-dire les familles politiques qui sont chez nous, c’est-à-dire socio-démocrates, radicaux, centristes et droite modérée ou gaullistes sociaux seront représentés.

Causette: C’est une union sacrée, quoi?

EM: Je crois, en effet, à une union nationale.

V.R.: Merci infiniment, Emmanuel Macron

EM: Merci à vous.

V.R.: A notre grand désarroi, Marine Le Pen n’a pas voulu venir débattre avec les femmes, elle qui, pourtant, se dit féministe...Bon, elle n’a pas voulu, finalement, risquer cet exercice périlleux, donc le prochain débat rassemblera plusieurs personnes toutes issues de la société civile, toutes des féministes. Nous débattrons des programmes de tous les candidats, y compris du vôtre, donc. Et les questions, est-ce qu’on a le temps?

EM: Allez, j’en prends deux! Posez-les à la suite et j’y réponds dans la foulée.

Question 1: Déjà, merci d’être venu dans un endroit cosy. Je vais vous parler de démocratie créative, dans la prospective, où les femmes peuvent avoir leur place. Nicolas HULOT avait parlé d’une “chambre du futur”, pour avoir le temps de penser le long terme. ROSANVALLON avait parlé d’une académie, “académie du futur”, pour que des gens puissent avoir le temps de prendre, avec des gens de terrain, avec des experts… Le problème, c’est que c’est toujours, effectivement, avec des experts. Vous ne faites, en général, dans ce genre de choses - moi, j’ai travaillé dans un centre de prospective -, pas appel à des artistes, pas appel, suffisamment, à des gens de terrain… Je voudrais vous demander: est-ce que vous envisagez de faire quelque chose comme une chambre du futur? Et si je vous pose cette question, c’est que vous avez fait appel à Monsieur PISANI-FERRY. J’ai lu son rapport, La France en 2025. Excusez-moi, ce n’est quand même pas très imaginatif. Donc voilà, est-ce que vous faites appel à des gens, des femmes, des hommes, des artistes, des gens de terrain, des gens qui ont envie de bouger?

Question 2: Moi, c’est sur la partie législative. C’est une très bonne chose, en fait, qu’on soit passé de 15% à 30-35% de femmes qui se présentent. Moi, je me suis aussi présenté comme candidat, pour devenir député. C’est vrai que je préfèrerais même que ce soit plutôt une femme qui prenne ma place. Ce serait vraiment mieux, parce que, vraiment, il y a quelque chose à apporter. Néanmoins, je suis chef d’entreprise, je me suis posé une vraie question. Je me suis dit “est-ce que moi, je peux consacrer cinq ans uniquement à ça?”. J’ai dit “oui, je peux le faire”. C’est vrai qu’il y a une question pour beaucoup de femmes qui se disent “est-ce que j’ai la capacité de le faire?”. La question, c’est: qu’est-ce que vous, vous avez vu, pour faire en sorte que non seulement la marche, entre guillemets, soit moins haute - peut-être est-ce en travaillant avec des binômes ou alors il y a d’autres solutions, pour que, peut-être, les femmes puissent plus facilement accéder à ces postes, et pour qu’au final, il y en ait plus et que aussi, ça joue sur la société civile. Merci.

EM: Sur le premier point…Allez, une troisième…

Question 3 : Comme tout jeune qui n’a que Facebook, je suis tombé sur vos appels et notamment cet appel fait aux femmes. Vous avez dit que vous aviez eu de bons retours, notamment en citant l’auto-censure, etc. Moi, j’ai senti un certain malaise, en regardant cette vidéo, parce que c’était comme s’il n’en tenait qu’aux femmes, finalement, de prendre leur serviette et d’aller au ministère, d’aller se présenter, etc. Et je voulais savoir - vous avez dit que vous aviez eu de bons résultats mais est-ce que, s’il fallait refaire cet appel aujourd’hui, ce serait peut-être un bon moyen de conclure, comment vous le feriez? Est-ce que vous le feriez différemment, on a parlé de propositions... c’est juste sur votre manière de vous adresser et de faire cet appel, est-ce que vous le feriez différemment?

