1000 jours : 3 questions à... Sophie Marinopoulos
18 octobre 2019 - Sophie Marinopoulos, psychologue clinicienne et psychanalyste et membre de la Commission d'experts "1000 premiers jours, a répondu à nos questions.
Le Président de la République, en présence d’Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé, a installé ce jeudi 19 septembre un comité d’experts chargé de travailler sur la question des 1000 premiers jours de l'enfant.
Pour le secrétaire d'État Adrien Taquet, cette commission répond à un double constat : "D'une part, il est dur d'être parent : c'est ce que nous disent 50% des parents français. Deuxièmement, on sait que ces 1000 premiers jours sont un moment crucial pour les enfants, pour leur santé, pour leur développement, pour leur éveil au monde. Pendant ces 1000 premiers jours, c'est là que se forgent et se creusent les inégalités de destin."
Avec un ensemble d'acteurs scientifiques, associatifs, familiaux, la Commission a pour but de rassembler l’ensemble des connaissances et de formuler des préconisations sur les politiques publiques qui peuvent être menées. Sophie Marinopoulos, psychologue clinicienne et psychanalyste, et membre de la Commission d'experts, nous livre ici sa vision sur ce sujet d'importance.
1- Pourquoi est-il nécessaire de réformer la politique d’accompagnement à la parentalité dans notre pays ?
Nous devons repenser la politique d’accompagnement à la parentalité pour axer le travail sur la prévention, c’est-à-dire sur notre présence précoce tant pour les parents en devenir et que pour les parents ayant déjà des enfants. Il existe en France de très nombreuses initiatives pour les futurs parents mais elles sont déployées d’une manière inégale sur notre territoire. Nous devons donc à la fois repérer ces initiatives, les structurer, les coordonner et les proposer dans un maillage territorial, qui permette à tous les parents quel que soit leur lieu de vie, de bénéficier de cette attention. Nous devrons aussi favoriser l’informations des parents, car nous constatons qu’il y a souvent une méconnaissance des mécanismes d’accompagnement qui existent. Cela est également vrai pour les professionnels qui ne connaissent pas toujours les ressources de leur territoire, ce qui nécessite de penser la coordination et le travail en réseau.
Enfin, il faut également mettre en évidence que pour concrètement nous concentrer sur la prévention, il est nécessaire de mettre les moyens nécessaires pour que celle-ci se déploie. Aujourd’hui nous manquons cruellement dans les services de soin, de prévention, de protection, de moyens pour assurer le quotidien et pour répondre aux besoins attendus par les familles.
2- En quoi les 1000 premiers jours de l’enfant sont-ils essentiels à son développement ?
Un enfant se construit bien avant sa naissance, et même sa conception, déjà dans la santé de ses parents, santé psychologique et physiologique. Si tout ne se joue pas avant 3 ans il y a ce que j’appelle « des facteurs d’attention » qui en terme plus professionnels sont des « facteurs de prévention » que nous devons prendre en compte. Les observations cliniques de nos confrères dès les années 50 nous ont beaucoup appris sur les besoins fondamentaux d’une relation précoce parents/enfants. Celles-ci se voient aujourd’hui confirmées par les approches dites « modernes » comme les neurosciences, l’épigénétique, la plasticité cérébrale, la théorie de l’attachement etc…
Prendre soin des enfants, de leurs parents, du lien qu’ils tissent au fil des jours et des années revient à prendre soin de toute une société - et le gain est immense. C’est un gain car la société s’en retrouve apaisée, mais c’est aussi plus concrètement un gain économique puisque les dépenses dans le domaine de la santé, du social ou du juridique s’en voient diminuées. Les portes d’entrée de cette attention sont immenses et nous devons dès la période périnatale, soit en pré et post natal, nous attarder sur les questions de dépression maternelle, mais plus largement de la santé psychique des mères (et également celle des pères), sur la violence faites aux femmes pour mieux la prendre en compte dès la grossesse (ainsi que la violence faites aux enfants) ; sur les questions d’égalité, sur l’informations indispensables aux devenant parents et aux parents pour qu’ils puissent avoir des éléments de compréhension de ce que vit le bébé, et enfin d’assurer les besoins fondamentaux du bébé. Les congés parentaux sont aussi un outil indispensables à prendre en compte, de même que les modes d’accueil de nos tout petits. Plus globalement il s’agit donc bien d’accueillir les bébés et leurs parents dans la société.
3- Quelles bonnes pratiques devons-nous adopter ?
Les bonnes pratiques ne peuvent pas se lister car il en existe énormément et la pluralité des propositions est essentielle. En tant que professionnels, nous devons les répertorier, nous assurer qu’elles ne sont pas porteuses d’idéologie afin d’éviter les coachings parentaux qui se développent – et qui souvent font culpabiliser les parents au lieu de les laisser agir librement. Chaque parent à son histoire, et nous devons l’entendre. Partir de « ce parent-là » pour personnaliser l’approche revient à avoir du temps pour l’écouter, un espace pour l’accueillir, un cadre pour structurer cet accueil, des professionnels diplômés et formés aux connaissances du développement de l’enfant et de la construction du parent. Là seraient les ingrédients des bonnes pratiques. Une pratique respectueuse est une pratique qui part de l’écoute afin d’être enseignée par le parent pour ensuite l’accompagner. Le temps reste le meilleur allié de notre travail et demande donc que le professionnel aussi soit respecté dans ses besoins. Nous voilà donc face à une question économique. Combien sommes-nous prêts à mettre pour que nos enfants et leurs parents soient accueillis dans une humanité porteuse d’entraide, de solidarité et d’attention ?