Décryptage – que s’est-il passé le 14 mai 2018 ?
14 mai 2018 - Retour sur la violente répression de manifestations palestiniennes par les autorités israéliennes à la frontière avec la bande de Gaza.
La commémoration des 70 ans de la création de l’Etat d’Israël et de la “Nakba” a été entachée par la violente répression de manifestations palestiniennes par les autorités israéliennes à la frontière avec la bande de Gaza.
Alors que l’Etat d’Israël célèbre ses 70 ans d’existence, 59 Palestiniens de la bande de Gaza ont été tués et plus de deux mille blessés par des tirs de l’armée israélienne durant une manifestation organisée aux abords de la barrière de sécurité à la frontière avec l’Etat hébreu. Le bilan humain fait de cette journée la plus meurtrière du conflit depuis quatre ans. Il fait écho à la première guerre israélo-arabe et à l’exode des Palestiniens qui s’en est suivi (la Nakba, “la catastrophe”), dont les Gazaouis commémoraient également le 70ème anniversaire par la “Grande marche du retour” organisée depuis le mois de mars.
Quelques heures après les violences, le déplacement officiel de l’ambassade américaine à Jérusalem était célébré en présence du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et du couple Jared Kushner et Ivanka Trump, émissaire du Président Donald Trump. Cette décision unilatérale avait été promise durant la campagne du président américain et concrétise une disposition législative américaine prise en 1995 dont l’application avait été systématiquement reportée. Elle nourrit les inquiétudes de la communauté internationale quant aux effets déstabilisateurs des récentes décisions américaines dans la région, alors que Donald Trump avait annoncé, quelques jours auparavant, le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement des sanctions contre l’Iran.
Cet épisode s’inscrit dans la continuité d’un conflit constituant un enjeu fondamental pour la stabilité au Proche-Orient, dont les soubresauts ont marqué la mémoire collective : la guerre des Six Jours de 1967, la guerre du Kippour de 1973 qui a conduit au premier choc pétrolier, les accords de paix de Camp David de 1979 entre l’Egypte et Israël, les deux Intifadas de 1987 et 2000, les offensives israéliennes à Gaza de 2008, 2012 et 2014…
Les commentaires et réactions épidermiques suscités par ce nouvel épisode souffrent d’une dangereuse mise en concurrence des mémoires et de narratifs réducteurs et s’excluant mutuellement. Si ce regain de violence marque le retour à l’agenda diplomatique mondial d’un conflit que l’on considérait comme enlisé, il rappelle dans le même temps les difficultés à aboutir à un accord de paix.
En effet, alors que l’on parle d’un nouveau plan de paix en préparation à l’initiative des Etats-Unis, les négociations et leur perspectives d’aboutir semblent plus que jamais compromises par le manque de volonté politique des deux parties.
Rappel : les accords d’Oslo (1993)
Les négociations s’organisent autour de cinq questions principales définissant le statut final d’un accord de paix, basé sur une solution à deux Etats :
- La délimitation des frontières selon un tracé fondé sur la ligne verte de 1967, avec des échanges de territoires de superficie égale en raison des nombreux colons israéliens en Cisjordanie. Les négociations à ce sujet sont aujourd’hui mises à mal par l’augmentation des implantations illégales de colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, dénoncées par la résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU en décembre 2016 qui appelle à l’arrêt immédiat et complet de la colonisation.
- Le statut de Jérusalem comme capitale des deux États.
- Le droit au retour des 4,7 millions de Palestiniens reconnus réfugiés par la résolution de l’AGNU 194 en décembre 1948 revendiqué par la partie palestinienne, auquel la partie israélienne préfère un “programme d’absorption” permettant le regroupement de familles séparées.
- La sécurité des deux Etats
- La répartition essentielle des ressources en eau
La menace d’une nouvelle escalade de la violence renforce la crispation du processus de paix, alors que l’absence de compromis de la part des dirigeants des deux parties ralentit le retour à la table des négociations tel que prévu par les accords.
Les tenants d’une ligne dure (hard liners), qui n’ont jamais eu autant de pouvoir au sein du gouvernement conservateur actuel conduit par Benjamin Netanyahou, maintiennent une position hostile au droit au retour des Palestiniens et à l’arrêt de l’implantation et de la légalisation de colonies. Après une phase de distanciation durant la présidence de Barack Obama, ils bénéficient du soutien de la nouvelle administration du Président Trump.
Le leadership palestinien est quant à lui très affaibli par l’échec de la réconciliation entre le Hamas, dirigeant la bande de Gaza et inscrit sur la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis et l’Union européenne, et le Fatah contrôlant l’Autorité palestinienne, malgré l’entremise égyptienne. Par ailleurs, aucune élection démocratique n’a eu lieu dans la bande de Gaza depuis 2006, ni en Cisjordanie depuis 2009. Ce blocage empêche tout renouvellement de la classe politique palestinienne qui permettrait l’émergence d’un leadership fort et plus à même de négocier avec la partie israélienne.
A ces divisions internes s’ajoute un jeu régional défavorable aux Palestiniens et dont l’agenda n’affiche plus l’aboutissement du processus de paix comme une priorité. Les pays arabes, traditionnellement premiers soutiens de la cause palestinienne, s’en désolidarisent progressivement sous l’effet d’une profonde reconfiguration des équilibres géopolitiques de la région autour de la menace iranienne. Israël, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis ainsi que les Emirats Arabes Unis et l’Egypte ont en effet un intérêt commun à “contenir” l’influence grandissante de Téhéran.
Dans ce contexte, quel leadership français sur la question israélo-palestinienne ?
La position de la France sur le sujet est claire et a été réaffirmée par le Président Emmanuel Macron en réaction à ce nouvel épisode de violence au Proche-Orient : la France est en faveur d’une solution à deux Etats vivant côte à côte en paix et en sécurité, avec Jérusalem comme capitale et dans le respect prioritaire du droit international.
En mettant à mal le statut historique de médiateur des Etats-Unis, cette nouvelle crise ouvre une fenêtre d’opportunité pour la diplomatie française de faire entendre sa voix, mais aussi celle de l’Europe. La France doit endosser un rôle moteur pour encourager la définition urgente d’une position européenne unique, alors que certains pays de l’Europe de l’Est se sont abstenus de condamner la décision du président américain durant un vote à l’ONU en décembre dernier et seraient prêts à reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. Un noyau de pays, engagés dans la mise en œuvre d’une diplomatie européenne, pourrait également porter la réalisation concrète d’actions communes réunissant les deux parties, y compris les sociétés civiles. Cette intermédiation pourrait s’avérer déterminante pour renouer le dialogue et faire aboutir le processus de paix. Il s’agirait en outre d’un succès diplomatique à même de rendre audible une Europe de la diplomatie unie sur la scène internationale.