EM: Je le ferais - je vais commencer par là -, de la même façon. Parce que cet appel, plus largement, d’ouverture, c’est une entrée en matière. C’est de dire: déposez votre candidature! Il y a des gens qui seront sélectionnés, d’autres non. On a des milliers de candidatures. Mais ce qu’il faut voir, c’est que vous ne pouvez pas avoir une sélection qui soit satisfaisante et claire quand vous avez une telle sous-représentation des femmes. Mais après, j’ai, moi, pointé le sujet, j’ai dit ce qui n’allait pas. Ça a pu vous donner le sentiment qu’il suffit d’être une femme pour pouvoir être députée, ce qui est faux, puisque derrière, il y a une procédure. J’ai défini cinq critères: le critère de parité - et mécaniquement, il ne peut pas être rempli, si je n’ai que 15% de candidatures, il est biaisé. C’est là où j’ai un problème, parce que ça veut dire qu’il suffirait d’être une femme pour être choisie, compte tenu du nombre de candidats. C’est l’inverse de votre truc, parce que si je n’ai que 15%, ça marche comme ça. Un critère de renouvellement, un critère de probité, que j’ai ré-évoqué tout à l’heure, un critère d’adhésion, justement, au coeur de nos idées et donc au contrat de changement avec la nation et un pluralisme politique, ça veut dire que toutes les familles doivent être représentées. Et après, c’est la commission nationale d’investiture qui va gérer ça, ce n’est pas moi. Donc moi, mon but, mon rôle, c’est d’être le garant de l’identité du mouvement et des objectifs qu’on poursuit et c’était de dire “je ne veux pas me retrouver avec si peu de candidats “femmes” que la commission ne pourra pas choisir et sélectionner les bons profils” - et en quelque sorte, là, il suffirait de prendre sa serviette et d’y aller. Donc c’était de solliciter ça, après, il y a des tas de femmes et d’hommes qui seront des candidats malheureux, indéniablement parce que la commission va auditionner, ils vont se déplacer en région et ils vont regarder si tous les critères sont remplis, ils vont regarder les dossiers et ils auditionneront les candidats estimés les meilleurs, ceux qui ont aussi cette capacité d’entrain, ceux qui ont le plus de compétences, et la compétence, au plan politique, c’est compliqué, c’est une capacité à entraîner, à, justement, pouvoir porter ses idées et ses valeurs, et ils sélectionneront comme ça. Donc il y aura un vrai processus, ce n’est pas un engagement naïf, ce n’est pas quelque chose d’innocent. Donc, si vous avez eu ce sentiment, c’est à tort. C’est un moment du processus. Mais moi, je me devais d’essayer de perforer, en tout cas, ce plafond de verre que je voyais. Alors, la question implicitement posée, c’est celle du statut de l’élu, qui est une très vieille question, très compliquée, sur laquelle on est. C’est de se dire, comment quand on a une situation, qu’elle soit fragile ou, au contraire, qu’on a commencé à réussir quelque chose en entreprise - qu’on soit un homme ou une femme -, eh bien, on peut prendre ces risques. C’est ce qui fait que beaucoup de gens - on va limiter dans le temps les mandats, puisqu’il n’y en aura que deux d’affilée pour les parlementaires - beaucoup de gens disent “si c’est ça, moi, je n’y vais pas, parce que j’ai ma vie, ma situation, il y a trop de précarité, c’est trop compliqué”. Nous, ce qu’on est en train de faire, c’est deux choses. Un, s’assurer qu’on forme celles et ceux qui ont décidé d’y aller donc on aura une politique de formation des candidats sélectionnés - on les accompagnera dans leur campagne, dans l’organisation de leur campagne, en soutien, mais aussi dans leur formation au métier de député - ce qu’on a fait, d’ailleurs, pour nos référents. C’est un module, je pense que c’est le rôle normal d’un mouvement politique, d’un parti. Ce qu’ils ne font plus, quasiment. Donc, il y aura ce module de formation. Ensuite, ce qu’on va mettre en place, c’est une procédure d’accompagnement qui fait que vous êtes à la requalification. Aujourd’hui, les mouvements politiques vivent des subsides publics en fonction du nombre d’élus - un élu donne une partie de ce qu’il touche à son parti, c’est fléché. Une partie de cet argent, nous l’utiliserons pour préparer le reclassement de celles et ceux qui ou perdront les élections ou décideront de ne pas se représenter. Ce qui permettra d’avoir une vraie politique d’accompagnement. Moi, je considère que c’est ce que je dois à toutes celles et ceux qui vont prendre un risque, ce que ne font pas du tout les partis politiques. Et c’est quelque chose qui aide, d’ailleurs, au renouvellement et à la mobilité parce que pourquoi vous restez trois, quatre mandats, vous ne voulez pas de renouvellement dans la vie politique? Parce que vous avez peur de revenir ou de venir à la vie normale, parce que beaucoup ne l’ont jamais connue. Parce que le cursus, aujourd’hui, majoritairement pris, c’est un cursus de collaborateur parlementaire, élu sur un scrutin de liste, et puis on arrive député et, en fait, au bout du deuxième ou troisième mandat, “je ne vais jamais retourner dans la vie réelle, parce que, juste, je n’ai jamais connu cette vie-là”. Donc c’est très important d’accompagner - d’abord, nous, on va sélectionner des profils différents -, mais de les accompagner au retour à la vie réelle, à travers un vrai investissement que le mouvement va faire. Je suis très sensible à ce que vous dites et c’est, évidemment, quelque chose qu’on essaie de faire. D’abord, nous, on l’a fait, dans le mouvement, avec nos comités. Beaucoup des propositions les plus disruptives, des choses les plus originales, des problèmes, aussi, posés, des angles pris, ils sont remontés de l’innovation sur le terrain, que nos comités ont portée, que le mouvement a portée et qui ne viennent pas d’experts dans une chambre. Je ne serais pas aussi sévère que vous sur Jean PISANI-FERRY parce que c’est un peu injuste. Parce que c’est, d’abord, un travail qui est très difficile à faire, de synthèse, qui était commandé par le président pour structurer une action publique et politique. Donc c’est vrai qu’il faut réussir à marier l’extrême originalité ou des visions qu’on peut avoir avec une espèce de capacité à donner une ligne de force entre aujourd’hui et dans dix ans. Je crois assez à cette logique de remettre du long terme dans la vie politique. D’abord, je pense que c’est la fonction d’un président, déjà, de ne pas être obsédé par le court terme et la polémique du moment et que, derrière, s’il y a une chambre dont ça doit être la fonction, et dont il faut repenser à la fois l’organisation, le recrutement et la finalité, c’est le CESE. C’était, d’ailleurs, l’idée de Nicolas HULOT, moi, j’en ai à plusieurs reprises parlé avec lui, et je l’adapterai, je le définirai dans quelques semaines, à ma main, mais c’est dans cette perspective que je m’inscris. Voilà, je crois que je dois filer, résolument.

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